Le Forum Parité-Egalité rouvre le débat sur la question de la femme

Préparatif du 10ème Congrès national du PPS

En prévision du 10ème Congrès national du Parti du progrès et du socialisme, et à l’occasion de la Journée mondial de la femme, le Forum Parité-Egalité a organisé, jeudi soir à Rabat une rencontre-débat sous le thème : «Les droits de l’homme entre la vision constitutionnelle et les politiques publiques».

Ouvrant le bal Aicha Lablaq, membre du Bureau politique du PPS et présidente du Groupement parlementaire du progrès et du socialisme à la Chambre des représentants, a posé le débat en rappelant que la double occasion de la Journée du 8 mars et du prochain Congrès national du parti  qui ont conduit le Forum Parité-Egalité a initié cette rencontre. Et ce, dans le but de faire le point sur la situation des droits de la femme marocaine du point de vue acquis et défis.

«Oui, il faut bien reconnaitre que beaucoup de choses ont été faites, mais il faut aussi soulever que beaucoup de défis sont à relever pour améliorer la situation des droits de la femme», a-t-elle indiqué.

Partant du lien dialectique entre la cause de la femme et le processus démocratique, elle a expliqué que c’est la raison pour laquelle le PPS considère la question de la femme comme étant une cause centrale dans son action et ses programmes de lutteétant donné.

De l’avis de cette militante, la femme marocaine vit actuellement à l’heure de plusieurs changements, dont le premier acte déclencheur fut  le Plan d’action national pour l’intégration des femmes au développement, adopté en 1998, sous le gouvernement de l’alternance consensuelle.

Depuis ce temps, un long chemin a été parcouru, passant par l’adoption du code de la famille et d’autres lois visant à la réalisation de l’égalité homme-femme et de la parité, à l’élimination de toutes les formes de discrimination, à la lutte contre la violence à l’égard des femmes etc, a relevé la modératrice.

Pour Lablaq, la Constitution de 2011, qui est venue consacrer tous les acquis dans le cadre de la reconnaissance des droits de l’homme tels qu’ils sont universellement reconnus et inaugurer dans le pays un nouveau processus démocratique toujours en cours de construction, a été d’un grand apport dans ce cadre.

RACHIDA TAHIRI : beaucoup de poches de résistance contre les acquis au profit des femmes

La membre du Bureau politique et défenseure de longue date des droits de la femme, Rachida Tahiri, a d’emblée fait remarqué que  le 8 mars est la journée internationale des droits des femmes et non pas des réceptions et de distribution des cadeaux et des roses à quelques employées ou fonctionnaires «bien contentes», dans le but inavoué de faire perdre à cet anniversaire sa symbolique d’être celui de rendre hommage aux batailles sanglantes menées par de braves femmes ayant payé même de leurs vies pour que les femmes du monde jouissent un jour des mêmes droits que les hommes.

Le 8 mars est l’anniversaire et l’occasion de rendre hommage à celles qui réclamaient justice et militaient pour la paix, l’égalité des salaires (à travail égal, salaire égal), la liberté, la démocratie et la justice sociale, a-t-elle indiqué.

C’est à ces valeurs que le mouvement féministe progressiste a adhéré depuis l’introduction de cette «fête» au Maroc où la Constitution a bien institutionnalisé l’égalité et interdit toute discrimination à l’égard des femmes. De ce point de vue, il faut bien reconnaitre que le texte a consacré de nombreux articles à la question, laissant le soin aux autres textes complémentaires (mesures, lois, décrets) de prévoir ce doit l’être pour parvenir à cette égalité escomptée et rattraper le temps perdu à travers la promotion de la discrimination positive.

Evoquant la question du genre dans son ensemble au sein de la société marocaine, Tahiri a reconnu la complexité de la situation. C’est un problème qui touche tous les secteurs, a-t-elle dit, à commencer par l’enseignement dont est privé surtout la fille rurale, mais également une grande partie des jeunes en milieu urbain. Une grande partie des femmes sont encore analphabètes, d’autres sont lésées en matière d’habitat, de santé, de transport, d’accès à l’eau, de propriété terrienne, d’emploi, a-t-elle dit, soulignant que quoique les acquis réalisés sont importants pour l’avenir de la femme marocaine, beaucoup de poches de résistance existent encore dans le pays, dont les irréductibles acteurs cherchent par tous les moyens à vider ces acquis de leur substance.

SAIDA DRISSI : tant que la société est fortement machiste, les acquis de la femme sont menacés

Pour sa part, Dr Saida Drissi, présidente de l’Association démocratique des femmes du Maroc a estimé que les acquis arrachés par la femme marocaine sont toujours menacés tant que la société est machiste. Avec la reconnaissance de l’approche genre et la réalisation de plus d’égalité, les machos craignent pour «leurs droits» dans tous les domaines de la vie, de la répartition des revenus, des gains, des salaires, des héritages, etc…, a-t-elle dit. C’est pourquoi, il est légitime de se poser la question de savoir quelles suites a-t-on données aux dispositions de la Constitution de 2011 concernant l’égalité et le respect des droits de la femme.

