Pour une unification cohérente et efficace

Les institutions représentatives du personnel au sein de l’entreprise

2ème partie

Les institutions/instances représentatives du personnel sont des organisations intra-entreprises qui sont formées dans et pour l’entreprise. Certaines sont obligatoires, d’autres sont facultatives. Leurs membres peuvent être, élus ou désignés ou parfois certains sont élus d’autres désignés.

Le législateur a essayé d’institutionnaliser la présence syndicale au sein de l’entreprise en répondant favorablement aux doléances syndicales. Dans l’ancienne législation du travail, l’action syndicale était engagée de l’extérieur de l’entreprise. Les bureaux syndicaux étaient marginalisés et ne jouissaient d’aucune protection législative. Cette situation a duré jusqu’à l’interpellation au sein de la Commission de l’application des normes sur la question de la mise en œuvre de la convention internationale du travail (n° 98), sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949. La pression exercée sur le gouvernement l’a poussé à adopter une loi n°11-98 du 15/2/2000 pour incriminer l’atteinte à la liberté syndicale, l’entrave à son exercice.

Les représentants syndicaux dans les grands établissements

L’élaboration du code du travail a été l’occasion surtout pour les syndicats de renforcer la voie juridique la présence des syndicats au sein des entreprises occupant plus de 100 salariés.

L’article 470 du code du travail permet au syndicat le plus représentatif ayant obtenu le plus grand nombre de voix aux dernières élections professionnelles au sein de l’entreprise ou de l’établissement ont le droit de désigner, parmi les membres du bureau syndical dans l’entreprise ou dans l’établissement, un ou des représentants syndicaux.

Leur nombre est fixé comme suit et en fonction des effectifs des établissements /entreprises :

 De 100 à 250 salariés 1 représentant syndical ;

 De 251 à 500 salariés 2 représentants syndicaux ;

De 501 à 2000 salariés 3 représentants syndicaux ;

 De 2001 à 3500 salariés 4 représentants syndicaux ;

 De 3501 à 6000 salariés 5 représentants syndicaux ;

Plus de 6000 salariés 6 représentants syndicaux.

Les missions des représentants syndicaux sont fixées par l’article 471 du code du travail et sont exercées au sein de l’entreprise. Ils sont chargés de fonctions de revendication, de négociation, de conclusion de conventions collectives et de participation au règlement des conflits collectifs.

Pour permettre à ces représentants d’exercer ces fonctions et le législateur les a dotés d’une protection et de moyens d’actions. Aux termes de l’article 472, ils « bénéficient des mêmes facilités et de la même protection dont bénéficient les délégués des salariés en vertu de la présente loi », c’est-à-dire, le code du travail.

Cette institution qui s’inspire de l’expérience française en matière de « section syndicale » mise en place en 1968, connait un échec au Maroc malgré la volonté du législateur tendant à institutionnaliser la présence syndicale au sein de l’entreprise en donnant consécration en quelque sorte à la notion de syndicat majoritaire.

 Article 474 L’infraction aux dispositions du présent titre est punie d’une amende de 25.000 à 30.000 dirhams.

Si les différentes institutions représentatives sont prévues dans le code du travail applicable à l’industrie, aux services, au commerce, à l’artisanat et à l’agriculture, dans l’entreprise minière, il y a « la commission du statut et du personnel » et « les délégués des salariés ».

La Commission du statut et du personnel est mixte. Elle est composée de représentants du personnel qui sont élus et de représentants de l’administration désignés. Les délégués à la sécurité sont élus dans les grandes entreprises (plus de 3000 salariés) par le personnel. Ces instances ont besoin elles aussi de restructuration et de réaménagement de manière à en faire un acteur collectif efficace, compètent et polyvalent et investi de missions économiques sociales et techniques au sein des entreprises minières.

Dans le cadre du travail maritime, la convention sur le travail maritime (MLC), 2006, insiste sur la nécessité, lorsque des activités en matière d’hygiène et de sécurité sont menées au niveau des   compagnies, d’envisager la représentation des gens de mer dans tout comité de sécurité à bord des navires de l’armateur en question.

Au Maroc, jusqu’à présent, les gens de mer ne bénéficient pas du droit à la représentation professionnelle élue reconnu à toutes les autres catégories de travail. Le seul mode de représentation est la représentation syndicale.

