L’édition est avant tout un «bizness»

Les écrivains qui publient beaucoup à l’étranger sont les écrivains arabophones. Pour les francophones, le trou est bouché à cause de la préférence nationale (Les Français, les Belges ou les Canadiens d’abord). Ceci touche tous les pays francophones que ce soit en Afrique ou ailleurs. En plus, aussi contradictoire que cela puisse paraître, il vaut mieux publier au Maroc qu’ailleurs car pour ceux qui publient en France, le roman n’appartient plus à son auteur. Les éditeurs dénaturent le texte à tel point qu’il devient autre. Le texte doit correspondre non à ce que veut exprimer l’auteur, mais à l’idée que les éditeurs se font de ce qu’est la société marocaine et de ce qu’est le goût de leurs lecteurs, c’est ce qu’ils appellent : la ligne éditoriale. Chez un éditeur français, il y a une édition africaine et une édition blanche : l’édition africaine est écrite en italique. J’ai eu le malheur de le dire à deux auteurs, ils m’ont répondu que c’était une chance pour eux d’être acceptés par cette maison d’édition, amen. Alors, ceci dit, ne parlons pas des écrivains amazighs, ni hassanis, ni darija !
Il est très intéressant de publier à l’étranger. Cela ouvre des portes d’échanges, mais pas à ce prix là. Heureusement qu’il y a les traductions et je crois que c’est un bon créneau, car le fond est sauvegardé. Je suis traduit en turc, et j’ai des propositions pour l’italien et le portugais.

A votre avis, peut-on parler d’une «rentrée littéraire» au Maroc à l’image de ce qui se passe un peu partout dans le monde ?
Non. Je pourrais me contenter de ce NON, car il n’y a plus rien à dire sur quoi que ce soit. C’est malheureux, mais on assiste à une régression vertigineuse sur tout ce qui est culturel au Maroc. Je crois qu’on vient d’amorcer la descente aux enfers. La victoire de la pensée unique n’est plus à prouver, elle est là. Tout le monde y participe et personne n’ose plus élever la voix pour dire que nous allons droit sur le mur de la violence, du bourrage de crâne, de l’obéissance aveugle et de la mort de ce petit espoir de démocratie et de liberté de la pensée. Nous sommes tous responsables de ce qui arrive, mais les partis politiques, les associations des écrivains, la presse et le gouvernement sont les premiers.

Comment envisagez-vous, aujourd’hui, la situation du livre et la lecture chez nous?

Il y a de nouveaux paramètres qu’il faut analyser très sérieusement au niveau de l’internet. Mais, je crois que l’école doit jouer son rôle primordial concernant la lecture et les relations avec les nouveaux moyens de communication. Il y a au Maroc plus de trente millions d’habitants, des dizaines d’universités et de grandes écoles sans parler des lycées et des bibliothèques de divers ministères et l’on continue de nous parler d’une crise de lecture. Il faut cesser de se leurrer ou de leurrer les gens. Le problème est ailleurs. Il est au niveau du ministère de l’éducation (la formation des professeurs, la modernisation des programmes, le changement des approches pédagogiques) et du ministère de la culture et de celui de la jeunesse et des sports. Comment ces maisons de jeunes qui ont lancé les plus grands musiciens, les hommes de théâtres, les cinéastes se trouvent aujourd’hui muette comme des carpes ? Je crois que finalement la Culture est un champ si vous ne lui donnez rien, il vous donne des ronces !

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Entretien avec le chroniqueur et poète marocain, Ali Lahrichi
Il est exagéré de parler de «rentrée littéraire» au Maroc

Le jeune écrivain, poète et chroniqueur Ali Lahrichi jette la lumière dans cet entretien sur les aspects sombres de la jungle éditoriale au Maroc, ainsi que des diverses problématiques touchant la chose culturelle, notamment la rentrée littéraire, la situation de l’écrivain, les médias et la promotion du livre. Les propos.

