«Le retour des jeunes à l’art de l’Aïta est une quête d’enracinement»

Hassan Najmi est poète, chercheur et auteur du livre «la Aïta au Maroc : poésie et musique traditionnelle du Maroc ». Il estime que le retour des jeunes à l’Aïta «est une quête d’enracinement». Pour lui, ce retour est légitime voire nécessaire.

Al Bayane : De nos jours, beaucoup de jeunes se donnent à l’art de la Aïta. Il y en a même qui inondent la toile de vidéos relayées par les internautes. Pour certains, cette expression artistique constitue un gagne-pain. Comment expliquez-vous ce retour, ces retrouvailles, si nous n’osons dire, avec cette composante musicale de notre paysage artistique ?

Hassan Najmi : Personnellement, je pense que les jeunes Marocains ne se dirigent pas vers l’art de la Aïta, Malhoun, ainsi que les autres expressions artistiques marocaines constituant notre patrimoine artistique traditionnel pour combler le vide.  En revanche, il y a une volonté, un besoin et un sentiment de manque au niveau identitaire. Ce contexte de fragmentations des identités du siècle de mondialisation a en même temps ouvert l’horizon universel pour la jeune génération afin de brasser cette culturelle humanitaire et mondiale et a donné une certaine  envie de  renouer avec le patrimoine local qui a deux facettes, l’une positive, l’autre négative.

A priori, le positif réside dans le fait que les jeunes se tournent vers l’art local avec une vision. Le «mondial» n’a alors aucun sens dans ce retour par rapport à ce qui est local, régional et continental. Le côté négatif demeure bien entendu dans ce retour aux identités meurtrières pour parler comme Amine Maalouf; tout en considérant ce mondial comme un instrument menaçant les identités locales. Je pense que le retour des jeunes est une quête «d’enracinement», un retour à leur identité et origine, un retour au patrimoine au-delà de ce sens réactionnaire ou passéiste, mais plutôt d’enracinement.

Par ailleurs, c’est un respect au patrimoine culturel et social symbolique qui est en même temps individuel et collectif. Dans cette optique, les jeunes réacquièrent ce patrimoine culturel symbolique dans un cadre de système de valeurs ayant un aspect universel. Et ce, bien entendu dans le sens de la défense de la culture immatérielle dans la mesure où elle appartient à tous les peuples, mais aussi à toute l’humanité.  Ici, je parle bien évidemment de cet héritage oral dans la poésie, la musique, la danse, les expressions corporelles et artistiques immatérielles comme le tatouage, le (corps), les bijoux, la sculpture, l’architecture.

Il va sans dire que ce retour est légitime voire nécessaire. Il ne faut pas la remettre en question. Il faut comprendre ce retour des nouvelles générations à leurs origines et racines, leurs références culturelles.

A votre avis, les festivals et manifestations artistiques et musicales qui se tiennent un peu partout au Maroc contribuent-ils au rayonnement de cet art?

Je pense que les festivals qui s’intéressent à l’art de la Aïta et rendent hommage aux «arts ruraux» vont servir d’une manière ou d’une autre à leur promotion et rayonnement, y compris l’art de la Aïta avec toutes ses expressions, tous les types (Jabalia, Zaaria, Al Mallalia, lfilalia, Al Marsaouia, Al Haouzia, chyadmia, Al abdia, Al Marsawiya).  Plusieurs groupes musicaux de la Aïta, en l’occurrence Al Marsaouia et Labidawia ont pris part au festival de Mawazine, ainsi qu’à plusieurs manifestations musicales marocaines dans le Nord comme le Sud du pays. Dans ce sens, nous citons le festival national de Safi. Ceci n’empêche pas de dire que l’art de l’Aïta est en danger parce qu’un bon nombre de vétérans sont morts. Et quand une «Cheikha» comme Bent Alhoucine ou L’Hajja l’Hammounia meurent, c’est tout une richesse artistique qui s’en va.

C’est impossible d’ailleurs dans les conditions actuelles d’avoir les mêmes figures emblématiques qui ont marqué cet art. Aujourd’hui, on compte sur le bout des doigts ces  filles qui sont séduites par le métier de «Cheikha» comme c’était le cas auparavant, surtout dans la société marocaine traditionnelle. C’est un constat : la société a beaucoup évolué.

Il y a un autre imaginaire chez la nouvelle génération du monde rural avec l’avènement de la technologie et les réseaux sociaux. C’est très difficile de reproduire les mêmes formes traditionnelles et culturelles qui produisirent les «Cheikha» et «Cheikh».

Aujourd’hui, les jeunes pensent au statut de l’artiste et non plus à celui de «Cheikh » ou «Cheikha». Le système éducatif scolaire et universitaire marocain ne donne pas de valeur et de reconnaissance au statut des «Cheikhs» et «Cheikhates». Il faut que les jeunes apprennent que l’art populaire n’est pas un passe-temps et une futilité. Il faut mettre en valeur le patrimoine artistique oral.

Qu’en est-il de l’archivage et de la conservation de cet art?

Il y a des efforts personnels qui sont consentis. Il n’ya que 5 ou 6 personnes qui s’intéressent à cet art. Des gens qui écrivent sur cet art interviennent de temps à autre. C’est désolant ! Il y a même des chercheurs et des universitaires qui ont honte et qui refusent d’en parler devant leurs étudiants. Je pense aussi que les Marocains ont changé leur regard vis-à-vis de cet art qui fait partie de leur identité individuelle et collective.

Mohamed Nait Youssef

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