La baguette inscrite au patrimoine immatériel de l’humanité

Populaire, mais en péril

« 250 grammes de magie et de perfection »: la baguette de pain, emblème dans le monde de la vie quotidienne des Français menacé par l’industrialisation, a été inscrite mercredi au patrimoine immatériel de l’humanité par l’Unesco.

L’organisation, qui honore avant tout des traditions à sauvegarder plus que les produits eux-mêmes, a ainsi distingué les savoir-faire artisanaux et la culture entourant cet élément incontournable des tables françaises.
Avec sa croûte croustillante et sa mie moelleuse, la baguette, apparue au début du XXe siècle à Paris, est aujourd’hui le premier pain consommé dans le pays.

Tous les jours, douze millions de consommateurs français poussent la porte d’une boulangerie et plus de six milliards de baguettes sortent des fournils chaque année. Aller acheter du pain est ainsi une véritable habitude sociale et conviviale qui rythme leur vie.

« Dans ces quelques centimètres de savoir-faire passés de main en main, il y a exactement l’esprit du savoir-faire français », a salué le président Emmanuel Macron, en visite à Washington. « C’est quelque chose d’inimitable ».

« Un acte symbolique fort » pour Audrey Azoulay, directrice générale de l’Unesco, et « une reconnaissance » aux yeux de Dominique Anract, président de la Confédération nationale de la boulangerie-pâtisserie française.

Cette inscription pourrait amener « les jeunes à faire ce métier », a-t-il déclaré à l’AFP à Rabat, où l’Unesco a annoncé ses lauréats.

« C’est effectivement une sorte de consécration », s’est réjouie Priscilla Hayertz, boulangère à Paris, devant ses baguettes tout juste sorties du four. Que « l’on soit riche, pauvre, peu importe. Tout le monde mange de la baguette! »

Mais François Pozzoli, seul boulanger de Lyon désigné Meilleur ouvrier de France, a dénoncé auprès de l’AFP « de la poudre aux yeux, alors que la boulangerie traverse une crise sans précédent », à cause de l’augmentation du prix des matières premières et de l’électricité. « Les artisans aiment leur métier, ils s’installent avec des crédits sur le dos et des familles à nourrir, il faut les soutenir ».

Cette reconnaissance est particulièrement importante compte tenu des menaces qui pèsent sur ce savoir-faire, comme l’industrialisation et la baisse du nombre de leurs commerces, surtout dans les communes rurales.

En 1970, on comptait quelque 55.000 boulangeries artisanales (une boulangerie pour 790 habitants) contre 35.000 aujourd’hui (une pour 2.000 habitants), soit une disparition de 400 boulangeries par an en moyenne depuis une cinquantaine d’années.

Face à ces disparitions, il « est important de dire: +voilà, c’est un mode de vie auquel on tient+ », a souligné Audrey Azoulay auprès de l’AFP. « C’est ça ce que disent aussi les pouvoirs publics en portant cette candidature et ce que l’Unesco reconnaît ».

En constante évolution, la baguette « de tradition » est strictement encadrée par un décret de 1993, qui vise à protéger les artisans boulangers et leur impose en même temps des exigences très strictes, comme l’interdiction des additifs.

Elle fait aussi l’objet de concours nationaux, lors desquels les candidates sont tranchées en longueur pour permettre au jury d’évaluer l’alvéolage et la couleur de la mie, « crème » dans l’idéal.

Les compétiteurs travaillent à partir des mêmes produits simples –farine, levure, eau et sel– mais les baguettes sont toutes différentes. Chacun a sa petite touche particulière, par exemple sur le coup de lame, signature du boulanger.

Et il est facile de rater une baguette, même pour les plus aguerris. Tout repose sur le savoir-faire.
« On est très dépendant de la météo. On doit prendre (en compte) la température des pâtes, de l’eau, du fournil », racontait en 2019 à l’AFP le boulanger parisien Jean-Yves Boullier.

Le mot baguette apparaît au début du XXe siècle et ce n’est qu’entre les deux guerres mondiales qu’il se banalise, souligne Loïc Bienassis, de l’Institut européen de l’histoire et des cultures de l’alimentation.

« Au départ, la baguette est considérée comme un produit de luxe. Les classes populaires mangent des pains rustiques qui se conservent mieux. Puis la consommation se généralise, les campagnes sont gagnées par la baguette dans les années 1960-70 », explique-t-il à l’AFP.

Désormais, la consommation de la baguette décline surtout dans les classes aisées urbaines, qui optent pour les pains au levain, selon M. Bienassis.

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