Bientôt une loi organique ?

blocage actuel de réglementation du droit de grève. Explications.

«Nous avons transmis une proposition de loi au gouvernement et aux syndicats les plus représentatifs, il y a deux ou trois ans», explique Yassir Meski, de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM), à Al Bayane. «Nous voulions enclencher des discussions dans le cadre du pacte social. Vers novembre-décembre 2014, nous avons diffusé cette proposition au grand public, sous forme de livre pratique. Il s’agit d’une trentaine d’articles qui ont pour objectif de réglementer ce droit constitutionnel (ndlr : dernier alinéa de l’article 29). Cette diffusion visait à mettre un peu de pression sur l’exécutif car l’article 86 de la constitution stipule que toutes les lois organiques découlant de la constitution, y compris la loi sur la grève, doivent être mises dans le circuit législatif avant la fin du mandat de l’actuel gouvernement.» Jusqu’à aujourd’hui, des discussions sont toujours en cours. «Le gouvernement a mis du temps à initier un dialogue social tripartite, incluant le patronat, les syndicats et le gouvernement. Lors des premières discussions de la CGEM avec les syndicats, ces derniers refusaient tout. Toutefois, au fil des discussions, les cinq plus grands syndicats ont changé de position. Certains disent oui ; d’autres disent oui mais.» La CGEM espère malgré tout voir cette loi promulguée d’ici la fin de l’année.

La proposition du patronat prévoit notamment un préavis d’au moins dix jours. «La grève doit être déclenchée par le syndicat le plus représentatif dans l’entreprise ou à défaut par les salariés réunis en AG, laquelle doit comporter au moins 75% du personnel. La décision de grève doit être approuvée par au moins 51% de l’assemblée.» Pour le CGEM, la réglementation du droit de grève doit s’accompagner de l’amendement de certains articles du code du travail. «C’est un fait : la principale raison des grèves est le non respect du code du travail par les employeurs. Si des employeurs font ce choix, c’est parce que certaines dispositions ne sont pas applicables. En matière de médecine du travail, par exemple, ou en ce qui concerne les cumuls des indemnités en cas de licenciements abusifs…».

Yassir Meski explique les réticences des syndicats face à cette proposition de loi par le besoin de garanties en contrepartie. «Ces syndicats considèrent que le seul droit qui leur reste, c’est celui de faire grève. Ils ont peur qu’on le leur enlève. Ils demandent une augmentation des revenus ; l’exécution des points restants de l’accord de 2011 ; l’exonération des salaires de moins de 6000 DH de toute taxation… Parmi leurs priorités, ils veulent aussi abolir l’article 288 du code pénal qui prévoit contre les grévistes, en cas de débordements, des pénalités et des peines de prison ferme. Juridiquement parlant, le fait de promulguer une loi sur la grève annulera l’article 288», argumente-t-il. «Une loi organique prime sur un simple article du code pénal.»

Du côté de l’UMT, on confirme ces craintes de perte de levier. «Les travailleurs marocains ont arraché ce droit de grève», déclare un responsable syndicaliste à Al Bayane. «C’est un acquis historique, reconnu par la constitution depuis 1962. Aujourd’hui, le gouvernement fait de l’exercice du droit de grève son cheval de bataille alors qu’il y a d’autres priorités : le chômage ; les maux de l’économie marocaine ; l’enseignement ; la santé… L’UMT et la classe ouvrière marocaine ne sont pas près de sacrifier leur droit de grève. Malheureusement, dans les conditions actuelles, la réglementation ne peut se faire qu’aux dépens de nos droits et de nos acquis. Cela ne peut être qu’une marche à reculons. Des pays plus avancés que nous dans la démocratisation de la société n’ont pas encore de loi organique sur la grève. Alors pourquoi le Maroc devrait en avoir une ? Chaque année, les statistiques du ministère de l’emploi indiquent que la majorité des grèves ont pour cause le non respect du code du travail. Or, les autorités ne sont pas prêtes à faire respecter le droit du travail par les employeurs…».

Quel management des relations sociales ?

Mohamed Tassafout : «Les entreprises doivent dialoguer avec leurs salariés»

Le 23 mars 2015, à la Chambre française de commerce et d’industrie au Maroc (CFCIM), Mohamed Tassafout, Directeur des ressources humaines de Delattre Levivier Maroc, a rappelé les prochaines élections des représentants des salariées. Pour lui, ces délégués du personnel sont une des étapes vers une meilleure gestion des relations sociales au sein des entreprises.

