Mokhtar Homman
Nous avons abordé dans des articles précédents l’actualité immédiate, le cessez-le-feu à Gaza (Al Bayane du 31 janvier) et la proposition de nettoyage ethnique de Gaza par le nouveau président des États-Unis (Al Bayane du 10 février).
Au-delà de l’actualité immédiate, nous allons traiter le fond de la question palestinienne dans une série d’articles dont nous présentons ci-après les tenants et les aboutissants, la structure et les questions abordées.
Prolégomènes
La situation en Palestine, aux dimensions apocalyptiques, est parfois difficile à comprendre clairement sous le torrent d’informations que nous recevons, à l’heure des grands médias mondiaux diffusant des informations souvent de manière partiale et biaisée, de la circulation frénétique d’informations, de qualité variable, dans les réseaux sociaux, saturant la pensée. Ajoutons qu’en tant que Marocains nous sommes émotionnellement profondément touchés par les malheurs de nos frères et sœurs palestiniens. Or nous avons besoin de voir clair, de réfléchir et de comprendre pour agir correctement.
L’histoire nous montre qu’il faut saisir les forces de fond, les contradictions essentielles et les voies de leur résolution. Le présent peut montrer différents visages sous les feux de l’actualité immédiate mais il faut essayer de comprendre le sens des évènements, ce qu’ils traduisent et révèlent, le futur qu’ils dessinent au regard des possibilités réelles.
C’est ce que nous allons modestement tenter de faire.
Le but de la présente étude est donc d’être utile à la compréhension des causes profondes des évènements en cours en Palestine et au Proche-Orient, afin de renforcer l’engagement pour la liberté et la justice pour le peuple palestinien sur la terre de ses ancêtres depuis plus de trois mille ans, sans discontinuité.
Nous allons montrer pourquoi la situation actuelle est la conséquence logique de l’idéologie sioniste et pourquoi le combat antisioniste est un combat progressiste légitime, pourquoi pour les mêmes raisons de principe il faut combattre l’antisémitisme, ou plutôt l’antijudaïsme, et comment l’antisémitisme et le sionisme se nourrissent l’un l’autre.
Enfin nous tracerons quelques perspectives et certaines conditions pour que le peuple palestinien, à notre humble avis, atteigne la concrétisation de ses droits nationaux.
Il convient de préciser que le terrorisme, c’est-à-dire l’attaque contre des civils pour imposer un objectif politique est à condamner quels que soient les auteurs, quelles que soient les victimes. Avec la même clarté et fermeté cet exposé exclut toute forme ou nuance portant atteinte à la dignité et l’égalité de droits de tous, Juifs, Chrétiens, Musulmans et autres. Il s’agit de lutter pour les droits égaux pour tous, par des moyens pacifiques et conformes au droit international, dans le respect de la dignité de chacun.
D’autre part, nous traiterons cette question en présentant souvent la position occidentale sur la question palestinienne, étant donné le rôle décisif joué par les dirigeants occidentaux dans le conflit.
Le Maroc a une relation riche et particulière avec le Judaïsme, une composante de son Histoire et de son identité, singulière dans le monde arabe, reconnue exemplaire dans le monde entier, et a affronté le sionisme de différentes manières. Une part importante des Marocains de confession juive vit de nos jours sous le joug du sionisme. Le sujet abordé est donc important pour le Maroc et les Marocains, au Maroc et dans le monde. Logiquement, en tant que militant du PPS, une grande partie de cette étude concernera le Maroc, et épouse donc les principes progressistes du PPS.
Nous avons collecté les informations et données dans la presse, les web sites sérieux d’information spécialisée, dans les documents de l’ONU, des ONG, dans une série d’articles et d’ouvrages pertinents et de qualité, dont on trouvera la liste dans la bibliographie. La littérature sur la question est immense, et nous n’en avons utilisé qu’une infime partie, que nous estimons cependant pertinente à défaut d’être exhaustive. Nous avons souvent, volontairement, politiquement, puisé dans la documentation produite par des historiens et acteurs israéliens ou occidentaux. Cette étude est écrite début février 2025 et prend en compte au mieux les données connues à cette date. Enfin elle est produite dans l’objectif militant de la paix et de la justice pour le peuple palestinien, donc orientée, tout en étant factuelle et intellectuellement honnête. « L’historien n’échappe à l’érudition aride que lorsqu’il a un souci politique » (1).
