Abdelkader Haidara, l’homme qui a sauvé les manuscrits de Tombouctou

Avril 2012, au tout début de l’occupation jihadiste de Tombouctou, un homme marchait d’un pas lent au milieu des débris qui jonchaient le sol dans les locaux du quartier administratif de la ville, livrée au pillage. A la vue des amas de papiers éparpillés un peu partout, il fut pris d’un sentiment d’angoisse et s’imagina un instant que le même sort allait s’abattre sur les centres de manuscrits qui ont fait la fierté de la ville pendant des siècles.

Lui, c’est AbdelKader Haidara, un homme engagé, président d’une association pour la sauvegarde du patrimoine qui, ce jour-là, décida d’agir, face au chaos et à l’insécurité qui régnait dans le nord du Mali, pour protéger et sauvegarder un patrimoine culturel mondial inestimable composé de milliers de manuscrits historiques. Une mission qu’il accomplira avec succès au bout d’un long parcours jonché d’épreuves, de grandes difficultés et de moult péripéties.

Des mois durant, près de 378 mille manuscrits seront ainsi exfiltrés de Tombouctou, alors sous occupation jihadiste, à destination Mopti (centre) ou de Djenné pour être acheminés, par voie terrestre ou fluviale, vers Bamako où ils ont été placés dans des lieux sûrs, première étape d’un travail qui sera ensuite poursuivi par l’inventaire, la classification et la numérisation de ces documents.

Aujourd’hui, c’est dans un grand centre dans la capitale malienne, dirigée par Haidara, que l’opération de nettoyage, d’inventaire, de classification et de numérisation de ces manuscrits est menée, avec l’appui de partenaires étrangers.

De Tombouctou à Bamako, le périple était en effet jalonné d’énormes difficultés mais le jeu en valait la chandelle car les menaces qui planaient sur les manuscrits étaient énormes, a expliqué dans un entretien à la MAP, Haidara qui ne se faisait aucune illusion sur le sort qui attendaient les manuscrits de Tombouctou si jamais ils n’étaient pas exfiltrés des zones occupées par les jihadistes.
«Il y avait un grand désordre à Tombouctou», résume d’emblée le président de l’association «Sauvegarde et valorisation des manuscrits pour la défense de la culture islamique» (SAVAMA-DCI).
«Quelques jours après l’arrivée des groupes armés, lorsque je suis sorti pour une tournée au quartier administratif, j’ai constaté que les bureaux étaient saccagés et j’ai vu les documents et papiers administratifs éparpillés partout», a-t-il enchaîné.

Ce spectacle de chaos va l’interpeller au plus profond de lui-même. «A ce moment, je me suis dit que les manuscrits que nous avons dans nos bibliothèques, ce sont aussi des papiers, et si les bandits et les hommes armés arrivent dans nos quartiers, ce serait le même pillage dans nos bibliothèques».

 «Je suis retourné à la maison et j’ai commencé à appeler tous les détenteurs de manuscrits pour discuter de ce qu’il faut faire face à cette situation. Tout le monde convient qu’il faut faire quelque chose», a-t-il dit, relevant l’énorme complexité de la tâche.
«En réalité, il se trouvait que les choses étaient très difficiles car tout était fermé. Il n’y avait rien à Tombouctou : plus de banques, plus d’argent, rien, vraiment la catastrophe !», se rappelle-t-il.
Il fallait alors trouver de l’argent afin d’acheter des cantines métalliques et y mettre les manuscrits pour les faire sortir des bibliothèques, car, explique Haidar, «laisser ces documents là où ils étaient leur fait courir de réels risques».
Dans les faits, la décision a été prise de placer les manuscrits dans les différentes familles à Tombouctou. Tout le monde en convient et salue l’idée mais les moyens manquaient pour entreprendre toute action.

«Il se trouvait que j’avais une bourse de 12 mille dollars octroyée par la Fondation Ford (USA). Donc, j’ai demandé et obtenu auprès de la Fondation l’autorisation d’utiliser cette bourse pour la sécurisation des manuscrits», a-t-il dit, précisant que devant problème de fermeture des banques à Tombouctou, il fallait remettre «un chèque à un ami pour partir à Mopti (centre) afin d’effectuer le décaissement de l’argent et d’acheter les cantines qui seront acheminées vers Tombouctou».

Pendant un mois, tous les manuscrits seront ainsi délocalisés et placés auprès des grandes familles de Tombouctou. «C’était la première étape, mais au bout de quelques mois, nous avons senti qu’il y avait beaucoup de menaces» qui planaient encore sur ce patrimoine, a-t-il dit.
Du coup, Haidara et ses amis décident d’une autre stratégie : «Faire sortir carrément les documents des zones de conflits et les amener dans d’autres lieux où il n’y a pas de conflit?».
Une réunion a été tenue à Bamako et des commissions ont été mises en place, dont l’une pour la mobilisation des fonds et une autre pour le choix de sites qui devront accueillir les manuscrits dans la capitale.
«Avec l’appui de plusieurs partenaires financiers internationaux, on commençait alors à exfiltrer les cantines dans lesquelles se trouvaient les manuscrits par véhicules vers Mopti puis Bamako. Une grande partie de ces documents a été également acheminée par voie fluviale à bord de pinasse», a-t-il expliqué, notant que les opérations étaient suspendues quand la situation sécuritaire s’aggravait.
Depuis qu’ils ont été acheminés et placés à Bamako, ces manuscrits ont été soumis à un travail d’inventaire et de classification. Une fois numérisés et photocopiés, ils sont rangés dans des boîtes en carton, conçues spécialement à cet effet.
Au nombre de 377.491, ces manuscrits sont classés en grands ouvrages, petits ouvrages, poèmes, correspondances et documents de commerce et de foncier.
Longtemps oubliés et conservés, dans des conditions précaires, au sein de bibliothèques privées appartenant aux grandes familles de Tombouctou, ce patrimoine commence ainsi à livrer ses secrets.
manuscritsD’après Haidara, les manuscrits concernent toutes les ethnies du Mali et plusieurs pays d’Afrique, d’Europe, du Moyen-Orient et d’Asie. Ils traitent des questions les plus essentielles du savoir et embrassent toutes les branches des sciences (médecine, physique, chimie, philosophie, théologie, littérature…).
Ces manuscrits sont majoritairement écrits en arabe, par des oulémas africains, alors que certains de ces documents sont «venus d’ailleurs mais commentés ou résumés par les érudits africains».
Haidara estime, à ce propos, que plus de 30% de ces documents historiques, classés patrimoine humanitaire universel, concernent le Maroc.
Dans le lot des documents qui se rapportent au Royaume, «on trouve notamment des correspondances qui évoquent le Maroc et les rapports économiques et culturels entre le Royaume et d’autres pays», a-t-il dit, soulignant que «d’autres documents ont été écrits par des oulémas et des érudits marocains».
«Pour nous, habitants de Tombouctou, cela ne relève pas du mystère car les relations entre Tombouctou et le Maroc ont été historiquement denses et fortes», a-t-il expliqué.

Taoufik El Bouchtaoui

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