Entre résilience, fragilité et risque systémique

Secteur bancaire

Fairouz EL Mouden

Le secteur bancaire marocain fait preuve d’une bonne solidité financière malgré quelques fragilités et  la multitude des risques systémiques. Le dernier rapport de Bank AL Maghrib (BAM) confirme la capacité des banques marocaines à absorber les chocs économiques et à respecter les exigences réglementaires.  Le secteur affiche aujourd’hui un ratio de solvabilité supérieure au minimum réglementaire requis.  Néanmoins, les banques souffrent d’une nette détérioration de la qualité du portefeuille des crédits avec une  hausse importante du volume des créances en souffrance.  La nouvelle montée du risque de crédit avec un taux de sinistralité en hausse met les banques devant des scénarii de fragilité malgré le rebond du résultat net des banques.  La consolidation des fonds propres prudentiels absorbe une grande partie des bénéfices face à  la montée des taux de sinistralité et des défauts de paiement.

En dépit d’un contexte de vulnérabilité économique et d’incertitude, le secteur bancaire marocain continue de faire montre de résilience et de solidité confortée par un rebond du résultat net sur une base sociale  de 20,4% en 2023 et  par le maintien des fonds propres à des niveaux confortables.  Ainsi, la capacité des banques marocaine à absorber les chocs économiques combinée à la capacité de satisfaire les exigences réglementaires avec un ratio de liquidité supérieure au minimum réglementaire  a été confirmée par les tests de résistance macroéconomique de solvabilité menés par  Bank AL Maghrib en juin 2024. Le secteur affiche un bon niveau de couverture des créances en souffrances par les provisions spécifiques dont le taux s’est élevé à 68%. Le taux de couverture est de 74% pour les créances compromises contre 49% pour les créances douteuses et 7% pour les créances pré-douteuses. Plus encore, les banques ont constitué des provisions générales de 13,9 milliards de dirhams en plus de celles réglementaires  qui servent en sus des fonds propres prudentiels comme matelas à même de couvrir les risques non avérés liés aux secteurs sensibles aux aléas économiques et en cas de chocs de crédit potentiels. 

Néanmoins, le constat révèle par ailleurs, la détérioration de la qualité du portefeuille des crédits des banques avec la hausse importante de 6,7% du volume des créances en souffrances qui ont totalisées prés de 94,8 milliards de dirhams. Ainsi, le taux de défaut a été porté  à 11,4%. Le rapport de BAM révèle ainsi une nouvelle montée du risque de crédit avec un taux de sinistralité en légère hausse à 8,5%. Un niveau qui s’explique par la hausse jugée plus marquée des créances en souffrance des entreprises non financières  à 69,7 milliards de dirhams soit un taux de risque de 11,4% comparativement à celles des ménages à 41,8 milliards de dirhams. Les dernières statistiques placent le secteur primaire en tête de liste avec un taux de risque globale  de plus 30% des crédits accordés à l’agriculture et la pêche suivi du secteur de l’hôtellerie avec un taux de sinistralité élevée de 20% et du secteur des BTP avec des créances en souffrances de 14,1%.

Le secteur bancaire reste également vulnérable au risque de concentration  et à la hausse du taux de défaut moyen. Le dernier rapport de BAM fait ressortir une hausse du  niveau global de concentration à 2,9 fois à celui des fonds propres prudentiels des banques.  

Les banques appellent à une grande vigilance face aux fortes incertitudes liées aux  conditions macroéconomiques, au secteur immobilier et aux agents non financiers. Ainsi parmi les grands risques systémiques révélés par l’enquête de BAM, l’on cite le risque transfrontalier,  les  changements climatiques et les innovations technologiques.  On anticipe également l’augmentation de la sinistralité liée à la fragilisation des acteurs non financiers  ainsi que l’amplification des tensions géopolitiques et ses impacts sur les prix des matières premières.

Trois scénarios en vue

Les exercices de macro-stress test de BAM seront désormais  menés selon trois différents scénarios macroéconomiques se basant sur des hypothèses de chocs graduels à savoir un scénario de base (Baseline) conforme aux prévisions macroéconomiques Bank Al-Maghrib publiées en juin,  un scénario sévère mais plausible stipulant la dégradation des conditions macroéconomiques et un scénario extrême qui suppose une forte récession induite par une combinaison de chocs macro-financiers

Selon le scénario de base, le taux moyen des créances en souffrance des huit principales banques devrait se stabiliser à 10,1% en 2024-2025 après 9,7%. En outre, le résultat net devrait augmenter sur l’horizon 2024-2025 et les banques devraient préserver des niveaux réconfortants de leurs ratios de solvabilité à fin 2025, avec un ratio moyen, sur base sociale, autour de 14,2% pour les fonds propres globaux et de 10,7% pour les fonds propres de base.

Dans le scénario sévère, le taux moyen des créances en souffrance des banques soumises au stress test devrait atteindre 10,9% en 2024 et 11,8% en 2025, en raison du ralentissement de l’activité et de la hausse importante de l’inflation qui vont détériorer la situation financière des ménages et des entreprises. Ainsi, le coût du risque des banques devrait se dégrader, impactant négativement leur résultat net. Ces évolutions devraient se répercuter négativement sur le niveau des fonds propres des banques, sur base sociale, se traduisant par une baisse du ratio moyen des fonds propres prudentiels de 124 points de base (pb) et de celui des fonds propres de base de 62 pb, entre 2023 et 2025. Pour autant, les banques devraient continuer de respecter les exigences réglementaires minimales en vigueur.

Concernant le scénario extrême, l’impact des chocs économiques serait plus prononcé, avec un taux moyen des créances en souffrance en hausse à 11,6% en 2024 et 13,2% en 2025, Le résultat net des banques devrait en conséquence enregistrer une forte baisse en 2024, provenant principalement de la hausse importante du coût du risque, ainsi que la baisse significative du résultat des opérations de marché. Tenant compte de ces chocs, les ratios moyens des fonds propres prudentiels et de base devraient perdre respectivement près de 171 et 111 points de base à fin 2025, tout en demeurant, néanmoins, conformes aux exigences réglementaires en vigueur

Un secteur prédominé par trois groupes bancaires

 Les trois banques d’importance systémique, à capital privé et majoritairement marocain, s’accaparent 60,5% du total actif agrégé des banques (contre 60,7% en 2022), distribuent près de 57,1% du total des crédits nets (contre 57,4% en 2022) et détiennent 62,5% du total des dépôts collectés (contre 62,7% en 2022). Ces trois banques disposent sur le plan national d’un réseau de 2953 agences tandis qu’à l’étranger elles sont présentes à travers 51 filiales et 22 succursales.

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