Désavoué par la majorité gouvernementale
Au moment où le monde célèbre, ce 3 mai, la journée mondiale de la liberté de la presse, le Maroc se retrouve embourbé dans une querelle stérile sur la régulation des réseaux sociaux. Le 19 mars dernier et en dépit de la mise en garde du Conseil national de la presse, le gouvernement s’est entêté à programmer un projet de loi 22.20 portant sur l’utilisation des réseaux sociaux. Le texte fut adopté dans l’anonymat total jusqu’au jour où, de l’intérieur du gouvernement, quelqu’un décide d’en dévoiler une partie du contenu, provoquant un tollé général.
Mis à part le timing de cette fuite et les interrogations qu’il suscite ainsi que la procédure peu habituelle suivie pour son adoption, ce projet a la particularité de rester sans parrain puisque aucune des composantes de l’actuelle majorité n’a osé l’adopter publiquement.
Du côté du parti qui dirige le gouvernement, on se démène du mieux que l’on peut pour s’en distancier et se dédouaner également de la fuite organisée de son contenu.
Quant au parti du ministre de la Justice, supposé être le parrain de cette loi, on n’a pas trouvé mieux que de jeter la balle dans le camp du parti du chef de gouvernement, l’accusant de semer la confusion au sein de la majorité, au moment où certains de ses militants ont dénoncé clairement le contenu.
Le Parti de la colombe, membre de la coalition et que tout le monde attendait sur cette question, n’a pas dérogé à la règle. Sa direction s’est fondue d’un communiqué qui dénonce la fuite sans soutenir le contenu du projet.
Même son de cloche de la part du très discret parti de l’épi qui s’est contenté d’appeler au calme, au consensus et à la défense des acquis…
Devant cette situation confuse, il est légitime de s’interroger sur les origines et les intentions de ce texte galeux que toute la majorité désavoue et s’en désolidarise.
Des dirigeants de partis politiques, d’organisations de défense des droits humains ainsi que le SNPM ont condamné cette loi et demandé son retrait. Des pétitions ont été lancées dans le même sens, devant le silence assourdissant et suspect du gouvernement.
L’Exécutif a eu l’opportunité de se rattraper, à l’occasion du dernier conseil de gouvernement pour s’adresser aux Marocains et les rassurer en donnant une réponse officielle et convaincante. Sauf, qu’encore une fois, par une indifférence et une impassibilité blâmable, il a raté de belle manière cette occasion de se racheter.
Avant de se lancer dans une analyse du fond de ce texte, une lecture de sa gestion s’impose : nous sommes devant une démarche, sinon, dangereuse, pour le moins inquiétante dans ce sens qu’elle ne procure pas confiance. Sans oublier de signaler que ce projet de loi n’a pas fait l’objet de consultations préalables avec les institutions concernées ou les organisations de la société civile, des forces politiques…
Beaucoup de ses chapitres sont tout simplement attentatoires aux libertés publiques et individuelles, notamment à la liberté d’expression et au droit d’accès à l’information. Il attente également aux libertés numériques qui constituent les indispensables garde-fous des droits de l’homme dans le monde d’aujourd’hui et de demain.
Les dispositions de ce projet de loi profitent surtout aux lobbies de l’économie de rente, comme le dispose l’article 14 qui anéantit le contrôle populaire et médiatique et le rôle de la société civile et de l’opposition.
Notre pays, comme tous les pays du monde, a le devoir de développer son arsenal législatif pour répondre aux problèmes émergents, tels que la cybercriminalité. Sauf que cette évolution doit conforter les acquis démocratiques et non les infirmer et les balayer. Il est évident que ce champ juridique est encore vierge et d’une extrême sensibilité qu’il faut l’aborder avec beaucoup de diligence, de doigté et de sensibilité, en veillant à élargir au maximum les consultations, non seulement avec les institutions désignées à cet effet, mais aussi, et surtout, avec les organisations politiques, les instances représentatives des professionnels du droit ainsi que des experts, sans omettre de s’inspirer des expériences étrangères dans ce domaine.
Cette maladresse de l’Exécutif intervient en plein milieu d’une belle mobilisation nationale contre la pandémie due au Covid-19, qui sévit depuis près de deux mois. C’est une bourde qui sème la crainte que l’urgence sanitaire ne se transforme en urgence démocratique et politique et que ces conditions sociales difficiles soient exploitées pour nous imposer de graves régressions en matières des droits civils et politiques.
Le gouvernement n’a pas d’autres choix aujourd’hui : il doit d’armer de courage politique et retirer ce texte liberticide.
Et si, et seulement si, ce débat arrive à être engagé, il doit l’être d’une manière large et transparente, avec en toile de fond l’impérieuse nécessité de préserver nos acquis démocratiques.