«La reconnaissance du «Nouvel An Amazighe» serait un acquis légitime»

Entretien avec Ahmed Boukous, recteur de l’IRCAM

Propos recueillis par Mohamed Nait Youssef

Une réclamation légitime. Des voix des acteurs amazighs et de la classe politique nationale se sont levées ces dernières années pour reconnaitre Yennayer, nouvel an amazigh, célébré chaque 13 janvier, comme fête nationale.

Comme à l’accoutumée, et au-delà de la célébration, les composantes du tissu associatif amazigh ne manquent pas cette date importante dans le calendrier des Imazighens pour dresser le bilan de l’amazighe dans la vie publique.

«La reconnaissance du «Nouvel An Amazighe» serait un acquis légitime en parfaite cohérence avec la ligne politique de notre pays en matière de droits culturels, consacrés du reste par la Constitution et par les lois afférentes à la promotion de l’amazighe. », nous  affirme Ahmed Boukous, recteur de l’Institut Royal de la Culture Amazighe (IRCAM).

Certes, cette année exceptionnelle marquée par la pandémie de la Covid-19  a eu un impact  négatif sur tous les secteurs dont l’amazighe. Or, beaucoup de lois organiques ont été adoptées dont essentiellement la Loi 16-26 qui définit les étapes et les domaines de la mise en œuvre du caractère officiel de l’amazighe ou encore la Loi 04-16 concernant la fondation du Conseil national des langues et de la culture marocaine. Entretien.

Al Bayane : Yennayer, nouvel an amazigh, célébré chaque 13 janvier, est désormais un rituel annuel, une date importante fêtée en grande pompe par les Amazighs d’ici et d’ailleurs vu sa dimension à la fois symbolique, culturelle et historique. En effet, au-delà de la célébration, le tissu associatif, les acteurs amazighs et la classe politique nationale appellent chaque année à reconnaitre Nouvel An amazigh comme fête nationale. À vrai dire, l’attente se fait longue. A votre avis, est-il temps de réclamer ce jour férié, chômé et payé ?

Ahmed Boukous : Il est certain que la reconnaissance du «Nouvel An Amazighe» serait un acquis légitime en parfaite cohérence avec la ligne politique de notre pays en matière de droits culturels, consacrés du reste par la Constitution et par les lois afférentes à la promotion de l’amazighe. En attendant, souhaitons à toutes et à tous une bonne et heureuse année 2971. Asggwas amaynu ighudan !

La pandémie de la Covid-19 a changé le visage du monde. Ainsi, l’année précédente a été exceptionnelle sur tous les plans. Quel bilan dressez-vous de la situation de l’amazighe en 2020 ?

La gestion de la pandémie de la Covid-19 est un défi pour l’humanité entière, notamment pour les gouvernements, les entrepreneurs, et les citoyens en général. Tous les secteurs sont impactés, et notamment celui de la culture. Pour ce qui concerne l’IRCAM, grâce à l’engagement de toutes et de tous et grâce et à l’esprit de discipline collective, nous avons pu surmonter le pic de la pandémie en prenant les mesures nécessaires et en adoptant la formule du télétravail pour les chercheurs et celle du travail en alternance pour le personnel administratif.

L’IRCAM a également pris ses responsabilités en tant qu’institution citoyenne en prenant en charge les tests de dépistage du personnel. Nous avons aussi apporté un soutien financier substantiel au Fonds Covid-19, à titre institutionnel et à titre individuel. Concernant la situation de l’amazighe, il est certain que les artistes, toutes expressions confondues, ont dramatiquement souffert de l’arrêt de leurs activités. Heureusement pour certains, l’IRCAM et le ministère de la culture et de la communication ont continué à apporter leur soutien, qui n’est pas toujours suffisant hélas.

D’après vous, quels sont les moments forts qui ont marqué l’année qui s’achève ?

L’année qui s’achève a vu l’adoption de la panoplie de lois organiques tant attendues, notamment la Loi 16-26 qui définit les étapes et les domaines de la mise en œuvre du caractère officiel de l’amazighe, la Loi 04-16 qui consacre la fondation du Conseil national des langues et de la culture marocaine et la Loi-cadre 51.17 relative à la réforme du système national d’éducation et de formation.

Ces lois constituent le cadre référentiel qui a fait défaut jusqu’ici à la mise en œuvre effective des dispositions constitutionnelles relatives à l’officialisation de l’amazighe. Il reste maintenant à promulguer les décrets d’application afférents, l’intégration appropriée de l’amazighe dans les politiques publiques et l’exécution des mesures de promotion de l’amazighe dans les plans d’actions des institutions concernées. En d’autres termes, nous avons les lois qu’il faut, il reste à les appliquer à bon escient dans le respect de l’esprit de la Constitution.

Le débat sur la «dissolution» de l’IRCAM a occupé une place importante dans les milieux politiques, associatifs et culturels amazighs notamment après 20 ans d’expérience et d’existence de cette institution. En outre, beaucoup d’acteurs amazighs ont appelé à ne pas phagocyter cette institution de référence parce que son absorption par le CNLCM aura des impacts négatifs sur l’Amazighe. Qu’en pensez-vous ? Et quels sont les enjeux auxquels fait face l’IRCAM aujourd’hui ? Et quel avenir pour cette institution après la création du CNLCM ?

L’adoption de la Loi 04-16 concernant l’institution du Conseil national des langues et de la culture marocaine est un fait, nous attendons la mise en place des structures dudit Conseil. Il n’a plus d’état d’âme à avoir ni à entretenir, c’est fait acté. Maintenant, il faut passer à la suite, c’est-à-dire la préparation à la situation dans laquelle l’IRCAM fera partie du Conseil aux côtés d’autres institutions, notamment l’Académie de la langue arabe. Il appartiendra au staff et au personnel chercheur et administratif de l’IRCAM de continuer à être performants pour une meilleure promotion de la langue et de la culture amazighes. Aujourd’hui, nous persévérons dans la continuité. C’est la voie qui a été celle des fondateurs, elle a fait ses preuves… malgré quelques aléas de parcours.

La pandémie a créé une situation exceptionnelle ayant impacté plusieurs domaines, dont l’enseignement bien entendu.  La rentrée scolaire de cette année, en ces temps de pandémie, à l’instar des années précédentes, n’a pas connu, hélas, de nouveautés. Quel bilan faites-vous de l’enseignement de l’amazighe à distance, sachant que plusieurs acteurs associatifs ont pointé du doigt la régression de l’enseignement de l’amazighe dans l’école publique ?

Il est vrai que l’enseignement de l’amazighe a souffert de négligences depuis au moins trois lustres, des négligences qui ont évidemment impacté négativement le processus de généralisation. Aujourd’hui, le ministère de l’éducation reconnaît ces négligences et décide d’y pallier en s’engageant à initier un plan décennal devant comporter des mesures relatives à la révision du programme et des éditions des manuels scolaires  du primaire, la formation de mille enseignants d’ici 2022 ; la production de ressources numériques, le passage au secondaire collégial et qualifiant entre 2024 et 2030, l’instauration de l’évaluation couvrant l’amazighe dans le cadre du Programme de l’Evaluation des Prérequis, et la création de nouvelles filières d’études amazighes au sein de l’université. L’adoption effective de ces mesures devrait contribuer à débloquer la situation léthargique qui a prévalu jusqu’ici.

Quelles sont vos aspirations pour l’année 2971 ?

Je crois qu’il n’y pas de meilleures aspirations que la santé, la sérénité et le bonheur.

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