La Commission  enseignement, formation et ressources humaines du CFCIM veut inciter les chefs d’entreprises à gérer leurs relations sociales de manière responsable et réfléchie. Les élections des représentants des salariés devraient théoriquement avoir lieu le 14 mai de cette année, pour six ans. «En théorie, ces élections touchent 80% des entreprises marocaines», commence Mohamed Tassafout, Directeur des ressources humaines de Delattre Levivier Maroc, Président de la Commission enseignement, formation et ressources humaines de la CFCIM. «Dans la pratique, seuls 10% de l’entreprenariat marocain a des instances représentatives du personnel. Cela s’explique par le fait qu’au Maroc, il y a beaucoup de TPE et de PME qui fonctionnent avec bon sens et technicité mais qui n’ont pas spécialement les réflexes légaux typiques en matière de ressources humaines.» Au Maroc, de nombreuses entreprises sont familiales et l’informel reste important, ce qui entre également en ligne de compte. Taoufik Fahes, Directeur général de Tchemba sarl, ajoute : «De ma propre expérience en tant que gérant d’une entreprise de textile, les chefs d’entreprise se dotent souvent de délégués du personnel par obligation légale (ndlr : Code du travail (2001)). Le principal problème, quand les élections sont envisagées seulement dans cette optique, c’est que cela peut causer un manque de formation et d’information. Pour résoudre ce cas de figure, il faut tout d’abord mettre en place une gestion participative de l’entreprise ce qui exige un changement de mentalité. Cela requiert d’abord un travail d’information auprès du personnel, avant les élections : planifier des réunions ou des séances d’information. «Concrètement, le management des relations sociales, c’est avant tout une affaire de temps, de bon sens et de communication, ce qui demande d’être à l’écoute, de faire preuve de générosité émotionnelle», déclare Mohamed Tassafout. «Il faut les valeurs de l’entreprise. Je ne parle pas des valeurs monétaires. Je parle d’une construction de valeurs de la vie de l’entreprise. Il faut partager les coups durs et les réussites. On doit communiquer les défis, leurs enjeux et trouver une moyen de relever ces défis ensemble. Je pense aussi qu’il faut savoir dire non et assumer son non.» Le Directeur des ressources humaines insiste sur le besoin d’une communication «terre à terre». «Elle ne doit pas être ‘cosmétique à la CAP40’.» D’après l’expert, remplacer une logique de pouvoir par une logique d’intérêt permet d’installer une ambiance sereine et pérenne qui favorise la création de valeur ajoutée. «Aujourd’hui, on ne peut pas obtenir de croissance économique sans croissance sociale. L’entreprise doit donc donner un sens à son évolution».

Concentrer les revendications personnelles

«Plutôt que d’avoir 100 employés qui font chacun leurs préoccupations individuelles, n’est-il pas préférable d’avoir un délégué qui concentrent les requêtes ?», argumente Mohamed Tassafout. «Quand on ne parvient pas à avoir des relations sociales bénéfiques, le responsable ne maîtrise pas ses équipes. En conséquence, il ne maîtrise pas ses outils de production. L’ambiance est nauséabonde, exacerbée par des irritants sociaux car tout peut être un irritant social. Sur l’ensemble des jours de grèves prestés au Maroc, 83% ont des causes légales : non-déclaration à la CNSS ; licenciements abusifs ; non-respect des horaires de travail ; non-paiement des cotisations… Pour avoir des relations sociales organisées, une remise à niveau du point de vue légal permet déjà d’éviter des grèves coûteuses. Mettre en œuvre ce dialogue social a donc un intérêt pour le chef d’entreprise. Il doit en être convaincu».
Le délégué du personnel entre alors en jeu, mais cela ne doit pas se faire sans préparation. «Ces délégués défendent les intérêts individuels (contrairement aux représentants syndicaux qui défendent les intérêts collectifs). Ils doivent être formés pour diminuer le risque d’erreurs. Et même si le délégué fait bien son travail, cela ne dédouane pas le manager de continuer à communiquer avec ses équipes. Sinon, cela crée un vide et une personne mal intentionnée pourrait venir ce vide en se positionnant comme un leader».

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