A-t-on prévu un budget genre ? Non, répondit-elle, avant d’avancer une série de données statistiques montrant que la situation des femmes marocaines n’a que très peu changé, puisque 8 diplômées par exemple sur 10 sont en chômage, 95% des femmes marocaines effectuent un travail domestique pour lequel elles ne sont pas payées, et que quelque 40.000 mineures marocaines ont été mariées en 2015 . Très peu de progrès a été également réalisé en matière d’accès des femmes aux centres de décision (la chambre des représentants ne compte que 91 députées).

Au final, le Maroc vu à travers la question de la femme, est un pays conservateur où la situation de la femme est traitée en dehors de ce qui est prévu dans la Constitution et des engagements du pays dans les Conventions internationales.

Depuis la constitution de 2011, l’on se refuse toujours d’entamer la révision des lois discriminatoires. Les initiatives prises traitent la femme non pas en tant que telle, mais toujours en famille, sous la tutelle de l’époux, a-t-elle encore dit.

C’est ainsi que la loi portant création de l’Autorité pour la parité et la lutte contre toutes les formes de discrimination, n’est qu’une coquille vide, en dépit du fait que c’est la Constitution même qui stipule dans son article 19 que «l’homme et la femme jouissent, à égalité, des droits et libertés à caractère civil, politique, économique, social, culturel et environnemental (…) L’Etat marocain œuvre à la réalisation de la parité entre les hommes et les femmes», a-t-elle expliqué.

MOHAMED ALMOU : le code de la famille est anticonstitutionnel

Tout en reconnaissant que la Constitution de 2011 a prévu une série de dispositions favorables aux droits de la femme, Me Mohamed Almou, acteur associatif e défenseur des droits de l’homme, a indiqué que l’amélioration de la situation de la femme se heurte en premier lieu à divers obstacles d’ordre juridique dont en premier le code de la famille.

Selon lui, plusieurs dispositions contenues dans ce code sont pratiquement dépassées par celles de la Constitution de 2011, à l’instar de la tutelle que ce code réserve à l’époux. Quant à la femme, elle est toujours traitée en être subalterne. Elle n’a droit qu’au travail domestique sans oublier de s’occuper des enfants. Il a cité aussi les dispositions relatives à la polygamie, qui permet à trois femmes de venir partager avec la première épouse le même mari, le problème de l’avortement, qui montre que la femme n’a pas le droit de disposer de son propre corps, avant de souligner que le code de la famille est un texte caduc et anticonstitutionnel. Sa révision est le chantier prioritaire qu’il faut ouvrir pour rendre justice à la femme mais pour procéder également à la mise à niveau des lois marocaines et à leur adéquation avec les engagements pris par le Maroc dans les conventions internationales qu’il a ratifiées.

YAMNA GHABBAR : la violence à l’égard des femmes, un drame qui coûte cher au pays

 La fête de la femme du 8 mars n’a rien de folklorique. C’est l’anniversaire de toutes ces héroïnes qui se battent depuis la déclaration des droits de l’homme de 1789 et de toutes les autres qui se sont sacrifiées pour que les femmes finissent par obtenir leur droit au vote, leurs droits à l’enseignement et plusieurs autres droits qui paraissent aujourd’hui «presque naturels», a-t-elle relevé. S’adressant à ceux qui cherchent à «folkloriser» et à dévaloriser le 8 mars, elle a considéré qu’une telle fête, dont la signification est beaucoup plus profonde et sérieuse qu’on ne le pense, est l’occasion de rendre hommage à ces infatigables défenseures des droits des femmes dans le monde et au Maroc.

Elle est revenue également sur toutes les grandes dates ayant marqué l’avènement des droits humains (1948, 1949, 1979, 1981, 1992 et 1995 ), tout en se focalisant sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes que les défenseures des droits des femmes se sont décidées d’intensifier depuis la conférence de Beijing de 1995.

Au Maroc, la tâche s’est avérée être extrêmement difficile pour les défenseures des droits de la femme en général, mais surtout pour celles qui  militaient dans les rangs de partis politiques. Et ce sont surtout les organisations des droits de l’homme qui leur ont offert à partir de 1995 beaucoup plus de possibilités de lutte, a-t-elle dit, ajoutant que la lutte contre la violence faite aux femmes a été l’un des premiers chantiers ouverts avec la création des premiers centres d’écoute en 1997 et ensuite de réseaux.

Evoquant la loi adoptée le 14 février dernier contre les violences faites aux  femmes, elle a souligné que le texte ne satisfait pas toutes les attentes des défenseurs des droits des femmes. Ce texte, discuté depuis 2013, n’incrimine pas tous les actes de violence, dont la définition est insatisfaisante. Il n’incrimine que «certains actes considérés comme des formes de harcèlement, d’agression, d’exploitation sexuelle ou de mauvais traitement», mais reste en deçà des attentes des mouvements féministes.

Et pourtant, le pays paie très cher le coût de la violence à l’égard des femmes, a-t-elle dit, précisant que ce coût représenterait quelques 8% du PIB.

Un riche débat passionnant et enthousiaste a sanctionné cette rencontre au cours duquel de nombreux défenseurs des droits de la femme ont dénoncé de nouveau les poches de résistance contre la consécration de l’égalité homme-femme sur tous les plans, le traitement masochiste de la cause féminine et l’absence de politique publique dédiée à la question du genre.

M’Barek Tafsi

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