“Lire” un film

Parler de lecture de film est un exercice qui s’inscrit, au moins, dans une double demande.

Une demande de plus en plus institutionnelle, émanant principalement de l’école qui veut faire de l’analyse filmique en particulier et de l’initiation  au langage audiovisuel en général, l’expression de sa nouvelle démarche qui consiste à s’ouvrir sur les signes qui composent l’environnement immédiat de l’apprenant avant même qu’il accède à l’institution scolaire. Mais l’analyse de l’image est également une demande «citoyenne» : de plus en plus de parents veulent être outillés en termes «cinématographiques» pour pouvoir accompagner la forte consommation en images de leurs enfants. On consomme beaucoup d’images en famille y compris des images de fiction. Les feuilletons, les séries mais aussi beaucoup de longs métrages. L’offre étant de plus en plus nombreuse et variée, non seulement en termes de genres mais aussi en termes de supports de diffusion : le téléchargement, le dernier-né  ayant déjà le vent en poupe chez de nombreuses catégories sociales surtout avec les systèmes de distribution et de location en vigueur. Il s’agit alors de «consommer» intelligent. Une posture pédagogique en somme.

On peut dire qu’il n’y a pas de grille définitive de lecture de film : on peut parler plutôt de plusieurs grilles avec de multiples critères, y compris le critère premier de l’impression, du feeling qui ouvre la voie à d’autres niveaux d’interprétation.

On peut cependant défendre certaines hypothèses susceptibles de doubler le plaisir du «voir» par le plaisir du «lire».

La finalité de ce méta-discours (comprendre : discours sur le discours) étant toute simple : faire prendre conscience des immenses possibilités offertes par le langage cinématographique et dont dispose le réalisateur pour nous offrir du récit, du sens, du plaisir. Cela concerne donc l’agencement d’une histoire, la création d’une tonalité particulière avec in fine une vision du monde. A l’école, chez le professeur de français par exemple, au ciné-club, ou tout simplement en famille, on peut s’amuser à décrypter les notions techniques élémentaires (plans, angles de prises de vues, cadrages, mouvements de la caméra, accompagnement sonore). On peut s’initier à la grammaire du montage pour découvrir comment se «fabrique» le rythme d‘une série américaine ou d’un film égyptien : la rapidité des plans là, la longueur d’une séquence ici. On découvrira très vite que les enfants adorent et adhèrent. Ils sont imbattables pour distinguer un rythme.

Des travaux d’une grande qualité didactique ont permis de synthétiser ces éléments composites dans l’approche d’un film. Pour Francis Vanoye, par exemple, «lire» un film est un acte pluriel qui consiste à percevoir une série de données :

D’abord de la langue écrite. Effectivement, c’est presque évident mais un film est traversé d’écrits qui sont souvent de véritables messages qui viennent compléter ou contredire les autres signes présents dans le plan : au-delà du générique, cela peut être une enseigne, une affiche, une inscription murale. Je cite de mémoire M. le maudit de Fritz Lang, ou Bidaya oua Nihaya de Salah Abou Seif. Les personnages apparaissent avec en arrière fond du «texte» qui dit et qui informe.

Un film c’est donc de l’écrit mais c’est aussi du parlé; depuis 1927, c’est même parfois une composante envahissante, je veux dire les dialogues. Mais il faut les écouter non seulement comme indices mais aussi comme symboles et les interroger dans leur fonction dramatique. Il y a aussi tout le gestuel et le mimique qui composent le langage du cinéma ; parfois cela permet de distinguer une cinématographie par l’emphase qui caractérise l’interprétation de ses comédiens. Le mimique et le gestuel peuvent donner une indication sur le genre (la comédie, par exemple) ou sur une époque donnée.

Et puis un film c’est surtout des images : une éducation du regard permet à l’œil de saisir toutes les finesses et la variété de la composition plastique, dramatique ou narrative de l’image. Le contenu, l’échelle des plans, le mouvement d’appareil…signifient, y compris quand ils n’ont pas cette prétention : un plan statique n’en est pas moins éloquent. Là aussi une approche comparative est porteuse de vertus didactiques : qu’est-ce qui se passe le temps d’un plan américain comparé à un plan français ou iranien ? C’est toute une esthétique qui ressort à travers l’agencement des plans.

On peut revenir aussi sur les autres composantes de la bande-son : en plus des dialogues, il y a tous les bruits et les musiques qui contribuent à la construction du discours du film, en contribuant en particulier à créer une ambiance, et une atmosphère.

Il me semble pertinent, enfin, d’établir une certaine hiérarchie au sein de ces éléments à travers la distinction essentielle entre codes cinématographiques et codes extra-cinématographiques : le montage, le travelling, par exemple, sont du cinématographique. Les paroles, le décor…sont extracinématographiques. Cela permet de dire si un film relève du cinéma ou si c’est un simulacre. La pédagogie sert aussi à dénoncer le faux et l’imitation.

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