Les peuples s’expriment à travers la musique et la poésie. Chaque parole est une véritable jarre de trajectoires historiques. Le chant quant à lui éternise les grands événements traversant chaque société et époque. L’art de l’Aïta fait partie de ces expressions artistiques.
Exercé dans les Chaouia, Abda et Doukkala et bien d’autres, l’Aïta a été, à un moment donné de l’histoire, un instrument de résistance et de révolte contre la dictature et la tyrannie. Cet art ancestral a certes animé les soirées de mariage et de noces de tribus d’autrefois ; mais il est également porteur de messages politiques et sociaux.
Loin de la formule de certains structuralistes «le texte a son contexte», les poèmes de cet art authentique puisent leur inspiration dans la vie de l’humain, celle du marocain.
On ne peut parler de cet art musical sans faire référence à une panoplie de figures de proue qui ont marqué, par leurs voix et charismes le répertoire musical de l’Aïta. Parmi les ténors de cet art, figure la mythique diva Kharboucha qui a habité l’imaginaire des générations d’antan et certaines d’aujourd’hui par ses chants, en faisant de sa voix et de son art une arme pour dénoncer l’injustice faite aux humains.
Cette femme qu’on pourrait nommer, si nous n’osons dire, d’avant-gardiste, a battu avec «une voix de fer » l’arrogance d’un caïd Aïssa. Issue de la ville de Safi, cette artiste a fait de son art un moyen pour sensibiliser les habitants de sa tribu à se révolter contre la dominance et la soumission du caïd. La beauté de son art réside dans la profondeur des mots qu’elle chantait avec feu.
Quand on parle de l’art de l’Aïta, on songe à un territoire bien entendu. Il s’agit des villes de Safi, El Jadida, Khouribga, Casablanca, Kalaât Sraghna, Kénitra et d’autres régions du nord où ce type musical a connu son éclat. L’Aïta est, au sens premier, un appel de ralliement. Entre les vers de chaque chanson se cachent un vent d’amour, un grain de beauté et un hommage à la vie et à l’univers.
Toute référence à l’Aïta renvoie au principe de transmission de cet art d’une génération à l’autre, afin d’en assurer la relève et ce, dans les fêtes, les moussems et les rencontres animant la vie quotidienne des gens.
Ajoutons que la richesse de ce patrimoine musical est incarnée dans la diversité des types de l’Aïta selon les spécificités de chaque ville et région, entre autres : l’Aïta Al Gharbaouia, Al Hassbaouiya, Al Haouzia, Al Jablia, Azzaaria….
D’autres noms reviennent à la mémoire quand on fouille les archives, notamment Bouchaïb al Bidaoui, Hajja Hamdaouia, Maréchal Qibbou, L’Hajja l’Hammounia, Hajib, Abdelaziz Stati qui ont fait vibrer les âmes et les corps. Il y en a qui exercent toujours sur scène en renouvelant cet art, et bien d’autres qui nous ont quittés, laissant derrière eux un répertoire riche pour la musique marocaine…
Mohamed Nait Youssef