Driss Chouika: Persistance d’une forme d’autocensure

LE CINEMA AU CŒUR DE LA CAMPAGNE ELECTORALE

Quelle est votre appréciation de la présence de la politique dans le cinéma marocain ? (Y compris vos films)

Si on entend la politique dans son acceptation générale, à savoir que tout peut être ramené, directement ou indirectement, à la politique – la manière de s’habiller, de manger, de se comporter dans la vie quotidienne seraient des actes politiques -, la politique est certainement présente dans les films marocains, du moins ceux qu’on peut qualifier en tant que tels, c’est-à-dire qui respectent le minimum requis par les règles de l’art cinématographique.

Mais dans la réalité, très peu de films recèlent une réelle présence politique. Et elle est généralement anodine, indirecte ou simplement suggérée. C’est que tous les cinéastes marocains pratiquent, inconsciemment ?, une sorte d’autocensure qui les éloigne inéluctablement d’aborder des thèmes franchement politiques !

Concernant mes propres films, j’ai presque toujours opté pour un traitement socio-culturel. Mais deux de mes films au moins portent des approches clairement politiques : «FINAK ALYAM» (évocation directe des années de plomb) et «FIDAA» (la résistance nationaliste à la colonisation dans les années 1952/55).

Quel regard portez-vous sur la présence du cinéma dans la politique marocaine ?

(Nos politiques font-ils référence au cinéma dans leur discours ? le cinéma est-il suffisamment présent dans l’espace publique…)

Je ne remarque aucune présence notoire du cinéma dans la politique marocaine. Excepté le Fonds d’Aide accordé par l’Etat à la production cinématographique nationale, le cinéma est totalement absent des politiques culturelles officielles et des programmes des partis politiques et syndicats. Aucun parti politique marocain n’a jamais inclus le cinéma dans son programme, ni électoral ni pratique. Et il a fallu attendre près de 60 ans pour enfin entendre un chef de parti se référer au cinéma dans l’un de ses discours.

Quant à la présence du cinéma dans l’espace public, elle est extrêmement faible, presque inexistante.  i on excepte la période de l’âge d’or des ciné-clubs (années 70 & 80) où les débats cinéphiles étaient très imprégnés par des approches et des positions politiques, il n’y a plus aucun intérêt pour la politiques dans les espaces publics. Au contraire, il y a un net renoncement des jeunes à tout engagement politique. Et quand cela a lieu, il se limite à un engagement politicien sans aucune implication dans la pratique culturelle !

Y a-t-il une personnalité, un fait, un événement, une scène de la vie publique de ces dernières années qui pourrait à votre avis inspirer un scénario pour le cinéma ?

Certainement. Pour moi, toute personnalité de carrure nationale, tout fait important, événement, ou scène intéressante de la vie publique sont susceptible d’inspirer un scénario pour le cinéma. Ce qui fait la différence c’est le traitement et l’approche artistique et esthétique.

Le problème chez nous est cette peur ancestrale des thèmes politiques, héritée certainement de plusieurs siècles de restriction du droit à la pratique politique, et qui a toujours assimilé la pratique politique à l’opposition au régime en place. Et les cinéastes n’échappent pas à ce phénomène qui a fini par instaurer une sorte d’autocensure généralisée.

S’il y a une revendication, une grande réforme, une requête à présenter aux futurs parlementaires (une seule)… elle serait laquelle ?

Je pense qu’il n’y a pas grand chose à faire tant que les partis politiques n’incluent pas le cinéma, en tant que puissant moyen de communication, sinon le plus puissant, dans leurs programmes. Nos parlementaires sont trop occupés par leurs business économiques et leurs manigances politiciennes, ce qui les rend presque imperméables au cinéma !

C’est un constat amer, mais très réel.

Mohammed Bakrim

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