Une pluralité source d’enjeux et d’inefficacité

En dépit de l’affirmation par l’article 473 que « en cas de présence des représentants des syndicats et de délégués élus dans un même établissement, l’employeur doit, chaque fois que de besoin, prendre les mesures appropriées pour d’une part, ne pas user de la présence des délégués élus pour affaiblir le rôle des représentants des syndicats et d’autre part, encourager la coopération entre ces deux parties qui représentent les salariés »,

Pour une unification des IRP au sein de l’entreprise

Dans les secteurs industriel, tertiaire, artisanal et agricole, les institutions représentatives du personnel sont nombreuses alors qu’elles sont insuffisantes dans le secteur minier et quasi-inexistantes dans le secteur du travail maritime.

Celles prévues par le code du travail connaissent beaucoup de limites dans leur implantation, leur fonctionnement, leur organisation et dans et leur action. D’où la nécessité et l’urgence de leur unification. Celles prévues par le droit du travail minier et par le code du commerce maritime doivent être restructurées à la lumière des normes internationales du travail.

Les limites des IRP actuelles

Les syndicats et les délégués des salariés sont plus enracinés dans les entreprises que le comité d’entreprise, le comité de sécurité et d’hygiène et les représentants syndicaux dans les établissements employant 100 salariés et plus.

Les syndicats sont jaloux de leurs rôles dans le droit et dans la pratique. Les délégués des salariés se sont accaparés un rôle qu’ils n’ont pas sur le plan juridique. Ils se substituent de fait parfois aux syndicats en matière de consultation et de négociation collective. Le code du travail leur reconnait un rôle accru

Dans le contexte actuel, dans différentes activités, la pluralité des statuts précaires ne favorise pas les   communautés de travail et le tissage d’un lien social.

Les syndicats les plus représentatifs au sein de l’entreprise qui ont obtenu le plus grand nombre de voix sont habilités à désigner leurs représentants syndicaux en vertu des conditions précitées. Toutefois, malgré la valorisation du statut de ces représentants notamment quant à leur protection et à leur moyen d’action et étant que les syndicats ne sont pas tenus de procéder à la désignation de leurs représentants syndicaux auprès des employeurs concernés, les syndicats concernés s’abstiennent de procéder à cette désignation. D’après certains syndicalistes, le refus de désignation des représentants syndicaux s’explique par la volonté du syndicat d’agir en tant que bureau syndical interlocuteur de l’employeur et non pas par le biais des représentas qui peuvent domestiqués par les employeurs.

 Cette attitude ne favorise pas la mise en place des deux institutions représentatives du personnel, le comité d’entreprise et le comité de sécurité d’hygiène qui ont parmi leurs membres, les représentants syndicaux.

Les deux autres instances dont la mise en place est obligatoire, en l’occurrence, le comité d’entreprise et le comité de sécurité et d’hygiène n’ont pas connu d’application importante.  

L’expérience française 

En France, L’ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017 relative à la nouvelle organisation du dialogue social et économique dans l’entreprise refond les deux premiers titres du Livre III de la seconde Partie du Code du travail relatif aux institutions représentatives du personnel.  Ce texte juridique a bouleversé des textes juridiques qui existent depuis 1945 en substituant aux trois anciennes institutions de représentation existantes (le comité d’entreprise, les délégués du personnel et le comité de sécurité d’hygiène et de conditions du travail), une instance unique : le Comité Social et Economique (CSE).

En application de l’article L 2311-2 du code du travail « un comité social et économique est mis en place dans les entreprises d’au moins onze salariés ».

Ses attributions sont définies en fonction des effectifs des établissements (établissements de moins de 50 salariés, établissements d’au moins 50 salariés.

En application de l’article L2312-5, dans les établissements de moins de 50 salariés, la délégation du personnel exerce des missions de revendication, de promotion de la santé et la sécurité au travail, le droit d’alerte. Elle peut être reçue, dans certaines circonstances par le conseil d’administration. Elle peut saisir l’inspection du travail de toutes les plaintes et observations relatives à l’application des dispositions de la législation du travail.

Quant aux attributions du comité social et économique dans les établissements d’au moins 50 salariés, elles sont définies par l’article L2312-8 comme suit :

  • Assurer « une expression collective des salariés permettant la prise en compte permanente de leurs intérêts dans les décisions relatives à la gestion et à l’évolution économique et financière de l’entreprise, à l’organisation du travail, à la formation professionnelle et aux techniques de production,
  • Il est informé et consulté sur les questions concernant l’organisation, la gestion et la marche générale de l’entreprise,
  • Il exerce également les missions prévues pour les CSE des établissements de moins de 50 salariés.
  • Dans le domaine de la santé et la sécurité, le CSE, procède à l’analyse des risques professionnels auxquels peuvent être exposés les travailleurs, notamment les femmes enceintes, ainsi que des effets de l’exposition aux facteurs de risques professionnels ;contribue notamment à faciliter l’accès des femmes à tous les emplois, à la résolution des problèmes liés à la maternité, l’adaptation et à l’aménagement des postes de travail afin de faciliter l’accès et le maintien des personnes handicapées à tous les emplois au cours de leur vie professionnelle ; et peut susciter toute initiative qu’il estime utile et proposer notamment des actions de prévention du harcèlement moral, du harcèlement sexuel et des agissements sexistes.
  • La composition du CSE comprend l’employeur et une délégation du personnel élue par les salariés et des représentants syndicaux.