Merci aux relecteurs pour leurs contributions enrichissantes et leurs corrections.
Nous allons développer cette étude dans une succession d’articles. À commencer par la réalité d’un génocide attestée par les faits et les rapports établis par l’ONU et par les ONG pertinentes. Ce qui nous amène à interroger pourquoi le sionisme bénéficie de l’impunité et le soutien occidental à ses crimes. Une situation qui interpelle l’avenir pour l’Humanité.
Dans une seconde série d’articles nous analysons les origines du sionisme qui remontent au XVIIIe siècle dans sa version chrétienne reprise dans sa version juive à la fin du XIXe siècle. Nous montrerons la nature colonialiste du sionisme né à l’apogée du colonialisme européen dont il reprend les stigmates et la logique.
Nous poursuivons en démontant les ressorts du sionisme à partir d’une poignée de mythes qui opèrent pour justifier le colonialisme sioniste et obscurcir sa condamnation.
La synthèse de tous ces éléments débouche sur le fait qu’Israël est un État produit du colonialisme. Un État qui bénéficie d’alliances pour perdurer et qui nécessite de la guerre pour exister et poursuivre le projet sioniste de construction du Grand Israël, facteur d’une stratégie plus large de domination du monde par l’impérialisme occidental.
Le troisième volet s’attaque à la thèse sioniste d’un affrontement irréductible islamo-occidental. Or nous montrerons que le monde arabo-musulman a été terre de vie pour le Judaïsme, à l’opposé de l’antisémitisme chrétien et européen. Le Maroc est un exemple historique d’une civilisation où Musulmans et Juifs ont vécu en harmonie, voire en symbiose pendant des siècles. L’intrusion du sionisme dans les malles du colonialisme européen est venue rompre cette harmonie, au Maroc et dans tout le monde arabo-musulman. Le Maroc a ainsi perdu une partie de son identité culturelle, une partie du peuple marocain vivant sous l’oppression idéologique du sionisme.
Le Maroc et le peuple marocain ont combattu le sionisme sur les plans militaire et diplomatique en cherchant à unifier les rangs arabes et en poussant à des solutions par la voie pacifique et conforme au droit international. Comme pour la question du Sahara marocain, dont la cause de libération est jumelle de celle de la Palestine, le peuple marocain et ses forces vives, dont le PPS, manifestent son attachement indéfectible à la cause palestinienne.
Dans une quatrième partie nous montrerons que l’agressivité sioniste s’effectue dans le cadre général d’un bellicisme accru de l’impérialisme au XXIe siècle dont Israël est un des bras armés. En même temps le retour en force du néofascisme en Occident accentue les menaces dangereuses pour la paix et la justice.
Au niveau régional, nous rappellerons la longue lutte du peuple palestinien et montrerons par l’analyse des méthodes sionistes que le génocide actuel est le prolongement d’autres crimes de guerre remontant à plus de trois quarts de siècle. Ceci a lieu dans un contexte où le monde arabe a montré une grande faiblesse par ses divisions et son déficit démocratique. Mais grâce à la résilience du peuple palestinien et à sa résistance, celui-ci a marqué de très grandes victoires stratégiques qu’il s’agit de capitaliser pour imposer une solution juste à ses revendications et droits nationaux. Ce sera le cinquième volet de notre étude.
Nous aborderons aussi le combat contre l’antisémitisme car c’est un combat de principe, et un combat pour désarmer le sionisme de l’exploitation de cette plaie.
