Mohamed Sektaoui, DG d’Amnesty-Maroc estime que le Maroc doit faire davantage d’efforts pour l’amélioration de la situation des droits de l’Homme. Pour lui, il y a un hiatus entre les textes de lois et la réalité, tout en mettant l’accent sur plusieurs recommandations de l’Instance Equité-Réconciliation qui n’ont pas encore trouvé un écho favorable auprès des responsables.
Al Bayane : N’estimez-vous pas que la commémoration de la journée mondiale des droits de l’Homme ne soit devenue aujourd’hui qu’une tradition dépourvue de sens?
Mohamed Sekataoui : Loin de là. En effet, c’est une occasion pour tous les militants et les militantes du monde entier de réitérer leurs engagements pour la défense des droits de l’Homme en tant que valeur universelle. De surcroît, notre mission consiste à rappeler tous les gouvernements à respecter leurs engagements en matière des droits de l’Homme. Il s’agit également d’une journée qui a une forte portée symbolique et pédagogique visant à rappeler les acquis, mais aussi pour sensibiliser les dirigeants des Etats à l’importance de l’application des lois et des conventions internationales relatifs aux droits de l’Homme pour qu’elles ne fassent pas seulement l’objet de slogans.
Il faut souligner que l’amélioration des conditions des peuples dans le monde entier ne peut se faire sans la consécration de la culture des droits de l’Homme en tant que valeurs humaines et universelles. Le développement des nations, la sécurité des peuples et la stabilité des Etats sont profondément tributaires du respect des droits de l’Homme et la mise en œuvre d’une politique publique constante et permanente en la matière.
Les Etats sont ainsi tenus de respecter leurs engagements, notamment en ce qui concerne l’application des conventions internationales déjà ratifiées et celle de la Déclaration universelle des droits de l’Homme ; même si cette dernière n’a pas une valeur contraignante. Le respect des droits de l’Homme correspond à un investissement dans l’être humain, c’est la clé de réussite de tout développement durable.
Comment allez-vous commémorer cette journée?
Amnesty international vise une ample mobilisation en faveur de toutes les personnes victimes de détention arbitraires rien que pour avoir exprimées leurs avis ou opinions, ou encore, pour ceux dont les droits fondamentaux ont été et sont toujours bafoués. A travers l’opération « Marathon des lettes », dont le but est de sensibiliser les citoyens à écrire des lettres pour les personnes victimes en signe de solidarité, attirer l’attention de l’opinion publique et faire pression sur les Etats concernés. Cela dit, l’écriture parait être notre seule arme. Notre action sera focalisée cette année sur la liberté d’expression qui a toujours été et demeurera l’élément fondamental de tout système qui se dit démocratique. Ainsi, nous envisageons de mener une campagne qui est placée sous le signe « écrire pour les droits ». Aussi, nous allons organiser le 10 décembre avec plusieurs organisations des droits de l’Homme un rassemblement symbolique en faveur des ayants-droit et des personnes victimes des atteintes à la liberté d’expression, des tournées des jeunes pour la collecte de signatures de solidarité…
Pourquoi focalisez-vous votre action juste sur les personnes victimes d’atteinte à la liberté d’expression?
On a constaté qu’en l’année 2016, le nombre des atteintes à la liberté d’expression a augmenté. Des journalistes ont été arrêtés ou emprisonnés juste pour avoir exercé leur droit à la liberté d’expression. Des personnes arrêtées pour avoir exprimé manifestement leurs opinions ou critiqué ouvertement leurs gouvernements, des mises en examen pour délit d’opinion… Nous essayons donc de braquer le projecteur sur le cas de ces individus tout en visant à exercer une certaine pression sur les gouvernements concernés. Les droits de l’Homme est une question qui relève de toute la communauté internationale.
Quelle évaluation faites-vous de la situation des droits de l’Homme au Maroc?
Malheureusement, on constate que le Maroc reste à deux vitesses. Il y a un hiatus entre les discours, les textes de lois et la réalité. A titre d’exemple, durant l’année 2016, on a enregistré plus de pratiques de restriction de liberté d’expression et le droit d’association, que ce soit pour les journalistes ou les citoyens, la dispersion violente des manifestations, l’atteinte au droit de réunion et de rassemblement. Il faut également mettre l’accent sur le fait que la situation de la femme n’a pas beaucoup changé nonobstant les efforts du Maroc dans ce sens, en procédant à la ratification de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, la réforme du Code la Famille…La femme fait encore l’objet de discrimination au niveau de la loi.
Autre point non moins important est celui de l’abstention du Maroc à voter un projet de résolution visant à abolir la peine capitale. A cela s’ajoute également le fait que les militants des droits de l’Homme sont considérés personae non grata et que les autorités publiques n’ont cessé d’exercer des restrictions sur leurs activités au lieu de les traiter comme des partenaires. Qui plus est, cela fait plus que 10 ans que plusieurs recommandations de l’Instance Equité-Réconciliation n’ont pas encore trouvé un écho favorable auprès des responsables. Je fais allusion à la mise en œuvre de la stratégie nationale de lutte contre l’impunité, toujours en stand-by.
Khalid Darfaf