L’employeur peut être assisté de collaborateurs.

Au sein des entreprises d’au moins 50 salariés, le CSE est obligatoirement présidé par le chef d’entreprise ou son représentant, assisté éventuellement de trois collaborateurs de l’employeur, salariés de l’entreprise (ils ont voix consultative). Le chef d’entreprise peut déléguer la présidence à un représentant qui sera alors investi des mêmes pouvoirs et des mêmes responsabilités vis-à-vis du comité

Dans celles occupant moins de 50 salariés, l’employeur et ses collaborateurs ne peuvent pas être en nombre supérieur à celui des représentants du personnel titulaire.

La délégation du personnel est élue par les salariés. Elle est composée du même nombre de titulaires que de suppléants.

Concernant les représentants syndicaux, il faut distinguer deux situations :

 Dans les entreprises de moins de 300 salariés et dans les établissements appartenant à ces entreprises, c’est le délégué syndical qui est de droit représentant syndical au CSE d’entreprise ou d’établissement

Dans celles d’au moins 300 salariés, chaque organisation syndicale a la possibilité de désigner un représentant aux CSE d’entreprise, CSE d’établissement et CSE central distinct du délégué syndical dès lors qu’elle est représentative dans l’entreprise ou l’établissement, même si elle n’y a pas d’élus.

Pour un acteur collectif crédible

Dans une seule entreprise, les institutions peuvent être un ou deux syndicats les plus représentatifs, plusieurs bureaux syndicats dans la mesure où le système syndical marocain comprend environ une trentaine de syndicats, les représentants syndicaux dans les entreprises employant au moins 100 salariés, les délégués des salariés, le comité d’entreprise et le comité de sécurité et d’hygiène.

Au sein des entreprises, les enjeux sont nombreux d’où les rivalités entre ces institutions représentatives du personnel. Les syndicats les plus représentatifs qui obtiennent le plus grand nombre de voix lors de l’élection professionnelle ne désignent pas leurs représentants syndicaux. En cas de présence de deux syndicats les plus représentatifs, ils ne coordonnent pas leur action pour promouvoir la négociation collective.

L’institutionnalisation de la fonction consultative au sein de l’entreprise dans le code du travail est incohérente. Elle est confiée à plusieurs institutions représentatives du personnel, parfois aux délégués des salariés, parfois aux représentants syndicaux, parfois au comité d’entreprise.

Dans certaines circonstances, le comité d’entreprise se substitue aux délégués des salariés.

Dans le domaine de la négociation collective, au cas où aucun syndicat n’aurait la qualité de syndicat le plus représentatif, aucune convention collective typique ne pourrait être signée.

Cette pluralité institutionnelle et sa diversité affaiblissent le pouvoir syndical/ ouvrier au sein de l’entreprise,

Par ailleurs, il convient de souligner que chaque institution représentative est jalouse de ses attributions. Souvent il y a les attributions confiées aux instances représentatives du personnel sont exercées de manière confuse.

En outre, les deux nouvelles instances représentatives du personnel le comité d’entreprise et le comité de sécurité et d’hygiène ne sont pas créés dans beaucoup d’entreprises notamment dans le secteur agricole. Cette situation peut s’expliquer par la rareté des œuvres sociales qui peuvent être gérées par le comité d’entreprise sont gérées par des comités des œuvres sociales (COS) crées de manière ad hoc ou dans des conventions collectives.

 Elle s’explique aussi par la non-institution du bilan social dont l’examen est une attribution de ses attributions, le non- développement de la formation et de la formation continue et de la gestion unilatérale des entreprises, c’est-à-dire, sans l’association des institutions représentatives du personnel.

Enfin, cette pluralité institutionnelle décourage les chefs d’entreprises à gérer toutes ces instances surtout en cas de surenchère entre elles et d’absence de coopération dans l’intérêt économique et social. L’enjeu électoral représenté par l’élection des représentants des syndicats à la chambre des conseillers dont l’électorat est composé entre autres des délégués des salariés élus stimule la concurrence syndicale au sein des entreprises. Les délégués des salariés (délégués élus) dépassent parfois leurs attributions et se positionnent en tant qu’interlocuteur des employeurs, des négociateurs et des acteurs qui contribuent au règlement des conflits collectifs.

