Par Abdeslam Seddiki
Enfin, un ouf de soulagement pour les très petites, petites et moyennes entreprises ? Pas vraiment. A peine le décret relatif à la mise en œuvre du dispositif de soutien spécifique destiné à cette catégorie d’entreprise adopté par le Conseil du Gouvernement le jeudi 10 avril dernier, que des critiques et des réserves fusent de toutes parts et en premier lieu des premiers intéressés, en l’occurrence la Confédération Marocaine de TPE-PME qui exprime, dans un communiqué, sa « profonde inquiétude » et appelle déjà à une révision dudit décret ! Rappelons d’abord l’économie de ce texte avant de discuter de ses insuffisances et limites.
Ce décret tant attendu devrait normalement voir le jour au plus tard six mois après la promulgation de la loi-cadre formant charte d’investissement le 9 décembre 2022. Le gouvernement a justifié ce retard par son souci de préparer un document parfait et avoir suffisamment de temps pour procéder aux concertations nécessaires et ne pas bâcler un projet qui suscite beaucoup d’espoirs. Intentions on ne peut plus louables ! Le produit qui nous a été servi est loin de répondre à la perfection voulue par l’Exécutif. Au contraire, le document s’apparente à un véritable casse-tête au niveau des procédures et mesures contraignantes.
Un véritable casse-tête
D’abord au niveau des conditions d’éligibilité, sont éligibles aux primes d’investissement les entreprises répondant aux conditions suivantes :
-avoir réalisé, durant l’une des dernières années d’activité un chiffre d’affaires compris entre 1 million DH et 200 millions DH ;
-que son capital ne doit pas être détenu directement ou indirectement à plus de la moitié par une société dont le chiffre d’affaires est supérieur à 200 M DH ;
-que l’investissement envisagé doit être compris entre 1million et 50 MDH dont 10% au minimum doivent être financés en fonds propres. Les frais d’étude, d’enregistrement et autres ne doivent pas dépasser 5% et le prix du foncier est plafonné à hauteur de 20% du montant de l’investissement, sans dépasser 5 MDH ;
-que cet investissement soit réalisé uniquement dans l’industrie, le commerce et l’artisanat ;
-et enfin qu’il permette de créer un ratio d’emplois stables de 1,5 pour 1 million d’investissement.
Concernant l’octroi des primes à l’investissement, elles sont de trois sortes : une prime à la création de l’emploi ; une prime territoriale destinée à réduire les déséquilibres entre territoires ; une prime liée aux activités prioritaires. Le Chef du Gouvernement publiera un arrêté pour définir la liste des activités prioritaires et la classification des provinces dans la Zone A ou la zone B.
La prime relative à la création d’emplois est versée sur la base des pièces justificatives de la CNSS. Elle varie en fonction du nombre d’emplois entre 5 et 10%. Cette mesure discriminatoire ne se justifie nullement dans la mesure où on a fixé un ratio d’emploi comme critère objectif. En revanche, les deux autres primes sont versées en deux tranches chacune de 50% : la première est versée une fois la moitié de l’investissement est réalisé ; la deuxième est versée après achèvement du projet. Notons que la prime territoriale est fixée à 10 % du montant de l’investissement dans les provinces et préfectures appartenant à la catégorie A et à 15% dans les provinces et préfectures relevant de la catégorie B. La prime pour les activités prioritaires est fixée à 10%. A préciser que ces primes sont cumulables à condition, toutefois, qu’elles ne dépassent pas un plafond de 30% du montant de l’investissement.
Une gouvernance à plusieurs têtes !
Pour ce qui est de la gouvernance du dispositif, on a affaire à une « gouvernance à trois têtes » : les CRI (centres régionaux d’investissement), l’Agence Nationale pour la promotion de la PME et les commissions régionales unifiées de l’investissement (CRUI). Le parcours du combattant commence par l’obligation de conclure avec l’Etat une convention d’investissement qui définit les engagements des parties prenantes à savoir l’Etat et l’investisseur, les modalités de leur mise en œuvre, la nature du projet d’investissement, la branche d’activité, le lieu de réalisation, le montant d’investissement prévisionnel, le montant de l’investissement primable, le nombre d’emplois stables à créer, le délai de réalisation qui ne devrait pas dépasser 3 ans … (voir détails article 4). Ce sont les CRI qui examinent les dossiers d’investissement déposés par voie électronique et s’assurer qu’ils remplissent les critères requis. Ils sont aidés dans cette mission par L’Agence nationale pour la promotion de la PME qui leur fournit l’assistance technique. Les CRUI sont chargées d’approuver les projets de conventions retenues. Lesquels sont signés par le Wali de la Région, le directeur du CRI, le représentant régional du Ministère de l’économie et des finances et l’investisseur concerné. Il a été bien précisé que le nombre de dossiers primables est tributaire des crédits alloués à cet effet selon le principe « premier arrivé, premier servi » !
Avouons qu’il y a de quoi s’inquiéter à la lecture de ce décret qui présente toutes les raisons pour décourager les investisseurs. La réaction de la Confédération des TPE-PME est amplement justifiée. Certes, il est encore tôt pour porter un jugement définitif sur ce texte. On doit attendre pour voir comment il sera mis en œuvre et juger sur pièce. Mais on peut d’ores et déjà, faire certaines observations qui nous semblent évidentes.
Où sont passés les services ?
Ainsi, en retenant trois secteurs d’activité que sont l’industrie, le commerce et l’artisanat, le gouvernement exclue le secteur des services qui contribue à près de 60% de l’emploi et à plus de la moitié du PIB. Ce qui semble pour le moins incompréhensible. Le gouvernement aurait dû justifier ce choix.
De même, le décret ne traite pas les facteurs qui bloquent l’investissement des petites et moyennes entreprises à savoir l’accès au foncier et l’accès au crédit bancaire. Aucune solution n’a été proposée. Le foncier est traité juste comme faisant partie de l’investissement et le crédit est passé sous silence.
Il convient également de relever la pléthore des intervenants et l’inflation des procédures qui sont autant d’obstacles à la petite et moyenne entreprise qui a du mal à se retrouver dans les dédales administratifs et bureaucratiques. Le guichet unique est un simple slogan d’usage. Ne parlons pas de la toute petite entreprise à laquelle fait référence le décret par abus de langage, dans la mesure où l’investissement minimal exigé démarre à partir de 1 million DH. La nomenclature retenue par l’administration pour distinguer les différentes catégories d’entreprises ne reflète pas le tissu entrepreneurial du Maroc tel qu’il a été décrit dans la cartographie publiée par le HCP.
Par conséquent, les craintes exprimées par la Confédération Marocaine de TPE-PME sont justes et justifiées. Elle déplore la méthode suivie par le gouvernement qui a agi en solitaire sans concertation avec la profession. Elle appelle à l’adoption d’une gouvernance démocratique et transparente, à une révision des critères retenus pour l’octroi des primes, à une ouverture des commissions régionales unifiées de l’investissement sur les représentants des TPE-PME. Bref, adopter une méthode participative conformément à la lettre et à l’esprit de la Constitution.