A quand la fin de la ritournelle macabre d’Al Jahilia chez nous?

IMLIL, IMLIL… Terme bien de chez nous. Nous, les Marocains et Marocaines, qui sommes héritiers d’une séculaire alchimie entre ADN Amazigh et diverses ADN d’Orient, d’Occident et d’Afrique. Terme jusque-là protégé dans son écrin d’Amazighité, plus que millénaire, comme les monts et montagnes, les collines, la rocaille semi-désertique, les rivières et cours d’eau qui l’entourent.

Terme Imlil qui sert à ses habitants pour désigner leur terre poussiéreuse et blanche ou pour désigner la chaux blanche…Blancheur, couleur, à la légitimité ancestrale, de leur foi inébranlable en l’Islam, est et restera antinomique au noir des délires anté-islamiques venus d’ailleurs. La blancheur de la paix et de la fière concorde humaine qui vient d’être dans ces contrées, en ce décembre 2018, diaboliquement dévoyée, animalement égorgée et souillée, pour désigner désormais deux linceuls trempés dans le sang rouge de deux innocentes colombes blanches de paix, venues depuis les terres de leurs ancêtres Vikings, à longueur d’année drapées de neige blanche, afin d’admirer et glorifier la blanche et paisible contrée d’Imlil. Notre Imlil, la blanche, a été leur ultime étape sur terre, leur finitude… Comme l’a été, pour certains de mes amis, le centre-ville de Dar Al Baida, il y a quinze ans, en 2003.

Le mortel humain, le Marocain, à Imlil et ailleurs, en a été horriblement stupéfait. Il pouvait l’être légitimement si tant il est conscient de son histoire millénaire, de tolérance, d’œcuménisme, de chants et danses à la gloire de la vie, de la nature généreuse et variée de ce pays, du « Prochain », du visiteur (e), de l’invité (e)… Pourtant, n’est stupéfait que le «lobotomisé», le sans mémoire, sans regard critique sur ce qui l’entoure et se trame, depuis des décennies, dans l’ombre, dans les recoins obscurs de nos villes, de nos campagnes, de nos quartiers, de nos banlieues, de nos villages, de nos bidonvilles, de nos bourgs et douars… En l’an 2000, il y a dix-huit ans révolus, à 60 kms de Safi, en pays Abda, sur le territoire de la Commune de Oulad Abderrahmane, cette stupéfaction inouïe pour moi, à l’époque :une de mes équipes d’enquêteurs et enquêtrices sur la santé de la mère et de l’enfant revient avec ses questionnaires vides, non remplies ! Les familles d’un douar, ciblées par cette recherche, avaient chassé les membres de l’équipe. Maris, aux barbes hirsutes d’un autre âge et femmes momifiées dans des linceuls noirs et burqas païennes afghanes, leur avaient crié qu’ils n’avaient, eux et elles, rien à avoir avec notre monde, notre Maroc, avec son État, son système de santé publique, sa sociologie ou anthropologie, ses études épidémiologiques ou recherches opérationnelles ! Exit le Maroc ! Notre Maroc, déjà, en l’an 2000!

Mon regretté doyen de métier, à la plume sans doute plus aimante que la mienne pour ce pays, Si Larbi Messari, alors ministre de la communication, ne me crût qu’avec grande peine lorsque je lui rapportai ce séisme qui m’avait ébranlé chez Oulad Abderrahmane, à quelques encablures de Safi, ville séculaire de grands marins ouverts sur le large et le monde. Notre douloureuse stupéfaction, voire une panique touchant à notre existentiel même, à tous les deux, Ssi Larbi et moi-même, me fit décider de partager alors cette tranche déroutante de ma vie avec les lecteurs et lectrices de certains quotidiens nationaux…Nul échos à notre alarmante épouvante ni suite décisionnelle sur son lieu abdi!

Effroi réel en l’an 2000 devant cette révélation hors des écrits célestes :Al Jahilia avait déjà pris souche dans nos lointaines et enclavées chaumières ! Mais à dire vrai, avec zeste de lucidité, de mémoire de deux ou trois générations, la diabolique graine croissait sous nos champs et nos trottoirs depuis 30 ans au moins de fait…  C’est-à-dire quand, à l’aube des années soixante-dix, les apprentis sorciers, serviles laudateurs usurpateurs, ont conseillé de cloner, en figures humaines ou baroudeurs, les avions espions américains, les «Awacks» et en inonder les campus universitaires qui bouillonnaient alors d’une jeunesse débordante de rêves pour la liberté, la justice, la dignité et la modernité. Comme «mesures d’accompagnement», de ce double débarquement, de surveillants et d’une 5ème colonne martiale d’apprentis-prêcheurs, on embastilla la sociologie et on castra la philosophie, les deux veines jugulaires de l’esprit critique qui rend intelligible la réalité, qui raffermit la foi, qui nourrit le rêve de la liberté, de toutes les libertés.

Maroc: 1965, 1966, 1967, 1973…2000, 2003, 2018…

Une génération en fût ainsi plombée, arrêtée net dans ses élans, soit jetée dans des geôles à torture physique et psychique, soit laminée, domestiquée, mise en sursis ou rabaissée dans l’anonymat du dehors, de la résignation du blessé collatéral, voire de la soumission sans mémoire. Mais cette génération, en fait, avait été violentée bien avant dans ses ambitions quelque peu angéliques, dès le lendemain de son adolescente rébellion de lycéens en Mars 1965. Puisque on la traqua entre deux fourches caudines.D’une part, l’appel en juin 1966, sous les couleurs (service militaire obligatoire) pour 18 mois, en commençant, dès février 1967, par les dirigeants du mouvement estudiantin, c’est-à-dire tous les membres du bureau national de l’UNEM qui, le 24 janvier 2019 nous rappellera qu’elle avait été interdite il y a 45 ans, le 24 janvier 1973.