Comment peut-on unifier les institutions représentatives du personnel de manière en faire un interlocuteur crédible, cohérent et efficace au services des intérêts communs économiques et sociaux.

Unification des IRP

Différentes formulées peuvent être proposées pour l’unification des institutions représentatives du personnel. Elles doivent être acclimatées aux contextes nationaux (nature des systèmes de relations professionnelles, la structure économique, les croyances culturelles, le système syndical, les formes du dialogue social, les spécificités nationales ….

L’exemple français représente une formule dont il est possible de s’en inspirer pour unifier les institutions représentatives du personnel dans le contexte marocain. Cette inspiration peut trouver sa justification dans la similitude et le rapprochement entre les systèmes de relations professionnelles français et marocain. L’unification des institutions représentatives du personnel (comité d’entreprise, comité d’hygiène de sécurité et de conditions de travail) en France en un organe le comité social et économique. Il s’agit d’un regroupement dans une nouvelle institution représentative du personnel.

Le CSE reprend les fonctions des anciennes institutions représentatives du personnel. L’intégrité des leurs rôles est confiée à cette nouvelle institution.

Cette nouvelle formule a pour avantage de garantir la simplicité du système de représentation professionnelle, sa cohérence et son exclusivité. Elle favorise l’harmonisation des rôles et taches qui, avant étaient disséminés. Le comité social et économique devient polyvalent en développant ses compétences dans les questions sociales, économiques, de santé et sécurité au travail, de négociation collective et de consultation. Il peut également favoriser la dynamique du dialogue social au sein de l’entreprise et sa restructuration. L’unification des IRP en France rationalise les budgets de fonctionnement et les budgets alloués aux œuvres sociales.

Au Maroc, le système de représentation professionnelle au sein de l’entreprise est protéiforme. Il comprend les délégués des salariés dans les établissements employant habituellement dix salariés ou dans moins de dix salariés en accord entre l’employeur et les salariés (qui peuvent avoir ou non des appartenances syndicales,) plusieurs bureaux syndicaux avec ou non des syndicats les plus représentatifs, le comité d’entreprise et le comité de sécurité et d’hygiène dans les établissements occupant au moins 50 salariés. La mise en place des nouvelles institutions surtout le comité d’entreprise n’ont pas connu une application importante. Leurs outputs sont insignifiants (pas d’archivage de leur fonctionnement, de leur action, de leurs rapports ou d’enquêtes…). Il urge donc de dialoguer sur la question de l’uniformisation des institutions représentatives du personnel dans le cadre de restructuration du dialogue social bipartite au sein de l’entreprise. Le but étant donc de les simplifier les institutions, de les réduire cohérents, efficaces et productifs. Parmi les formules pouvant être adoptées pour la concrétisation de cet objectif d’uniformisation dans le contexte marocain, il y a la commission/mixte /paritaire comprenant des délégués élus des représentants des syndicats les plus représentatifs dans les grands établissements occupant 100 salariés et plus (les représentants syndicaux) et, et les représentants des syndicats dans les établissements de moins de 100 salariés et les représentants de l’entreprenants de l’entreprise. Cette commission peut être investie de fonction de revendication individuelle et collective, de négociation collective, de consultation et accomplira toutes les attributions reconnues aux comités d’entreprise et aux comités de sécurité et d’hygiène qui seront supprimés.

Dans cet environnement, deux instances de représentation du personnel suffisent les délégués des salariés et la création des syndicats. L’uniformisation se fait donc dans une seule instance représentative du personnel groupant les différentes instances actuelles et formant un acteur collectif efficace.

Conclusion

Les institutions représentatives du personnel au sein des entreprises constituent des instruments de la démocratie sociale, de la démocratie participative et de l’instauration de la justice sociale dans les relations du travail. Elles contribuent à l’humanisation du travail, à l’amélioration de l’efficacité économique. La restructuration des institutions représentatives à l’échelon des secteurs industriel, agricole et tertiaire, minier et maritime s’impose en vue de leur unification pour un faire un instrument représentatif des salariés et efficace dans l’exercice de ses missions.

Dans le cadre de l’accord social tripartite, les jalons des reformes se précisent. Parallèlement à l’institutionnalisation du dialogue social hors de l’entreprise, il convient de revoir l’institutionnalisation du dialogue social au sein de l’entreprise quant à la forme de l’organisation de la représentation et à la réforme du code électoral professionnel.

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