Le coiffeur du quartier des pauvres de Mohamed Reggab (1982)

Il était une fois….le cinéma

Un autre titre de la case très fermée des films cultes de notre cinématographie. Le coiffeur du quartier des pauvres (1982) est marqué en effet par la personnalité de son réalisateur, feu Mohamed Reggab, le contexte particulier qui l’a vu naître et son approche très spécifique d’une réalité marocaine, fort complexe.

Tout un environnement particulier qui fait qu’au-delà des qualités intrinsèques du film, Le coiffeur…et son auteur jouissent d’une aura et sont cités parmi les films et les cinéastes préférés de cinéphiles. Car, l’une  des caractéristique de feu Reggab (décédé hélas prématurément et suite à une longue maladie en 1990) est d’être engagé aux côtés des ciné-clubs, des artistes, des étudiants…Après une solide formation académique cinématographique et universitaire à Moscou, Bruxelles et Paris, Reggab rentre au pays et travaille d’abord pour la télévision, enseigne dans un institut de journalisme et anime des ateliers pour les étudiants à l’Université. En 1976, il participe à une expérience inédite avec un groupe de cinéaste casablancais (Derkaoui, Lagtaâ, Belakaf…) à la production d’un film collectif, Les cendres du clos… où il était notamment chargé de la réalisation. Idée généreuse et ambitieuse, empreinte de l’idéologie de l’époque.  Un différend né pendant le tournage entraina un conflit sur la signature du film. Un compromis fut trouvé et Les cendres du clos est attribué finalement au groupe.

Mohamed Reggab s’engagea alors dans la préparation de son premier long métrage.  Ce sera Le coiffeur du quartier des pauvres et qui ne verra le jour qu’en 1982 après une série de drames et de problèmes financiers qui ont marqué son tournage. L’année 1982 est une année charnière dans l’histoire du cinéma marocain. D’abord du point de vue commercial, elle va constituer le pic pour l’exploitation et le début de la chute du nombre des entrées, avec 246 salles et près de 40 millions de billets vendus.

C’est l’année aussi qui voit l’organisation de la première édition du festival national du film à Rabat. La production nationale avait connu un début de décollage avec l’instauration de la prime à la production ; une formule d’aide automatique qui a permis la réalisation, entre 1980 et 1982, d’une vingtaine de films dont le film de Reggab et a incité la profession à lancer la création d’un festival national du film avec compétition. La première édition était organisée à Rabat et a connu de vifs débats. Le coiffeur du quartier des pauvres a suscité beaucoup d’intérêt et a décroché une mention spéciale. Sur le plan international le film sera également primé, à Carthage et à Ouagadougou,  pour la qualité de son image (signée de Reggab lui-même), la force d’interprétation de Mohamed Habachi, époustouflant de vérité dans le rôle-titre. Le scénario est une adaptation d’une pièce de théâtre, La guerre,  de Youssef Fadel qui collabore au film pour le scénario et les dialogues. L’ouverture du film nous met d’emblée en face de son enjeu majeur : une voix off, celle du coiffeur, sur des images de Casablanca parlent de la monstruosité urbaine. Tout le parcours de Miloud est celui d’une dépossession. Il perd sa boutique, sa femme, ses amis et surtout ses maigres illusions.  La première scène est sous le signe de la transgression : un passant, traverse là où il ne fait pas. Un policier l’oblige à rebrousser chemin et à suivre les indications pour traverser cette célèbre place casablancaise. Ce passant n’est autre qu’un ami de Miloud il vient de sortir de prison et va passer la nuit chez son ami le coiffeur du quartier des pauvres. C’est l’élément déclencheur de toute une série d’événements qui disent la violence des rapports sociaux ; une violence horizontale entre les petites gens marquées par la médisance et la lâcheté mais aussi par une violence verticale, celle de classe avec le propriétaire illettré qui va spolier Miloud de sa boutique, l’envoyer en prison et lui enlever sa femme. Reggab en profite pour dessiner une image de l’intellectuel qui abdique devant le pouvoir avec le rôle du fquih (inoubliable Omar Chambout), porte-parole de la classe dominante et sa plume ; qui n’hésite pas à endosser tous les rôles qu’elle lui assigne (il devient boucher). Avant qu’une fin rocambolesque ne vienne remettre tout en question.

Mohammed Bakrim

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