Ecrire

…Quand je n’ai plus rien à dire, je préfère me taire de peur de dire n’importe quoi mais je me mets aussitôt à écrire. Je me mets à écrire de peur d’un mutisme soudain, de peur de perdre complètement la faculté et le privilège de parler; de peur de perdre le langage, les expressions, les mots; de peur de ne plus être un animal parlant…

Je me mets à écrire car, en écrivant, je parle en silence sans émettre le moindre son. Je parle en silence dans ma tête… Il m’arrive souvent, pour ne pas dire toujours, de me retrouver sans préméditation au beau milieu de mes semblables, ces animaux dits sociaux, dans un lieu dit public, et me mettre soudainement à parler dans ma tète sans qu’ils ne sachent que je parle. Et pour ne pas oublier ma tirade interne, je prends mon arsenal d’écrivain et me mets aussitôt à l’écrire. Comme ça, j’aurai des traces écrites. Si je ne le fais pas à cet instant, si je le reporte, je ne me rappellerai plus un traître mot et je l’oublierai à jamais. Cela m’est déjà arrivé, je ne referai plus cette
bêtise. Un homme averti en vaut deux! C’est pour cela que je vais souvent, pour ne pas dire toujours, au café; ce lieu public par excellence, dans le but d’écrire. (Remarque : Le texte que je suis justement en train d’écrire maintenant et que vous aurez le plaisir de lire plus tard, est écrit dans un café !)
Là, je me permets d’ouvrir une parenthèse et d’avoir l’insolence de soliloquer un peu et cogiter sur le substantif « Café » : Ce nom masculin singulier a un champ sémantique assez large. Mon petit dictionnaire m’apprend savamment ceci: « -Graines du caféier. – Infusion de ces graines, torréfiées et moulues. – Établissement où l’on sert des boissons, de la restauration légère, etc. » C’est ce
dernier sens qui m’intrigue.
La langue française serait-elle avare ou pauvre à tel point d’appeler la boisson et le lieu par le même terme? N’est-elle pas assez riche et assez généreuse pour donner au lieu un nom différent de celui de la boisson? Le débit de boissons alcooliques ne s’appelle-t-il pas « bar » ou « bistrot »? Pourquoi ne l’appelle-t-on pas « vin » ou « bière », par exemple? C’est drôle, on peut dire : « J’ai bu un café dans un café. » Imaginez qu’on dise : « J’ai bu du vin dans un vin ! » ça ne rime à rien ! Le français est vraiment une langue bizarre qui défie toutes les logiques et adore les exceptions et les irrégularités, sans parler de celles de l’orthographe!… Si vous permettez, je ferme illico presto cette stupide parenthèse qui me couvrira sûrement de ridicule auprès des experts du lexique et des spécialistes de la linguistique et de la rhétorique.
Et je retourne, avec votre permission et votre bénédiction, à mes moutons, pardon: à mes mots!
Je disais donc que le café (je veux dire le lieu où l’on peut siroter du café, du thé ou autres boissons) est mon espace d’inspiration et de création littéraire par excellence. Je mentirais si je disais connaître les vraies raisons qui me poussent à écrire dans les cafés : Chercher l’inspiration en écoutant, à la dérobée, la discussion des autres clients? Voler une phrase, une expression, une figure de style ou même un mot, de la bouche d’un étranger et me l’approprier sans gène et sans honte aucune? Décrire un de mes personnages fictifs tout en observant attentivement le visage, l’allure, l’attitude, l’aspect vestimentaire de quelqu’un qui boit sereinement son café ou son thé sans se douter un instant que je suis entrain de l’étudier soigneusement dans le but de le dessiner avec mes mots et lui donner vie dans l’univers imaginaire de mes textes? (Nombreux sont ces anonymes que je ne connaissais ni d’Adam ni d’Ève et qui sont devenus si familiers depuis qu’ils sont devenus des personnages de mes
nouvelles comme Rachida, Kacem, Brahim, Astrid, Salem, Papa, etc.)
J’aime aussi prêter l’oreille à ce que disent les gens. Une indiscrétion obligatoire pour connaitre leurs préoccupations, leurs soucis, leurs besoins, leurs problèmes, leurs rêves, leurs attentes, leur colère, leur révolte, leurs joies. Cela fera de bons ingrédients pour mes écrits. Voilà pourquoi je vais chercher l’inspiration dans les cafés. Il y a peut-être d’autres raisons. Que sais-je? Ce que je sais, ce dont je suis sûr comme de la couleur de mes chaussures, c’est que j’aime écrire dans un café. J’adore me trouver au milieu de cette cacophonie humaine, ce tumulte incessant, ce brouhaha citadin. La présence, les voix, la chaleur, les gestes de ces animaux dits sociaux, me rassurent, me prodiguant un espace, une atmosphère et une ambiance idéale et favorable à l’écriture. Cela peut paraître bizarre,
je l’avoue. D’autres auteurs cherchent le calme parfait, le silence absolu, la sérénité et la paix pour enfanter. Autrement, écrire une seule phrase leur serait impossible : le moindre son, le bruit le plus infime, les irritent, les perturbent et leur font perdre le fil de leur pensée. Aux antipodes de ces augustes hommes de lettres dignes de ce titre, moi c’est le silence qui m’effraie et m’angoisse. J’ai besoin de la présence de mes semblables. J’ai besoin de fondre dans l’anonymat de la foule pour me sentir en sécurité. J’ai besoin d’être entouré des autres et j’ai horreur de me sentir seul. J’ai peur de la
solitude. Elle me donne cette étrange impression d’être oublié, rejeté, abandonné, banni, honni, damné! En plus, ce que j’écris (nouvelles, poèmes, articles, portraits) ne demande pas tant de silence et de calme, tant de concentration et de méditation. Ce que j’écris est loin des productions littéraires des grands auteurs. Je n’ai jamais eu ni l’ambition ni la prétention d’écrire un chef-d’œuvre ou un Best-seller. Moi, je ne suis qu’un petit rimailleur qui adore écrire; un petit auteur inconnu des lecteurs à cause de l’indifférence des éditeurs; un tout petit poète qui n’arrive pas à la cheville d’un Baudelaire ou d’un Molière!

 (A suivre. . .)

Mostafa Houmir

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