A la fin du spectacle, le valeureux chauffeur avec qui il est formellement interdit de parler, tire les rênes et le monstre mécanique fonce dans un tintamarre assourdissant. Les pauvres usagers entament une transe frénétique et endiablée qui n’a rien à envier aux transes des nuits des « Gnawas ».

Danser et sautiller à sept heures du matin, quel privilège! Séance de sport matinal collectif gratuite! On sursaute, on se penche à droite, on se penche à gauche, on fait un pas en avant, un pas en arrière, on se tortille… Allez Mesdames et Messieurs, tout le monde doit danser. Suivez le rythme harmonieux du monstre : Les tournants périlleux, les coups de freins grinçants, les secousses sismiques… Et l’état désastreux des chaussées de notre ville qu’on qualifie de « Miami du Maroc » fera le reste! Oui, la municipalité fait les efforts titanesques, peine et trime pour boucher les trous avec un peu de bitume qui ne tarde pas à disparaître à la moindre ondée ! Quel gâchis ! On en voit des choses dans « Toubiss » : Un petit enfant hurle de douleur; il vient d’être écrasé par des chaussures imprudentes. Un homme se rend de la disparition de son téléphone portable et se met à rouspéter en gesticulant comme un diable. On lui explique que ses cris sont vains puisque les prestidigitateurs sont déjà sortis du bus. Un ivrogne, à peine sorti d’une quelconque boîte de nuit, murmure à une lycéenne des propos à ne pas entendre à sept heures du matin et qui n’ont rien à voir avec la politesse et la galanterie. Deux bonnes
femmes se disputent pour des futilités en disant des injures et en faisant des gestes qui n’ont rien à voir avec les bonnes manières. Un homme proteste contre le chauffeur en hurlant: « Roule prudemment, bon sang! Tu ne transportes pas du bétail ! Nous sommes des êtres humains quand même! ». Un frustré colle outrageusement une femme comme la glu et se cramponne à elle comme une pieuvre. La femme l’inonde d’injures, le traitant de tous les mots. Il lui répond avec un
sang froid inouï : « Si tu n’es pas contente et si tu ne veux pas qu’on te touche, prends un taxi! »…Une femme d’un certain âge reproche aux hommes assis leur manque de courtoisie et de galanterie,
espérant que l’un d’eux lui cédera sa place. Ils regardent tous par la fenêtre, faisant mine de ne rien entendre…Un prédicateur truculent qui nous prend apparemment pour des mécréants, nous rappelle, avec emphase, ce que Dieu et le Prophète ont dit en nous promettant une belle friture en enfer comme s’il en avait les clés!… Moi, je suis coincé entre une grosse et un géant. Impossible de faire le moindre geste. Mon Dieu, quelle odeur! Je risque de mourir d’asphyxie et de puanteur ! Quoi encore? Encore une panne ? C’est mon jour de chance. « Allez, tout le monde descend. On attend le prochain bus. Ceux qui veulent partir ne seront pas remboursés, le règlement l’interdit », nous explique gentiment le gentil conducteur du monstre mécanique…Je descends de l’engin, vert de colère, haletant comme un lévrier, la chemise trempée de sueur, les yeux exorbités, les nerfs en boule. Encore une journée qui commence à merveille grâce au bus! J’entends déjà mon directeur râler, me reprochant mon retard, me menaçant de sanction!… Merci  » Toubiss » !!!

Mostafa Houmir

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