Le témoignage de l’aède amazigh est édifiant et fournit une base au sens étymologique de cette bourgade enclavée du Maroc central :
Id afgu ar ad utgh, mid ism nnes as ra neghr i wesmun ad iffgh ixamen
Devrais-je «siffler» ou l’appeler par son nom, pour que mon bien-aimé sorte des tentes ?
ANFGOU est donc synonyme de «sifflement», moyen de communication et de dialogue entre amants.
Et l’expression figée confirme :
Da ikkat afgou : il «siffle». Sifflement utilisé par les «trappeurs» pour imiter le cri de la chouette qui mobilise les lévriers, objets de la chasse.
Afgou serait donc le sifflement et ANFGOU, «lieu qui siffle ou de sifflement» car, situé à l’entrée d’une vallée où le vent «siffle» régulièrement. Voici donc l’étymologie de la bourgade amazighe.
Mais l’aède nous apporte des témoignages et des documents qui nous replongent dans les «temps héroïques» (Cf. : Michael Peyron, poésie de l’époque héroïque) de la résistance amazighe. Il édifie notre mémoire et notre histoire. Histoire ignorée par les scribes de la Qaraouinie. Par sa position géostratégique, ANFGOU ne sera «pacifié» qu’au prix de batailles tragiques et de résistances suicidaires. La machine de guerre coloniale, qui commit des crimes contre l’humanité par les massacres qu’elle a perpétrés dans la montagne amazighe au début du XXe siècle avant d’accéder à ANFGOU, affronta la résistance à Tounfiyt, Aghbala et livra la bataille historique de Tazizawt. La poésie amazighe de la résistance le témoigne. Elle nous offre des images d’ANFGOU, théâtre de batailles acharnées.
En guise d’exemple :
1- Djawen tadunt a yuccen n UNFGU
Äreq i ymeksawen ha iärrimen g umerdul
Rassasie-toi de graisse, ô chacal d’ANFGOU
Les cadavres des jeunes berbères s’amoncellent dans la steppe, laisse en paix les bergers.
L’aviation et l’artillerie française ont fait des massacres. Des dizaines de cadavres de résistants amazighs sont déchiquetés. Les chacals peuvent se rassasier et laisser les bergers paître leurs troupeaux.
2- Issubber Wassif Melloul à YANFGOU
Issubber Sidi Lmekki ca wer t igi
L’Assif Melloul vient de se soumettre ô ANFGOU
Sidi Lmekki, impuissant, en a fait autant.
L’aède interpelle ANFGOU pour lui signifier l’inutilité de sa résistance. La vallée d’Assif Melloul des Aït Hdiddou est soumise et le Chef des Imhiwach, Sidi Lmekki a agi de même. Il faut donc accepter la défaite.
3- Seggwis dregh s ANFGOU a yul inw ayd agh tgid amazir
Yuf agh ifri anecti d ittghiman mind i
Depuis que je suis descendu à ANFGOU, mon coeur est désolé
Je regrette ma grotte-cachette, face à ce spectacle écœurant.
4- A YANFGOU butmeghriwin ayd tgid
Ulin nn Imazighen ad ac gen ahidus
ANFGOU, tu es la contrée des noces
Voici que les Berbères montent vers toi pour t’offrir un ahidous.
5- Mec agh icib ighf is iwigh anezwum
seg may ssaragh timizar UNFGOU
Si ma tête a blanchi, c’est à cause des soucis
Qui m’ont accablé pendant mes marches dans la bourgade d’ANFGOU.
6- Seggwis rran Ayt Ndir ad ANFGOU
Awwa illa digs lbibu lla ibna
C’est depuis que les Aït Ndir ont emporté ANFGOU
Que les Français ont pu y construire leur bureau de commandement.
Ces vers de poésie de la résistance amazighe constituent des «documents authentiques», des témoignages édifiants qui aident à réécrire notre histoire et à réhabiliter un pan essentiel de notre mémoire collective. Il serait intéressant de croiser ces vers avec les rapports des militaires et officiers français. Tout un chantier à réaliser.
Moha Moukhlis