Al Bayane : A votre avis, peut-on parler d’une «rentrée littéraire» au Maroc à l’image de ce qui se passe un peu partout dans le monde ?
Ali Lahrichi : A l’exception de quelques maisons d’édition marocaines qui bataillent en faveur du livre, il est exagéré de parler de «rentrée littéraire» au Maroc. Et ce n’est pas faute de nouvelles publications, parce que les auteurs nationaux édités en France par exemple, profitent d’une réelle rentrée littéraire en Hexagone.
Au Maroc, la période de septembre à octobre reste quasi-exclusivement réservée à la rentrée scolaire, les librairies réservant la totalité de leurs espaces aux manuels scolaires.

D’après vous quels sont les véritables facteurs entravant la rentrée littéraire au Maroc?
Cela dépend de l’angle selon lequel on se positionne. Les librairies évoqueront certainement la problématique du marché, la lecture étant en perte de vitesse au Maroc. Et cela vaut également pour les maisons d’édition. Il y a également le problème du timing puisque la rentrée scolaire finit par éclipser la rentrée littéraire.
En tant qu’auteur, j’évoquerai la rareté d’événements culturels qui permettent la rencontre entre public, auteurs, librairies et maisons d’édition. Et le talon d’Achille demeure la promotion du livre, notamment dans les médias. Les débats littéraires sont rares et souvent élitistes pour intéresser le grand public.

Quel regard portez-vous sur la situation de l’écrivain et le lecteur marocain ces dernières années ?

Paradoxalement, le nombre d’auteurs augmente si l’on se réfère au nombre de nouvelles sorties de livres alors que le lectorat ne cesse de se réduire. Faute d’espace de rencontre, cette situation ira en empirant si ce ne sont quelques initiatives de prix littéraires, de salons comme celui du Livre en février, de rencontres-débats organisés par le ministère de tutelle ou encore par les centres culturels étrangers au Maroc.

Vous avez publié deux recueils de poème en France. À votre avis pourquoi le bon nombre d’écrivains marocains choisissent des maisons d’éditions étrangères pour publier leurs ouvrages ?
La rareté des maisons d’édition orientées vers la littérature est un premier obstacle, alors qu’en France, elles sont nettement plus nombreuses et sont toujours à la recherche de nouveaux talents alors que certaines maisons d’édition préfèrent tabler sur des «valeurs sûres». L’autre point fort des maisons d’édition étrangères est la promotion littéraire aussi bien en France qu’au Maroc en plus de croire en les nouveaux talents.


Avez-vous une idée sur le marché littéraire au Maroc ?

Sincèrement, je n’ai aucune idée…
Pensez-vous que le nombre d’événements culturels réservés à la promotion du livre sont suffisants ?

Comparativement à un pays comme la France, l’Egypte ou le Liban, pays à grande tradition littéraire, les évènements culturels exclusivement réservés à la littérature au Maroc demeurent insuffisants d’autant plus qu’on retrouve toujours les mêmes têtes d’affiche. Une situation appelée à disparaître puisque de nouveaux noms percent au Maroc alors qu’ils ont été publiés dans d’autres pays.

Est-t-il facile de publier un recueil de poésies au Maroc ? Quelle place occupe le livre dans les médias nationaux ?
Il n’est pas évident de publier au Maroc, encore moins quand il s’agit de poésie, de surcroît en langue française. Ce genre littéraire reste l’apanage d’un lectorat restreint dans un contexte marqué par une prédominance de l’actualité politique. Faut-il en déduire que l’époque ne se prête pas au romantisme et à la sensualité ? Je pense que ce serait hasardeux de tirer une conclusion aussi hâtive, étant donné que le public est là et apprécie !

Quelles sont vos propositions pour mieux promouvoir le livre et l’écrivain en particulier et la chose culturelle en général au Maroc ?
Les médias ont un rôle moteur pour promouvoir la littérature, qui est riche et diverse, au Maroc, qu’il s’agisse de nouvelles sorties ou de relever les principaux freins au développement de la littérature au Maroc. Le ministère de tutelle doit également soutenir la production littéraire par l’organisation de plusieurs salons et concours pour créer une émulation dans un secteur dont l’essor reflète le degré de développement d’un pays sans oublier le travail important accompli par les centres culturels étrangers au Maroc.

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