Le processus est supervisé par des observateurs dépêchés par l’ONU et l’UE
Les Irakiens ont commencé à voter dimanche lors de législatives anticipées présentées par le pouvoir comme une concession face à un soulèvement populaire. Mais entre la corruption endémique et la pléthore de factions armées, les électeurs ne s’attendent pas à de grands changements.
Dans les rues désertes de Bagdad, policiers et soldats sont déployés à intervalles réguliers pour assurer la sécurité. Et des dizaines d’observateurs internationaux dépêchés par l’ONU et l’Union européenne supervisent le processus.
Faisait partie des rares électeurs matinaux, Jimand Khalil, une femme au foyer de 37 ans, a voté à Bagdad. « Je suis venue voter pour changer le pays en mieux et changer les responsables actuels qui sont incompétents. Ils nous ont fait beaucoup de promesses mais ne nous ont rien apporter. »
Dès l’ouverture des bureaux de vote censés fermer à 18H00 (15H00 GMT) sauf prolongation, le Premier ministre Moustafa al-Kazimi a déposé son bulletin à Bagdad. « C’est une opportunité pour le changement. »
« Votez, votez, votez », a-t-il martelé.
Dans la foulée, le turbulent mais incontournable clerc chiite Moqtada al-Sadr, dont la liste est considérée comme favorite, a glissé son bulletin dans l’urne dans son fief de la ville sainte chiite de Najaf, au sud de Bagdad.
Les experts pronostiquent une abstention record. Initialement prévues en 2022, ces élections ont été avancées pour calmer la contestation de fin 2019, expression d’un immense ras-le-bol populaire fustigeant une corruption tentaculaire, des services publics défaillants et une économie en panne dans un pays riche en pétrole.
Mohammed, 23 ans, n’a pas pu se rendre dans sa province d’origine de Wassit pour voter. « Nous voulons le changement. Je suis diplômé en littérature arabe mais je nettoie les toilettes dans un restaurant », dit-il. « C’est humiliant! »
Réprimé dans le sang -au moins 600 morts et 30.000 blessés-, le mouvement de contestation s’est essoufflé début 2020. Des dizaines de militants ont été victimes d’enlèvements et d’assassinats, imputés aux factions armées fidèles à l’Iran dont l’influence est forte en Irak.
Les militants de la contestation boycottent largement le scrutin.
« Rien ne va changer, ces élections seront remportées par les mêmes factions contre lesquelles le peuple a manifesté », lâche à Bagdad Mohammed Kassem, 45 ans, qui n’ira pas voter.
Les mêmes blocs traditionnels devraient préserver leur représentation dans un Parlement fragmenté, où l’absence d’une majorité claire oblige les partis à négocier des alliances, selon des experts.
Le scrutin se déroule sous haute sécurité, dans un pays où le groupe jihadiste Etat islamique reste actif. Les aéroports sont fermés jusqu’à lundi. Les déplacements entre provinces sont proscrits et les restaurants et centres commerciaux fermés.
Comme quasiment toutes les formations politiques disposent chacune d’une faction armée, la crainte de violences et de fraudes est dans tous les esprits.
« Le jour du scrutin, les Irakiens doivent être en confiance pour voter comme ils le souhaitent, dans un environnement libéré de toute pression, intimidation et menace », a plaidé l’ONU.
Quelque 25 millions d’électeurs sont appelés aux urnes. Mais pour participer au vote électronique et choisir parmi les plus de 3.200 candidats, ils devront être munis d’une carte biométrique.
L’élection des 329 députés se fait selon une nouvelle loi électorale, qui instaure un scrutin uninominal et augmente le nombre de circonscriptions pour encourager, en théorie, indépendants et candidats de proximité.
Les résultats préliminaires sont attendus dans les 24 heures après la fermeture des bureaux de vote et les résultats définitifs dans une dizaine de jours.
En cas de victoire, le courant de Moqtada al-Sadr, ex-chef de milice à la rhétorique anti-américaine, devra encore composer avec les grands rivaux pro-Iran du Hachd al-Chaabi, entrés au Parlement en 2018, surfant sur la victoire contre l’EI.
Un influent leader du Hachd, Qaïs al-Khazali, a dit souhaiter « une personnalité aux compétences économiques » pour le poste de Premier ministre.
Si la scène politique reste polarisée sur les mêmes dossiers sensibles -que ce soit la présence des troupes américaines ou l’influence du grand voisin iranien- les partis entameront de longues tractations pour s’accorder sur un nouveau Premier ministre, poste qui revient traditionnellement à un musulman chiite.
« L’élection donnera probablement naissance à un autre Parlement fragmenté. S’ensuivront des marchandages opaques pour former le prochain gouvernement », résument les chercheurs Bilal Wahab et Calvin Wilder dans une analyse publiée par le Washington Institute.
Difficile de voir dans ce scrutin « plus qu’un jeu de chaises musicales », ajoutent-ils. Et les demandes de la contestation « ont peu de chances d’être satisfaites ».