D’autre part, l’exposition obligée, en classe pour collégiens et lycéens, à tout le rebut vomis à l’époque par l’école de l’Égypte de Gamal Abdel Nasser : les «frères» dits musulmans!

Subrepticement, la démagogie des «frères enseignants», venus d’ailleurs, dévoya inexorablement la pédagogie motivante pour l’esprit et la réflexion, et dans nos juvéniles têtes domina le martèlement de leurs légendes d’illuminés, de faux dévots et d’illettrés de la foi…Martèlement, des décennies durant, qui éteignait progressivement en l’âme et en la raison des fils et des filles de ce pays d’érudits depuis des siècles, le feu du questionnement, du libre arbitre, du savoir encyclopédique, du multilinguisme et du multiculturel, de la diversité, du libre arbitre, de la liberté de pensée, de l’amour de l’Autre, de la célébration de la vie et de notre espèce, parmi les autres espèces toutes aussi bien aimées.

Les hordes bigarrées, de plusieurs horizons et de plusieurs terreaux, d’Al Jahilia, plus assassines, plus barbares, plus analphabètes et plus païennes que la « nuée de sauterelles » décrite par Ibn Khaldoun, l’historien et le  1er sociologue de notre Maghreb et du monde, ont donc pris d’assaut, depuis plus d’un demi-siècle, vers le milieu des années soixante, nos montagnes, nos vallées, nos villes, nos quartiers, nos mosquées, nos classes, nos universités, nos taxis, nos épiceries, nos cimetières, nos cafés et restaurants, nos hammams, nos guichets et nos banques, sans parler de nos services publics et divers secteurs privés de nos activités nationales (dans la santé, dans l’enseignement, dans le commerce etc.).

C’est un mouvement polymorphe et protéiforme de troupes lugubres et déterminées, aux mille visages. Aux serments et promesses trompeurs, qui avancent parmi nous et parmi nos «Imlils», traitreusement, à la faveur des ombres et de l’obscurité qui hantent et plombent les espaces de notre « vivre ensemble» : la déshérence de nos écoles et universités, orphelines de tout, l’illettrisme de nos pseudos prêcheurs, l’inconséquence de nos politiques publiques multisectorielles, en tête l’enseignement, encore une fois, et l’emploi, ainsi que l’auto-marginalisation des «semi-professionnels» de la société dite «civile», aux égos hypertrophiés et resquilleurs, sinon usurpateurs… Sans oublier – il faut le dire – ce silence de figé, de tétanisé, qui immobilise les masses de notre peuple alors qu’elles sont, in fine pour de vrai, bien que malgré elles, la mer dans les profondeurs de laquelle Al Jahilia croit et prolifère comme des algues polluantes et cannibales qui pompent l’oxygène et les nutriments nécessaires à la vie. Les voilà, ces algues mortifères qui nous frappent à la tête de ce pays : le Mont Toubkal dont sa 8ème place au niveau de notre continent n’est pas la moindre de nos fiertés (4167 mètres) et que nous envient, dans leurs déserts stériles et pollués, les commanditaires et les forgerons occultes et incultes de cette résurgence de la barbarie, d’Al Jahilia anti et antéislamique.

Toubkal : 4167m. An 2969

En cette année 2969 du calendrier de nos aïeux agriculteurs et éleveurs, sommes-nous toujours pris, depuis les années soixante, dans le piège et les griffes du traitre ministère du culte de la mort, le culte de cette Jahilia ?! La ritournelle de celle-ci cessera-t-elle, sans que nos masses, toutes nos masses, en millions, se lèvent, en chaine, aussi haut que nos chaines de l’Atlas, pour dénoncer et mettre fin à toute manifestation de cette Jahilia, visible ou invisible, ostentatoire ou camouflée, gestuelle ou loquace… Partout, làoù elle tente d’impressionner, de menacer ou juste d’influencer ou de suggérer : à l’occasion de prières communautaires, de mariages et funérailles, derrière un guichet, derrière un comptoir de commerce, derrière un volant de transport collectif (bus ou taxi), dans une file ou salle d’attente… On a trop attendu pour se mettre debout en face ! Pour réagir fermement, en masse, en un mouvement unique et tellurique afin d’ enterrer définitivement cette hydre instillée graduellement en notre sein depuis plus d’un demi-siècle. Réveillons les roches volcaniques éteintes depuis des millénaires et qui trônent au sommet de notre plus haute montagne, «celle qui regarde d’en haut la terre» («Toug-Akal» que les français ont transformé en «Toubkal») !

A quand la mobilisation des hommes et des éléments de cette terre bénie contre Al Jahilia qui nous meurtrit et nous avilit par sa bestiale ritournelle chaque année qui s’achève?!

Pour revenir, en deuil, à Imlil, le mot désigne pour un illustre érudit en linguistique amazigh la chaux et sa blancheur…Pour un fils de paysan de ces contrées, Imlil désigne une roche blanche, qui pourrait rappeler la poussière lunaire foulée par l’Homme en 1969, et qui sert à préserver, dans les « Agadir » (greniers) la moisson annuelle du blé contre les insectes, les charançons, les teignes, les capucins des grains et autres parasites… Qu’attendons-nous pour saupoudrer de la roche decet astre IMLIL, tous les Imlils urbains et ruraux de notre identité millénaire, atlasique, océane et méditerranéenne afin de défendre notre identité marocaine moissonnée durant des siècles,quotidiennement et partout contre toutes sortes de parasites, ceux d’Al Jahilia pour l’heure?! Bonne année et paisible Yenayer,Imlil !

Jamal Eddine Naji

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