À partir de ces données nous allons échafauder les issues potentielles à court, moyen et long termes. Toutes vont dépendre du rapport de forces, dont nous élaborons une liste qualitative, et de la réalisation d’un certain nombre de conditions, à commencer par l’unité des rangs palestiniens et arabes.
Le sionisme se nourrit de la guerre pour perpétuer ses crimes et son expansionnisme. Nous en déduisons que la ligne stratégique pour battre le sionisme et le dissoudre dans les poubelles de l’histoire est une stratégie de paix, qui n’exclut pas le droit de se défendre. Une stratégie de paix forte, déterminée, soutenue largement par l’Humanité.
Les faits
Avant toute analyse, nous allons procéder à une présentation des faits et les questions qu’ils soulèvent.
Le cessez-le-feu du 19 janvier 2025 et la nouvelle version du nettoyage ethnique
Dans un article publié précédemment, nous avons analysé le sens du cessez-le-feu arraché le 19 janvier dernier. Nous en rappelons la synthèse.
C’est un coup d’arrêt au génocide. Le nombre officiels de morts ne cessera de croître à mesure que ce cessez-le-feu permettra d’en faire un bilan plus exact. Sans doute plus de 60 000 Palestiniens, une majorité de femmes et enfants, ont péri sous les bombes, des centaines de milliers par la destruction et la famine. Les souffrances infligées au peuple palestinien, au nom du sionisme, sont horrifiantes de cruauté et de cynisme. Le soutien conscient et volontaire des dirigeants occidentaux à ces horreurs le sont tout autant.
Au regard du contenu de l’accord de cessez-le-feu, il apparait que les États-Unis auraient pu forcer Israël dès mai 2024, voire en décembre 2023, à accepter ce même accord de cessez-le-feu, comme ils viennent de le faire. Ils portent donc la responsabilité des morts et destructions depuis, si ce n’est depuis le début.
Le plan de cessez-le-feu est basé sur les exigences de la résistance palestinienne. C’est donc une victoire de la résistance palestinienne qui a imposé presque toutes ses conditions, une défaite pour Netanyahou et son gouvernement extrémiste qui n’a réussi aucun de ses objectifs annoncés.
Les objectifs militaires et politiques officiels d’Israël au lancement des opérations en Octobre 2023 étaient : capitulation de la résistance palestinienne et retour des prisonniers et otages sans conditions, destruction des brigades Al Qassam (principale force armée, mais pas la seule de l’attaque du 7 octobre), destruction du stock d’armes et d’explosifs, élimination du Hamas de la gouvernance à Gaza. Aucun de ces objectifs n’a été atteint, au contraire. La démonstration de force faite par Hamas au moment de l’échange de prisonniers et d’otages a même choqué les médias israéliens.
Il faut rester méfiant cependant. Il n’est pas certain qu’Israël ne reprendra pas la guerre au cours des trois phases du plan de cessez-le feu, ou après, comme il l’a toujours fait après chaque cessez-le-feu sous des prétextes les plus divers, à Gaza et/ou en Cisjordanie. Le soutien des États-Unis et de certains pays occidentaux à la politique expansionniste d’Israël ne cessera pas malgré la pression de leurs opinions publiques.
Le nettoyage ethnique de toute la Palestine reste l’objectif du sionisme, quitte à changer de méthode. C’est le plan annoncé par Trump.
Nous montrerons dans la suite de cette étude pourquoi ce cessez-le-feu, comme tous les autres précédemment en Palestine et au Liban, n’est probablement que temporaire, tactique, à moins d’un renversement spectaculaire du rapport des forces. Le sionisme, par essence, est incompatible avec la paix et le droit.
Bibliographie
Filiu, Jean-Pierre : Comment la Palestine fut perdue. Et pourquoi Israël n’a pas gagné. Éditions Le Seuil, Paris, 2024.
Laroui, Abdallah : Islamisme, Modernisme, Libéralisme. Éditions Centre Culturel Arabe, Casablanca, 1997 (recueil d’articles écrits et de conférences parus entre 1976 et 1995).