Conférence à distance avec I. Alaoui, N. Mounib et A. Belghiti Alaoui
Mohamed Khalil
A l’occasion du bicentenaire (le 18 mai 1883) de la naissance de Karl Marx, la section de Temara de l’Association marocaine des enseignants de philosophie, en partenariat avec les sections de Settat et Béni Mellal, a organisé, mercredi soir, une conférence-débat, à distance, sur la thématique «Avons-nous besoin de Marx, aujourd’hui ?».
Ont pris part à ce débat Ismaïl Alaoui, ancien Secrétaire général du PPS, Nabila Mounib, Secrétaire générale du PSU, et Abdallah Belghiti Alaoui, directeur de la publication de la revue «Al Azmina Al Haditha», la conférence étant modérée par le Pr Radouane Aït Azza.
Depuis le bicentenaire de la naissance du grand philosophe et économiste, il y a 14 mois, les débats se multiplient en Allemagne et dans le monde sur sa pensée et sa confrontation à la réalité d’aujourd’hui.
Nos trois conférenciers à distance ont tenté, tour à tour, de mettre en valeur l’apport du théoricien de la lutte des classes et du plus grand critique, de tous temps, du capitalisme.
Il est vrai qu’un tel débat reste très vaste, à défaut d’un canevas rigoureux, en raison de la dispersion des idées et de l’interférence entre les quatre axes pourtant préalablement établis.
Il est vrai que chez nous, à force d’avoir oublié les grands débats de la fin de la décennie 1960 et début de la suivante, le rappel, par les trois conférenciers, des fondamentaux du marxisme et du grand apport de Karl à la théorie révolutionnaire, était d’un grand intérêt pour l’assistance qui a suivi le débat, virtuellement.
Il est vrai aussi que Marx, en visionnaire, avait séduit des générations d’intellectuels et d’ouvriers qui ont cru en le triomphe inéluctable sur le capitalisme et l’instauration, progressive, du communisme, avec le socialisme comme étape transitoire.
Le débat est revenu à chaque crise, depuis l’effondrement du système et sa communauté socialistes. En 2008, avec la crise systémique, et en 2020 avec la crise sanitaire du corona et ses graves conséquences sur le système économique mondial.
C’est, plus particulièrement dans ce contexte post-crise mondiale, que les penseurs et intellectuels peuvent penser la valeur de la théorie marxiste. Car, tout ce que Karl Marx avait critiqué et dénoncé, il y a deux siècles, garde toujours son actualité. Même si, entretemps, le progrès économique et industriel a fait des pas de géant, tout en provoquant les mêmes maux que Marx avait fortement mis à nu.
Marx n’est pas mort
Nul ne peut, aujourd’hui contester l’actualité brûlante de la justesse de la théorie marxiste, de ses concepts et outils d’analyse du capitalisme. Car l’exploitation, durant ces temps modernes, est aussi farouche qu’il y a plus d’un siècle.
Et si l’on accorde un grand crédit à la macro-histoire à laquelle il a contribué avec brio, la réalité a démontré qu’il était à côté de la plaque (avec tout le respect que l’on lui doit et aux valeurs morales qu’il a défendues et qu’il nous a inculquées) en ce qui concerne l’inéluctabilité de la transformation du capitalisme en communisme. Sachant que son analyse sur les différents modes de production, depuis l’antiquité jusqu’au XIXe Siècle n’a d’égal et reste d’une très grande valeur historique.
Marx s’est distingué par l’analyse scientifique, en décortiquant la production capitaliste. Personne n’a fait autant et mieux et sa théorie reste valable au même titre que les concepts défendus.
Les trois conférenciers nous ont fait revivre la mémoire avec des concepts qui n’avaient pas disparu mais qui étaient de moins en moins utilisés. Cela va de propriété privée, à la force de travail, en passant par la plus-value, le déterminisme, la dialectique…
Un grand mérite
Jamais un penseur n’avait réussi à démanteler le système capitaliste pour en connaître les tréfonds et les mécanismes.
Le mérite de Marx est énorme. Le monde d’aujourd’hui lui doit énormément de progrès, notamment en matière de progrès social et de «lutte des classes».
Jamais le capitalisme ne s’est senti à l’abri des convulsions sociales et devait, à chaque fois présenter des concessions sous forme d’acquis aux travailleurs, sous peine d’une menace de disparition.
D’ailleurs, nos trois conférenciers et chacun dans son style, ne se sont pas enfermés dans le carcan théorique. Ils ont essayé d’aborder l’actualité marxiste à la réalité d’aujourd’hui, sur le plan national, régional et international.
Ils ont souligné que la force du marxisme réside, aujourd’hui, dans le retour en force du capitalisme, avec le néo-libéralisme sauvage, l’extension globale et globalisante de la pauvreté dans le monde, au point que le fameux slogan «Prolétaires de tous pays, unissez-vous» risque de se reproduire…
Car, comme la dialectique le résume si bien, la lutte des contraires finit par la transformation des contraires en leurs contraires…
La crise des gilets jaunes en France, avec les manifs des retraités, des enseignants, des policiers, du corps médical en est un signe avant coureur, dans un monde devenu fortement complexe.
Chez nous, nos conférenciers ont cité bien des noms qui ont contribué au développement du marxisme dans notre pays.
Pour Ismaïl Alaoui, comme pour Alaoui Belghiti, le grand apport de feu Aziz Belal à la pensée marxiste est indéniablement la mise en avant des facteurs non-économiques au service du développement économique, en laissant de côté la seule «infrastructure qui détermine la superstructure et non l’inverse».
Le président du Conseil de la Présidence du PPS a également rappelé d’autres noms qui ont contribué au développement du marxisme dans notre pays, notamment Paul Pascon, avec ses analyses sur les modes de production et les structures socio-économiques au Maroc, Abdellah Laroui, même avec «un angle Gramcien» …
Nabila Mounib a essayé, pour sa part, de centrer son analyse sur la nécessité d’une vision claire pour faire face au néo-libéralisme qui poursuit ses ravages et appelle à une lutte des classes, avec une théorie claire afin de réussir le changement.
Alaoui Belghiti, a ratissé plus large pour proclamer certaines vérités historiques, liées particulièrement à l’expérience des pays de l’ex communauté des pays socialistes et celle de partis ouvriers et communistes, notamment dans le monde arabe, le Liban tout particulièrement.
En fins connaisseurs du marxisme et de la pensée humaine, les trois conférenciers ont loué aussi les qualités hautement humaines de Marx qui ne cherchait, au fond, que le bonheur général de toute l’humanité, face à la course effrénée vers l’individualisme et le cynisme, devenues les «nouvelles» valeurs d’aujourd’hui.