La vie, la musique et le goût de l’art et du beau

Entretien avec Brigitte Kai Obeid

Par Noureddine Mhakkak

C’était d’abord un grand plaisir pour moi d’écouter les chansons de Brigitte Kai Obeid. Une voix angélique et une interprétation très signification, très profonde et très séduisante. Ce qui me poussait à penser de faire un entretien avec elle, pour que je puisse connaitre bien son monde artistique. Le résultat était meilleur, un entretien très fort, le voilà. Bonne lecture.

Qui est d’abord Brigitte Kai Obeid?

-Née en 1979, j’ai passé ma vie au Liban, au sein d’une famille qui a dû affronter les épreuves dures de la vie, surtout durant la période de guerre et comme toutes les familles libanaises à l’époque qui n’ont pas quitté le Liban, nous avons eu des moments difficiles et la voie était sinueuse et pénible. J’ai perdu mon père alors que je n’avais que 14 ans et le vide qui s’est installé au fond de mon être a marqué mon adolescence. Le cœur lourd, j’ai grandi ainsi avec l’absence de cette force masculine, de cette ombre sécurisante que nul ne peut remplacer.

Je suis titulaire d’une maitrise en langue vivante et en traduction, traductrice assermentée et professeure de français au collège Saint Joseph d’Antoura, prestigieux établissement francophone.

D’aussi loin que je me souvienne j’ai aimé chanter. Le théâtre aussi m’a ensorcelé. J’ai grandi en écoutant en boucle les chansons de Fairuz, Charles Aznavour, Jacques Brel et Dalida. Maman insistait à nous inculquer le goût de l’art et du beau. Ainsi nous ne rations ni pièces de théâtre, ni concerts. Et je passais des après-midis dans ma chambre à chanter avec ou sans musique, à danser et à jouer de petites saynètes que j’inventais. Je m’imaginais sur la planche devant un public qui, ému, m’ovationnait. J’ai fait partie de la troupe de l’école puis d’un atelier tenu par Georges Asmar, grand acteur libanais. J’ai participé à plusieurs soirées poétiques et concerts. Bien que je sois professeure et traductrice, l’art me hante toujours et l’envie de pouvoir enfin me déchaîner ne fait que grandir. C’est grâce à l’essor des réseaux sociaux, aux encouragements de mon mari et à son soutien inconditionnel que je commence à m’exprimer et je reprends sérieusement mes cours de chant afin de me perfectionner et découvrir l’étendue de ma tessiture.

Que représentent les arts et les lettres pour vous ?

-L’art et la littérature vont de pair. On ne peut être sensible à l’une sans l’être à l’autre. Ecrire est un art en soi-même qui demande beaucoup de sensibilité et de finesse. La littérature comme l’art sont l’essence de l’imagination.

À travers l’art et l’écriture je me libère, je dis tout ce que je pense et ressens sans restriction, sans limite. Et comme le dit Maya Angelou : « Il n’y a pas de plus grande agonie que de porter en soi une histoire non racontée. » Libératrice est l’expression sous toutes ses formes…

Que représentent l’écriture et la lecture   pour vous?

– Évasion/ Fuite/ Retrouvaille.

Ces trois mots résumeraient ma réponse à cette question Je fuis le monde réel, les visages et les voix et je construis mon propre univers en écrivant. Je visite d’autres cieux en lisant. Je m’évade, je rêve, je retrouve mon autre MOI, celui que personne ne connait, celui qui dort en moi et que je réveille quand l’envie me prend. C’est mon refuge, quelque part entre ciel et terre…

Parlez-nous des villes que vous avez visitées et qui ont laissé une remarquable trace dans votre parcours artistique.

– Byblos, Tyr et Batroun sont des villes qui ont une âme. Il fait si bon errer dans leurs ruelles pour ressentir une présence magique et tellement forte qu’elle nous saoule. Je suis emportée vers une autre dimension voire une autre ère et je me recueille pour mieux rencontrer cette âme invisible mais puissante. Soudain, le monde réel n’existe plus et tout autour de moi se met à parler, à raconter. J’écoute les histoires de ce qui fut autrefois, je les imagine et je souris. Ce sentiment d’appartenance à ces endroits est incompréhensible. C’est un mystère et une connexion spirituelle.

Que représente la beauté pour vous ?

– La beauté n’a pas de critères. Elle est relative. Elle n’est surtout pas matérielle. C’est un sourire timide, des regards qui en disent long, l’odeur du café le matin, une fleur que l’on cueille en chemin, des doigts qui se cherchent, des lèvres qui se touchent, des rires d’enfants… La beauté est un instant, un moment éphémère dont le souvenir est éternel. C’est tout ce qui arrive et se dit spontanément. C’est tout ce qui est vrai.

Parlez-nous des livres /films que vous avez déjà lus/vus et qui ont marqué vos pensées.

– «Le cercle des poètes disparus» le tout premier film qui m’a touchée et que je regarde encore de temps en temps. J’ai eu la chance effectivement d’avoir eu dans ma vie un professeur qui a changé ma vision des choses, qui m’a permis de voir la vie sous un autre angle, de m’attacher à mes passions. C’est grâce à lui que j’ai osé rêver, que j’embrasse désormais mes moments avec ardeur et passion, que mes folies sont les seules choses que je ne regretterai jamais. Pour vivre, il faut être vrai. C’est aussi simple que ça. «La vita E bella» et «Mayrig» m’ont énormément marquée aussi. L’injustice me révolte. La souffrance, ce combat quotidien qui brûle et consume, m’abat surtout quand on est impuissant face aux situations. Les poèmes de Talal Haidar et Joseph Harb, m’ont énormément secouée. Ils ont si bien décrit l’amour, la femme et le Liban. De vrais magiciens qui savent faire valser les mots au rythme de leur folie.

Mais Nadia Tuéni reste pour moi une icône. Cette fée au regard fragile qui transperce les cœurs sensibles est comme nulle autre, une poétesse aux écrits envoûtants et enivrants. D’une subtilité et d’une délicatesse sans pareil, «20 poèmes pour un amour» est un recueil dans lequel elle déclare son amour pour un Liban fantasmatique. C’est mon livre de chevet et mon évangile.

Parlez –nous de vos projets Culturels /Artistiques à venir

– Depuis ce maudit 4 août, tous les libanais ont l’impression d’avoir perdu une partie d’eux-mêmes. Nous avons du mal à nous en remettre. À un certain moment, j’ai senti que j’ai tout perdu, que je ne serai plus jamais la même. J’ai arrêté de rêver et quand nous arrêtons de rêver, nous arrêtons de vivre. Effectivement, le temps s’est figé et c’est petit à petit que nous revenons à la vie. L’être amputé traine avec lui son membre fantôme et puis avec le temps apprend à vivre avec en attendant que la sensation disparaisse. C’est une période noire pour mon pays et cette souffrance qui nous bouleverse et nous secoue m’incite à mettre noir sur blanc mes petits projets à venir qui me pousseront à prendre certaines décisions radicales dans ma vie.

Rien ne dure éternellement et l’aube finira par poindre à l’horizon et nous l’attendons plein d’espoir.

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