Sionisme, antisionisme et antisémitisme
Mokhtar Homman
Le conflit israélo-palestinien ne se déroule pas isolé du reste du monde. Nous allons étudier dans cet articles et les suivants dans quel cadre le sionisme évolue, quelles sont ses connexions et ramifications avec l’évolution et la situation mondiales, comment il s’inscrit dans l’action de l’impérialisme occidental.
Pour comprendre le contexte actuel global dans ses différents aspects nous alors d’abord présenter l’enjeu essentiel, stratégique, des affrontements géopolitiques en cours : l’énergie et un nouveau venu, les terres rares.
Les hydrocarbures
Se présentant comme une « avancée du monde occidental » dans la région, Israël est le bras armé de l’impérialisme occidental pour contrôler la production et l’acheminement des hydrocarbures (pétrole et gaz) dont la région du Proche Orient est immensément dotée. Pour l’impérialisme occidental, les Juifs sont la chair à canon dont ils ont besoin pour peser militairement au Proche-Orient.
Les épisodes essentiels de cette volonté occidentale de contrôle des hydrocarbures dans la région remontent aux évènements majeurs suivants :
- Fondation de l’Anglo-Persian Oil Company en 1909 suite à la découverte d’un vaste gisement pétrolier à Masjed Soleiman en Iran, le premier dans la région.
- Pacte du Quincy entre Ibn Saoud et Roosevelt le 14 février 1945 pour l’accès illimité des États-Unis aux ressources d’hydrocarbures de l’Arabie Saoudite, contre la « protection » américaine du régime.
- Renversement du premier ministre iranien Mossadegh, un nationaliste laïc, par un coup d’État anglo-américain le 19 Août 1953. Mossadegh avait nationalisé l’industrie pétrolière iranienne, sous contrôle britannique depuis 1913, face au refus de l’Anglo-Persian Oil Company (APOC) de renégocier les termes du contrat d’exploitation des gisements pétroliers iraniens.
- Provocation de l’attaque irakienne puis le soutien aux deux belligérants de la guerre Irak-Iran entre 1981 et 1989.
- Guerres et invasions contre l’Irak en 1991 et 2003.
- Objectif impérialo-sioniste d’attaquer l’Iran depuis la révolution de 1979 pour reprendre le contrôle de ses ressources en hydrocarbures, sous prétexte d’une menace iranienne contre Israël. Sans oublier que l’Iran est un des plus gros fournisseurs en pétrole de la Chine.
Nous allons présenter des tableaux de la production et les réserves d’hydrocarbures selon les pays et le type de relations ou d’actions que les États-Unis et l’UE ont avec eux.
De nos jours, la production de pétrole dans la région du Proche-Orient est régulée à travers l’OPEP (1) et l’OPEP+ (= OPEP + Russie depuis 2017).

Les États-Unis sont les principaux producteurs grâce au pétrole de schiste. Le Canada exploite principalement les sables bitumineux.
L’OPEP fournit environ 40/45% de la production mondiale de pétrole en ayant environ 75/80% des réserves connues. Avec la Russie, l’OPEP+, la proportion s’accroit à près de 50% de la production. Les pays du Proche-Orient représentent un tiers de la production et environ la moitié des réserves de pétrole. Les pays des BRICS+ (4) représentent plus de 40% de la production et environ 60% des réserves de pétrole.
L’OPEP et a fortiori l’OPEP+ sont de plus en plus autonomes dans leurs décisions de volume et répartition de la production.
Considérons maintenant le même tableau pour le gaz.

Les pays du Proche Orient représentent 16,5% de la production et environ 40% des réserves de gaz naturel. Les pays des BRICS+ représentent environ 40% de la production et 60% des réserves de gaz naturel. Conjugué à leur poids équivalent en pétrole, c’est un marqueur fort du poids grandissant des BRICS+ dans l’économie mondiale.
Il n’existe pas d’organisation équivalente à l’OPEP pour le gaz naturel. En effet le mode de transport par pipeline exige des investissements très lourds et des contrats à très long terme.
Pour le gaz naturel liquéfié (GNL) les investissements sont aussi très importants (extraction à partir des schistes, terminaux de liquéfaction et dé liquéfaction, bateaux de transport). En 2016, alors importateurs, les États-Unis ont décidé devenir exportateurs de GNL en investissant massivement sans contrats fermes et à des coûts non compétitifs (8). En l’absence d’un marché selon les lois du commerce libéral, ils vont forcer des clients assujettis. C’est en coupant les flux de gaz naturel par les pipelines russes vers l’Europe (sabotage des Nordstream, fermeture du transit par la Pologne et l’Ukraine) que l’Europe va devoir importer du GNL américain à un prix quatre fois plus chers qu’aux États-Unis. Les investissements en extraction, production et transport de GNL deviennent alors rentables. On peut donc conclure que dès 2016 les États-Unis prévoyaient l’interruption de l’approvisionnement en gaz russe de l’Europe, base de la compétitivité de son industrie. On connait la suite.
