VI – Les mythes du sionisme (2ème partie) : la « diaspora »

Sionisme, antisionisme et antisémitisme

Mokhtar Homman

Dans un article précédent nous avons décrit le mythe d’un « peuple juif » qui serait équivalent aux peuples territoriaux. Ce mythe est construit sur une « diaspora juive » qui serait le fil continu d’un « peuple juif » ancestral. Nous allons voir que cette « diaspora juive » a aussi un contenu mythique. La « diaspora juive » a dû faire face au mythe de « l’antisémitisme universel », ce qui va produire le mythe « d’une terre sans peuple pour un peuple sans terre ».

La « diaspora »

Il y a peut-être eu une diaspora hébraïque volontaire ou imposée par les circonstances de l’époque, il y a vingt siècles lors de la prise de Jérusalem par les troupes romaines de Titus (mais était-ce la seule ? était-t-elle un évènement de masse ou étalé dans le temps ? est-ce une légende ?). La notion de « diaspora juive » comme unité pan historique est une notion destinée à confondre sémantiquement l’identification des Juifs comme des descendants des Hébreux. Enjambant allégrement vingt siècles – quatre-vingt générations ! – c’est historiquement, scientifiquement et entropiquement insoutenable. Tout au plus on peut effectivement considérer des diasporas multiples de populations juives expulsées en Europe, diasporas qui se liaient avec les Juifs et des non Juifs autochtones chez qui elles arrivaient, provoquant de nouveaux croisements ethniques, donnant un nouvel élan au mythe du « Juif errant ».

Sociologiquement, le terme diaspora de nos jours englobe les populations émigrées, et leur descendance sur deux ou trois générations, maintenant des liens familiaux, culturels et économiques avec leur pays d’origine. L’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM), une organisation de l’ONU, donne une définition extrêmement large définissant les diasporas comme « les migrants ou les descendants de migrants dont l’identité et le sentiment d’appartenance ont été façonnés par leur expérience migratoire et leur parcours » et de retenir l’existence d’une mémoire collective, d’un lien maintenu avec le pays d’origine, l’existence d’une forte conscience de groupe et un sentiment de parenté avec les autres diasporas du groupe.

Cette définition de l’OIM ne s’applique aux Juifs de manière universelle ni dans l’espace ni dans le temps. Il existe une multitude de diasporas juives issues de différentes peuplades à différentes époques, toutes européennes. Les populations juives dans le monde arabo-musulman n’ont connu de diaspora qu’avec l’apparition du sionisme qui les a arrachées à leur terre. Les Juifs ne sont pas tous issus « d’un pays d’origine » (soit la thèse sioniste) et formant une « diaspora » dans la réalité de nos jours. C’est un concept destiné à faire accepter une contre-vérité, ou une vérité caduque.

L’attachement religieux à Jérusalem et au Mur des Lamentations des Juifs est tout à fait respectable, mais cela ne rime pas avec origine d’une diaspora, car les membres d’autres croyances monothéistes sont aussi très attachés à Jérusalem, y font aussi des pérégrinations en « Terre sainte » et ont des lieux emblématiques comme l’Église du Saint-Sépulcre et la Mosquée Al-Aqsa. Comme le stipulait la résolution 181 de l’ONU, l’accès aux lieux saints de Jérusalem des trois religions monothéistes doit être garanti en tout temps pour tout croyant. Il n’y a aucune raison à l’exclusivité juive d’un attachement à Jérusalem et faire de cet attachement les racines d’une « diaspora ».

Cette « diaspora » est très importante pour les ressources humaines (l’aliya), le financement et l’influence internationale d’Israël. Beaucoup de Juifs, aux ancêtres habitant continument différents pays, se considèrent faire partie de la « diaspora » et c’est respectable, mais cela n’enlève rien à l’analyse précédente.

