Les thaïlandais manifestent contre le gouvernement…

Nabil El Bousaadi

Bravant une pluie ininterrompue en s’abritant sous des parapluies multicolores, plusieurs dizaines de milliers de thaïlandais de tous âges se sont rassemblés ce samedi dans la soirée près de l’ancien palais royal de Bangkok pour réclamer la démocratisation des institutions, une profonde réforme de la monarchie, la lutte contre la corruption, la réduction des inégalités, la fin du «harcèlement» des opposants politiques, la dissolution du Parlement, la révision de la Constitution de 2017 jugée trop favorable à l’armée, avec, bien sûr, en toile de fond, la démission du Premier ministre.

Pour rappel, malgré les renversements successifs du régime – 12 coups d’Etat depuis 1932 – la monarchie protégée par une des plus sévères lois de lèse-majesté au monde, est restée intouchable. Aussi, Panusaya Sithijirawattanakul, une importante figure de l’opposition, dira à ce propos que l’objectif des manifestants « n’est pas de détruire la monarchie mais de l’adapter » à la société thaïlandaise car bien au-delà de son statut de monarque constitutionnel, le souverain dispose, néanmoins, d’une influence considérable bien souvent exercée dans l’ombre. Raison pour laquelle, sur le plan des réformes de la monarchie, l’opposition réclame la non-ingérence du roi dans les affaires politiques, l’abrogation de la loi sur le lèse-majesté et l’incorporation des biens de la Couronne dans le patrimoine de l’Etat.

La manifestation de ce week-end qui, d’après des journalistes de l’AFP, a été le plus grand rassemblement depuis le coup d’Etat qui, en 2014, avait porté au pouvoir l’actuel Premier ministre, le général Prayut Chan-O-Cha, avait commencé en début d’après-midi sur le campus de la faculté de Thammasart cet endroit même où, en 1976,  plusieurs dizaines d’étudiants pro-démocratie étaient tombés sous les coups des forces de l’ordre aidées, dans leur macabre mission, par des milices ultra-royalistes.

Habitués aux contestations matées dans le sang, comme ce fut le cas en 1973, 1976, 1992 et 2010, les manifestants restent sur leurs gardes car même si, pour l’instant, tout s’est passé dans le calme, «il peut y avoir des tensions» comme l’a affirmé un manifestant en rappelant qu’à ce jour, plus de vingt militants sont poursuivis pour «sédition», un crime passible de sept années d’emprisonnement.

En début de soirée, les manifestants se sont dirigés vers Sanam Luang, une place faisant face au célèbre Grand Palais de Bangkok pour y passer la nuit avant d’aller dimanche matin manifester devant le siège du gouvernement.

Le lendemain matin, pour marquer leur passage et inscrire cette importante manifestation dans l’histoire du pays, les protestataires ont érigé, devant l’ancien palais royal de Bangkok, une  plaque commémorative déclarant qu’«à cet endroit, le peuple a exprimé sa volonté : que ce pays  appartient au peuple et n’est pas la propriété du monarque».

A signaler qu’une plaque installée depuis de nombreuses années, dans le centre de Bangkok, pour célébrer la fin de la monarchie absolue en 1932, avait été retirée, dans des conditions mystérieuses, peu de temps après l’accession au trône de Maha Vajiralongkorn qui avait succédé son père «le vénéré roi Bhumibol» après sa mort en 2016. Personnalité fortement controversée dont les fréquents séjours en Europe, même en pleine pandémie du nouveau coronavirus, ont soulevé bien des interrogations, l’actuel souverain a pu, en peu d’années, renforcer les pouvoirs d’une monarchie déjà toute puissante et récupérer le contrôle de la fortune royale.

Les réformes demandées et ayant trait notamment à la réforme de la monarchie et à la révision de la Constitution aboutiront-elle à cette monarchie parlementaire que les thaïlandais appellent de tous leurs vœux ? Attendons pour voir…

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