De plus de plus d’échanges utilisent des monnaies nationales, hors dollar, ce qui l’affaiblit (9). Le centre de gravité de l’énergie des hydrocarbures bascule vers les pays qui s’affranchissent progressivement de la tutelle occidentale et du dollar. L’impérialisme exerce toutes sortes de pressions pour briser ce mouvement, via les sanctions contre les pays membres et en cherchant par exemple à créer des tensions entre la Chine et l’Inde, pour le moment sans succès.
En synthèse, ces deux tableaux montrent que les pays producteurs d’hydrocarbures importants sont soit sous contrôle direct – bases militaires, OTAN, AUKUS – soit sous le coup de sanctions et la menace d’invasion et de guerre par les États-Unis. Le contrôle de l’énergie est un des axes principaux de l’impérialisme : c’est la raison, la seule vraie raison, pour laquelle la Russie, l’Iran et le Venezuela sont sous sa pression multiforme. Contre la Russie les États-Unis ont employé l’Ukraine et l’Europe, contre la Chine Taïwan, les Philippines, le Japon et la Corée du Sud, et contre l’Iran et les pays arabes du Proche-Orient Israël (la tentative de pousser à une guerre arabo-iranienne ayant échoué, les leçons de la guerre Irak-Iran semblent avoir été tirés).
Il ne s’agit pas de dire que l’Iran, la Russie ou le Venezuela sont exempts de tout reproche. Certains de critiques occidentales à leur égard sont justes. À cela deux observations : d’abord c’est aux peuples de ces pays de résoudre les injustices, les inégalités, les insuffisances démocratiques, sans ingérence étrangère ; ensuite il est évident que ces critiques occidentales souffrent de leur sélectivité, des pays « amis » aux régimes bien plus critiquables (et la liste est longue) ne subissent aucune pression. Ces critiques sont donc de prétextes pour justifier des mesures en vue de les soumettre.
L’abondance des réserves de pétrole et de gaz naturel dans une poignée de pays arabes et en Iran implique que l’impérialisme aura comme axe stratégique d’empêcher l’unité du monde arabe et iranien. Ce qui explique les coups d’État (Iran 1953), la provocation de guerres (Irak-Iran, Arabie Saoudite-Yémen) et l’alimentation de tensions entre États en raison des frontières coloniales (Algérie-Maroc, Irak-Koweït, Turquie-Syrie, Kurdistan), les guerres d’invasion et de renversement de régimes (Irak, Libye) en plus de la greffe israélienne.
Les gisements de Gaza
Il y a une dimension hydrocarbure dans la guerre que mène Israël à Gaza. En 1999 furent découverts des gisements de gaz importants pour l’économie palestinienne à 36 km de côte de Gaza. D’une taille relativement modeste à l’échelle mondiale (capacité annuelle de production de 1,5 milliard de m3 sur une période de 12 ans) ces gisements sont cependant intéressants à l’heure où l’Europe cherche à se procurer du gaz (10). Divers projets de consortiums menés par l’Autorité Palestinienne virent le jour, sans lendemain, pour exploiter ces gisements de gaz.
Le 18 juin 2023, le cabinet de Benjamin Netanyahou autorisa le développement du gaz naturel offshore de la ZEE de Gaza. Israël exigea en même temps que le Hamas ne puisse bénéficier d’une quelconque manière de l’exploitation de ce gisement, tout en cherchant à prendre une part dans la gestion et les revenus. Pour cela Israël entama des négociations avec l’Autorité Palestinienne et l’Égypte. Hamas approuva le principe de cet accord tout en insistant que ses bénéfices devaient revenir exclusivement au peuple palestinien.
À la tribune de l’ONU en septembre 2023, sûr de l’effacement de la question palestinienne, Netanyahou présenta une plan de mise en place des corridors gaziers vers l’UE, depuis l’Inde, à travers les pays du Golfe, l’Arabie Saoudite, Jordanie, Israël, Chypre (11), une alternative pour contrer le projet chinois Belt and Road Initiative. L’exploitation du gisement de Gaza entrait dans le cadre de ce plan.
Les évènements depuis le 7 octobre 2023 ont mis en stand-by ces projets.
Les terres rares, le nouvel enjeu pour la domination du monde
Les développements technologiques dans la dernière période ont relevé l’importance des terres rares. Les terres rares sont un groupe de 17 éléments chimiques essentiels dans de nombreuses technologies modernes. Elles jouent un rôle clé dans l’électronique, l’énergie renouvelable, la défense et bien d’autres domaines.
Les terres rares sont cruciales pour l’électronique : smartphones, tablettes, écrans LED, disques durs, semi-conducteurs ; les énergies renouvelables : aimants permanents dans les éoliennes, batteries des véhicules électriques ; l’aérospatiale et la défense : systèmes de guidage, radars, équipements militaires ; l’industrie : catalyseurs pour le raffinage du pétrole, alliages métalliques de haute performance.