 « Le récit diasporique ne parvient pas à résoudre plusieurs problèmes élémentaires. Le plus visible d’entre eux est sans doute l’évidente diversité des sociétés constituant une diaspora qui n’en est au fond pas une. En effet, si être juif relevait d’une réalité ethnique, avec toute la plasticité et tout le flou que suppose la notion d’ethnie, on comprendrait mal pourquoi les juifs de la diaspora ont de telles similitudes culturelles, linguistiques, voire banalement physiques avec les populations non juives parmi lesquelles elles vivent » (1).

Par contre il existe une diaspora palestinienne, les réfugiés et leur descendance, qui remplit à 100% tous les critères objectifs de l’OIM. On peut aussi parler légitimement de diaspora marocaine en Israël, dont les arrières grands-parents sont tous enterrés au Maroc et qui remplit elle aussi les critères de l’OIM.

 « L’antisémitisme universel »

Un des ressorts systématiques du sionisme et ses alliés est l’accusation d’antisémitisme à l’égard de toute critique ou action contre les intérêts d’Israël. Cela est utile pour masquer la violence sioniste, s’attirer la sympathie et la solidarité, transformer une lutte juste de résistance en action répréhensible.

L’usage de ce ressort va au-delà de la tactique. Il répond à la certitude chez les Ashkénazes que l’antisémitisme au sein des sociétés chrétiennes européennes, est un antisémitisme généralisé, pérenne. L’idéologie sioniste, de culture ashkénaze, va étendre cet antisémitisme européen à l’universel, ce qui va imprégner toutes ses visions y compris chez les peuples n’ayant jamais versé dans l’antisémitisme. Nous verrons plus loin que ce fut l’un des facteurs dans la campagne d’émigration forcée des Arabes juifs, la propagande sioniste les inculquant de peurs infondées pour les arracher à leur milieu naturel et ancestral.

Évidemment les pays européens vont partager cette universalité, ayant été les acteurs de cet antisémitisme pendant des siècles et des siècles, dans une tentative aussi d’expier leurs crimes.

La réalité historique est que les Européens juifs trouvaient refuge en terre d’Islam pour échapper aux persécutions et à la suite des expulsions de différents pays européens, certains de ne pas subir les mêmes exactions qu’en Europe. La propagande sioniste dédouane donc les responsables réels de l’antisémitisme et accusent ceux qui ne le sont pas et qui au contraire étaient le refuge des Juifs persécutés.

Mais le sionisme n’utilise pas l’antisémitisme que pour accuser ses adversaires et innocenter ses actions. Rappelons la stratégie sioniste de regrouper tous les Juifs en Israël. L’antisémitisme réel, qui existe en Occident, est utile pour faire partir les Juifs des pays occidentaux vers Israël. Le sionisme a intérêt au développement d’actes antisémites. Il en provoque déjà en associant le Judaïsme au sionisme. Les autorités et les médias occidentaux poussent aussi dans ce sens en qualifiant souvent des actes dans la vie courante dont serait victime un Juif comme un acte antisémite, alors que la cause est ordinaire sans rapport avec la religion de la victime. En France, le CRIF a la main pour établir des statistiques inquiétantes d’actes antisémites dans le but de pousser les Français juifs à émigrer en Israël, ce que fait la propagande sioniste à chaque attentat antisémite réel. D’autant que depuis plusieurs années le solde du flux global des immigrations/émigrations d’Israël est négatif.

Le nouvel antisémitisme anti arabe

Depuis une quarantaine d’années on assiste en Occident a une montée réelle de l’islamophobie, de l’arabo-phobie. En corollaire cela permet une deshumanisation des Musulmans facilitant les guerres contre les pays arabo-musulmans. Les victimes arabes ou musulmanes comptent alors moins, alimentant la tolérance ou l’indifférence aux massacres à Gaza. Le but est le conditionnement des opinions publiques pour soutenir le sionisme et justifier les guerres au Proche-Orient, l’expropriation de la terre des Palestiniens, comme du temps des guerres coloniales.

