Point de vue
Par Abdeslam Seddiki
Il faut reconnaitre au Président Américain Trump au moins ce mérite : tenir ses promesses électorales. Il a promis d’appliquer des tarifs douaniers pour défendre l’économie américaine conformément à son slogan de campagne MAGA (Make America First Again). N’épargnant aucun pays, même les plus pauvres de la planète, il a annoncé en direct sur les écrans, dans un décor bien orchestré et une théâtralité qui lui est propre, les taux qu’il compte appliquer pour chaque pays.
Deux groupes de pays sont distingués : les pays avec lesquels les USA enregistrent un excédent commercial auxquels il applique un taux minimum de 10% ; les pays avec lesquels ils dégagent un déficit, les taux appliqués sont estimés au « prorata du niveau de ce déficit. Avec toutefois des ajustements et des cumuls qui ramènent les taux appliqués à des niveaux inimaginables dépassant les 60%.
La méthode utilisée pour procéder à ces estimations n’a rien de scientifique. Elle procède d’un simplisme qui saute à l’œil et confond droits de douane et impôt. De même, en faisant inclure dans les tarifs appliqués les « manipulations monétaires », personne ne pourrait savoir comment il a été procédé pour évaluer la part de ces « manipulations ». Au final, nous sommes en mesure d’affirmer sans risque d’être contredit, que les taux annoncés sont choisis « à la tête du client » en les enveloppant dans un emballage statistique artificiellement élaboré.
Une méthodologie simpliste.
Prenons quelques exemples pour voir l’aberration de cette « méthode » qui est totalement étrange à la littérature économique telle qu’elle est enseignée dans les universités. Le calcul suivi est le suivant : on divise le déficit commercial américain envers un pays par ses importations venant de ce pays, et on multiplie le tout par 100 pour obtenir le taux appliqué par ce pays (ou groupe de pays) à l’Amérique. Pour l’Union européenne (UE), les Etats-Unis ont enregistré un déficit commercial de 235 milliards d’euros en 2024, et ont importé 605 milliards d’euros de marchandises. Soit 235/605, ce qui donne un ratio de 0,39, donc 39 %. Sur cette base, l’administration américaine, grâce à la « générosité » de Trump, a décidé de diviser le résultat par deux pour fixer les droits de douane qu’elle va imposer. Cela donne 20 % pour l’UE, 34 % pour la Chine, 26 % pour l’Inde, 46 % pour le Vietnam… La palme revient étrangement au Lesotho, à 50 %.
Il faut préciser que ces taux franchement arbitraires viennent s’ajouter à ce qui était déjà en place. Pour l’UE, le droit de douane, de 1,2 % en moyenne, va passer à 21,2 %. Pour la Chine, qui était à 10 % en moyenne pondérée avant l’arrivée de M. Trump à la Maison Blanche, et qui avait déjà subi une hausse de 20 % ces deux derniers mois, le taux final moyen tournera autour des 64 %, en fonction des objets.
Au total, 56 pays, ainsi que l’UE, seront touchés par ces droits de douane spécifiques. Le reste du monde sera imposé à 10 %. Deux pays sont exemptés : le Canada et le Mexique, pour lesquels une taxation de 25 % avait déjà été annoncée dès février (mais uniquement pour les marchandises qui ne sont pas dans l’accord de libre-échange nord-américain). Par ailleurs, les mesures déjà décidées de taxation douanière de 25 % sur l’acier, l’aluminium et les automobiles restent en place.
Un nouveau monde se profile à l’horizon.
Ce faisant, l’administration Trump a plongé le monde dans l’inconnue. On n’est plus dans l’incertitude comme avant. C’est un monde nouveau qui se profile à l’horizon, celui de la fin d’une mondialisation que d’aucuns qualifiaient de « mondialisation heureuse ». Pour ceux qui en ont profité s’entend et en premier lieu les Etats- Unis. En décrétant la fin du libre-échange avec des droits de douane exorbitants, les grands perdants seraient vraisemblablement ceux-là même qui ont allumé la mèche. On le voit déjà avec les manifestations populaires qui ont eu lieu ce dimanche 6 avril dans les principales villes américaines, l’effondrement des principales bourses mondiales. Apple a perdu en 24 heures 300 milliards $, soit 12,5 milliards $ par heure. Et ce n’est que le début.
Les effets délétères des politique protectionnistes menées à l’aveuglette ne sont plus à démontrer. Une politique protectionniste menée par un pays en voie de développement pourrait se comprendre. Mais venant de la première puissance mondiale, représentant un quart de la richesse du globe et 30% de la consommation mondiale, c’est franchement une mesure suicidaire qui ne se justifie sur aucun plan si ce n’est un moyen de pression pour négocier et obtenir plus d’avantages et de concessions.
Le consommateur américain paiera le prix.
Les premiers à en pâtir sont les consommateurs américains. Les tarifs douaniers augmentent le coût des produits importés, ce qui peut entraîner une hausse des prix. Cela peut déclencher une inflation, car les entreprises répercutent souvent ces coûts sur leurs clients. De même, et contrairement aux prophéties de Trump, le risque est grand de voir le chômage augmenter dans la mesure où certaines industries qui demandent fortement des importations vont réduire leur activité. En outre, les tarifs peuvent perturber les chaînes d’approvisionnement complexes, entraînant des coûts supplémentaires pour les entreprises et des retards dans la production.
Bien sûr, les pays concernés par ces mesures annoncées unilatéralement, ne vont pas se laisser faire sans riposter. La Chine a d’ores et déjà annoncé des mesures de rétorsion en imposant des droits de douane de 34% sur les importations en provenance de l’Amérique. L’Union européenne est en train de s’organiser pour riposter très prochainement tout en privilégiant la voie du dialogue. Des coalitions entre pays s’organisent à travers le monde pour contrer les mesures de Trump, comme c’est le cas de la réunion tripartite entre la Chine, le Japon et la Corée du Sud. Tout indique au final, que la voie est grandement ouverte vers une guerre commerciale dont les conséquences seraient incommensurables non seulement pour l’économie mondiale, mais également pour la paix mondiale qui est déjà malmenée.