Actuellement la Chine est le principal producteur mondial de terres rares, avec 60 à 70% de la production mondiale. D’après les estimations de l’United States Geological Survey (USGS), la Chine possède environ 37% des réserves confirmées, suivie du Viêt-Nam avec 18%, le Brésil et la Russie avec environ 17% chacun. En y ajoutant l’Inde, les BRICS+ possèdent environ 95% des réserves mondiales confirmées.
Les terres rares et le Maroc
L’enjeu des terres rares concerne aussi le Maroc. En effet le Mont Tropic contient d’importants gisements de terres rares, découverts fin des années 90. « De nature volcanique, « Le Mont Tropic », une imposante montagne marine de 3.000 mètres de hauteur située à 1 000 mètres de profondeur, regorge de “croûtes” de ferromanganèse bourrés de métaux rares et utiles comme le Tellure, un semi-métal indispensable à l’élaboration de cellules photovoltaïques, et également utilisé pour la fabrication de composants électroniques et surtout des batteries des voitures électriques de nouvelle génération. » (12).


L’impérialisme et les terres rares
Cette situation explique la politique actuelle des États-Unis sous la présidence Trump, qui vise la prise de contrôle de gisements potentiels importants de terres rares au Groenland et en Ukraine.
La position de Donald Trump sur la guerre d’Ukraine n’est pas l’abandon des orientations impérialistes des États-Unis, mais le reflet d’une réorientation qui tient compte des réalités de la situation en Ukraine. Au lieu de s’enfermer dans le narratif fantasque de l’équipe Biden et des dirigeants européens sur l’effondrement de la Russie, Trump veut se débarrasser au plus vite de cette guerre perdue d’avance et renouer avec la Russie pour des coopérations économiques en espérant l’arracher de son alliance avec la Chine.

Comme on le voit dans cette carte, la Chine supplante commercialement les États-Unis presque partout dans le monde. Pour Trump la vraie menace pour l’hégémonie américaine c’est la Chine.
Les positions récentes de Trump peuvent paraître déconcertantes, mais nous allons voir dans les prochains articles que les axes fondamentaux de l’impérialisme demeurent invariants. Et que c’est dans ces axes que se nourrit et s’inscrit le sionisme.
Mokhtar Homman, le 28 février 2025
Demain : XIX – Le sionisme, héritier de l’impérialisme
Notes
- L’Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole regroupe actuellement 12 pays : les cinq fondateurs en 1960 l’Arabie Saoudite, l’Iran, l’Irak, le Koweït et le Venezuela rejoints par la Libye, les Émirats Arabes Unis, l’Algérie, le Nigéria, le Gabon, la Guinée Équatoriale et le Congo. D’autres pays en ont fait partie avant de se retirer pour des raisons diverses : le Qatar, l’Indonésie, l’Équateur, l’Angola.
- The Energy Institute Statistical Review of World Energy 2024, p. 21.
- Réserves mondiales de pétrole | Planète Énergies
- Initialement composée en 2009 du Brésil, de la Russie, de l’Inde et de la Chine, elle s’est élargie à l’Afrique du Sud en 2011 (donnant l’acronyme BRICS) puis à l’Iran, les Émirats Arabes Unis, l’Égypte et l’Éthiopie en 2024, l’Indonésie début 2025, en attente de la confirmation de l’Arabie Saoudite, devenant le BRICS+. Neuf autres États sont devenus États partenaires lors du dernier sommet à Kazan en Octobre 2024 : Biélorussie, Bolivie, Cuba, Kazakhstan, Malaisie, Thaïlande, Turquie, Ouganda et Ouzbékistan. Les BRICS+ représentent environ 51% de la population mondiale et 40% du PIB mondial.
- The Energy Institute Statistical Review of World Energy 2024, p. 37.
- Réserves mondiales de gaz naturel | Planète Énergies.
- AUKUS est l’acronyme de l’Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis formant une alliance militaire.
- Philippe A. Charlez : « Le Gaz Naturel Liquéfié américain pourra‑t‑il concurrencer à terme les marchés gaziers russes ? ». La Revue de l’Énergie n° 633 – septembre-octobre 2016.
- En 1971 les États-Unis abandonnent la convertibilité du dollar en or (accords de Bretton-Woods en 1944). La valeur du dollar est alors indexée sur la production et la vente du pétrole, seule monnaie d’achat, en accord avec l’Arabie Saoudite. La nécessité d’acheter des dollars pour payer les hydrocarbures donne sa valeur au dollar, la Fed américaine se contentant d’en émettre autant que nécessaire. La dé-dollarisation en cours impulsée par les BRICS, y compris dans les ventes d’hydrocarbures, est un coup direct porté à la valeur du dollar et donc à la richesse des États-Unis.
- Jean-Sébastien Guillaume : Du gaz en Palestine, Conflits : Revue de Géopolitique, 14 Novembre 2023.
- Jean-Sébastien Guillaume : op. cit.
- Abderrazzak Boussaid : « Le Mont Tropic marocain ou qui veut gagner des millions ? ». Le 7tv, 14 mars 2021.