Les médias d’extrême droite accusent systématiquement les populations immigrées musulmanes des actes antisémites, d’autres médias le laissent entendre. Pourtant, comme nous l’avons montré dans des articles précédents, l’antisémitisme est historiquement chrétien et européen puis nord-américain, pas musulman, pas arabe.

Le discours islamophobe va jusqu’à attribuer aux Musulmans, contre toute réalité historique, une idéologie antisémite, opérant ainsi une sorte de transfert de la réalité antisémite européenne vers les Arabes (qui sont des sémites !) et les Musulmans. « Faire de l’islam le creuset d’un antisémitisme moderne est au mieux une contre-vérité, au pire une effroyable manipulation » (2). C’est un axe idéologique déployé par Netanyahou qui veut absoudre l’Europe et les États-Unis de leur antisémitisme historique, dans l’intérêt d’affermir leur soutien et pour désigner un ennemi de « nature antisémite ». Dans son discours au 37ème Congrès sioniste mondial le 20 octobre 2015, il disculpait même Hitler de la « solution finale », faisant du mufti de Jérusalem le responsable des fours crématoires, une absurdité et un mensonge révoltants.

La montée d’actions contre les Juifs en Europe, contre leurs synagogues et leurs biens sont la conséquence de l’association par les sionistes eux-mêmes des Juifs du monde entier aux soldats et colons armés qui remplissent les écrans de télévision du monde, encourageant ainsi l’antisémitisme et les actions violentes en proportion chez les personnes les moins éduquées politiquement (3). La recrudescence d’actes antisémites est systématiquement liée aux accentuations des massacres de l’armée et des colons israéliens, « au nom du peuple juif », a fortiori en ce moment. D’ailleurs en France les pro-sionistes sont parfaitement conscients de cette relation de cause à effet, organisant dès le lendemain du 7 octobre des manifestations contre l’antisémitisme, avant même une recrudescence d’actes antisémites. Ce faisant, le sionisme utilise les actes antisémites pour créer un écran de fumée autour de ses crimes, ce qui confirme que le sionisme tire profit de l’antisémitisme réel.

C’est à partir de l’antisémitisme en Europe de l’Est que le sionisme va, à la fin du XIXe siècle, proposer la solution d’un départ de tous les Juifs vers une autre terre. Et de là, l’installation en Palestine.

« Une terre sans peuple pour un peuple sans terre »

« Une terre sans peuple pour un peuple sans terre », concept divulgué principalement par le sionisme chrétien dès 1836 : « un pays sans nation pour une nation sans pays » (4) – nie l’évidente existence continue des Palestiniens sur la terre de Palestine depuis plus de trois mille ans (5). Pour le sionisme juif, qui utilisera davantage le concept de « foyer national juif », les Palestiniens ne représentaient qu’un obstacle à leur projet d’installation, pas un peuple, pas des ayants-droits.

Le corollaire logique de la notion de « peuple juif », comme on l’a vu dans l’article précédent, est de lui « attribuer » une terre. D’où le « droit au retour » en Palestine pour tout Juif dans le monde, étant considéré descendant direct et exclusif, sans croisements, sans autres ascendants, des anciens Hébreux et Judéens. La Palestine serait donc la terre des Juifs, et seulement des Juifs. Ce « droit » est construit sur la base d’une référence biblique selon laquelle la terre de Palestine appartiendrait éternellement aux Juifs car octroyée par Dieu lui-même, soit le territoire des anciens royaumes d’Israël, de Judée et de Samarie.

Pourtant la région de ce qui fut la « Palestine romaine » (6) englobant ces territoires, était habitée en partie d’Hébreux/Israélites, provenant principalement d’Égypte aux environs du XIIIe siècle avant notre ère (7), mais aussi de Cananéens, de Philistins (notamment à Gaza et ses environs, arrivés en Palestine aux environs du XIIIe siècle avant notre ère), d’Araméens (au nord, près de la Syrie), de Phéniciens, d’Amalécites… Au cours des siècles, il y a eu des croisements entre ces populations, comme ce fut le cas dans toute l’histoire de l’Humanité. Le fait est que les Palestiniens actuels n’ont jamais quitté leur terre et sont des descendants des Philistins, des Araméens, des Hébreux (8) et même des Croisés des XIe, XIIe et XIIIe siècles. Le concept de « retour » des Juifs n’a aucun fondement historique sur un laps de temps de vingt siècles ! Pour le sionisme le « droit au retour » s’applique à d’hypothétiques purs descendants (9) des Hébreux (et des Judéens), deux mille ans après, mais ne peut s’appliquer aux Palestiniens, les descendants sans discontinuité des anciens habitants de la Palestine, y compris des Hébreux, des Philistins et autres.

Nous aborderons dans le prochain article, et dernier article sur les mythes du sionisme, celui de la « terre d’Israël » et quelques autres plus politiques relatifs à l’histoire récente.

Mokhtar Homman, le 14 février 2025

Demain : VII – Les mythes du sionisme (3ème partie et fin) :  la « terre d’Israël » et autres mythes.

Notes

  • Julien Cohen-Lacassagne : Berbères juifs, p.58.
  • Sylvain Cypel : L’État d’Israël contre les Juifs, p. 211.
  • Yakov M. Rabkin : « L’opposition juive au sionisme », p.18.
  • Jean-Pierre Filiu : Comment la Palestine fut perdue, p. 35 et 43.
  • Les Philistins seraient un des « peuples de la mer » venus s’installer dans la région de Gaza actuelle au XIIIe siècle avant notre ère (source : Philistins — Wikipédia).
  • Cette appellation est inexacte dans le temps et dans l’espace, en raison des variations dues aux conquêtes et guerres romaines et aux changements administratifs de l’empire romain puis de l’empire byzantin, entre l’année 70 avant l’ère moderne et la conquête arabe en 634.
  • Richard Lebeau : Une histoire des hébreux. De Moïse à Jésus.
  • David Ben Gourion et Yitzhak Ben Zvi, fondateurs de l’Israël moderne, avaient insisté dans un livre de 1918 sur le fait que les paysans palestiniens – alors la majorité de la population palestinienne – étaient des descendants des anciens Juifs. In Joseph A. Massad : « Comment les sionistes se servent des mythes raciaux pour dénier aux Palestiniens le droit de retourner chez eux ». La citation exacte est : « Nous pensons que les fellahs [paysans palestiniens] sont les descendants des anciens habitants juifs de la terre d’Israël. ». Voir aussi Ilan Pappé : Le nettoyage ethnique de la Palestine.
  • Le concept de pureté ethnique a été emprunté par diverses idéologies racistes, dont le nazisme, et n’a aucune validité scientifique.

Bibliographie

Cohen-Lacassagne, Julien : Berbères juifs. L’émergence du monothéisme en Afrique du Nord. La fabrique éditions, 2020.

Cypel, Sylvain : L’État d’Israël contre les Juifs. Éditions La Découverte, Paris, 2020.

Filiu, Jean-Pierre : Comment la Palestine fut perdue. Et pourquoi Israël n’a pas gagné. Éditions Le Seuil, Paris, 2024.

Khader, Bichara : « La notion de colonisation dans l’idéologie et la pratique sioniste ». In: Cahiers de la Méditerranée, n°29-30, 1, 1984. Israël et la Méditerranée, pp. 147-168.

Lebeau, Richard : Une histoire des hébreux. De Moïse à Jésus. Collection Texto, Éditions Tallandier, Paris, 2019.

Massad, Joseph A. : « Comment les sionistes se servent des mythes raciaux pour dénier aux Palestiniens le droit de retourner chez eux ». Agence Medias Palestine, 8 Août 2019.

Pappé, Ilan : Le nettoyage ethnique de la Palestine. Éditions Fayard, 2006 (La fabrique éditions, Paris, 2024, nouvelle édition).

Rabkin, Yakov M. : « L’opposition juive au sionisme ». Entretien avec Pascal Boniface. La revue internationale et stratégique, n° 56, hiver 2004-2005, pp. 17-23.

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