La petite histoire des concessionnaires automobiles au Maroc

Au-delà des chiffres et des promotions en tout genre, le Salon de l’Automobile à Casablanca est une occasion de revenir sur l’historique et la stratégie souvent méconnus des concessionnaires automobiles au Maroc. Une histoire qui s’est faite au gré des lois, des redistributions des cartes à l’international, mais aussi des jeux d’influences entre les différents opérateurs.

Bien du chemin a été parcouru depuis les débuts de l’automobile au Maroc, même si la marge de progression est encore importante. «Le taux de motorisation est encore relativement faible au Maroc, il est par exemple inférieur de 30% à 40% par rapport à la Tunisie. C’est vous dire le potentiel du marché. Nous devrions parvenir à moyen terme à quelque 170.000 véhicules par an», estime Bouchaïb Najiouallah, premier marocain, DG d’Auto Hall de 1977 à 2000.Cependant, si l’on compare le volume des ventes actuelles à celui de 1935, la progression de la vente des véhicules neufs n’est in fine pas si extraordinaire. Car cette année-là déjà, quelques 47.935 véhicules avaient été vendus.

En réalité, dans la distribution automobile au Maroc, il y a véritablement un avant et un après « indépendance », car en 1957, le Maroc a fait le choix d’adopter des mesures clairement protectionnistes pour développer une industrie automobile locale. Du coup, nous sommes passés de quelque 165 marques commercialisées au Maroc en 1923, à une cinquantaine aujourd’hui, sachant que dans les années 80, il n’y en avait pas plus d’une vingtaine. D’ailleurs, les seules concessions automobiles qui ont survécu à l’indépendance et qui existent encore aujourd’hui sont Auto Hall, la Compagnie Automobile Chérifienne (CAC) et Auto Nejma. Auto Hall est à ce titre le concessionnaire automobile historique, car c’est le premier à avoir été créé, soit en 1920. En effet, c’est le docteur Veyre, qui a importé la première automobile civile en 1907, une Ford T, qui a installé la première concession pour représenter Ford auto Company au Maroc. Les établissements Gabriel Veyre commercialisent ainsi la marque américaine. Mais, dès 1920, ils se transforment en société anonyme et portent depuis le nom de «Auto Hall». Cette dernière est cotée à la Bourse de Casablanca dès 1941. Même la CAC, créée en 1929, est au départ une filiale d’Auto Hall dédiée à la commercialisation de la marque Fiat. Elle ne sera rachetée par les actionnaires actuels (principalement la famille El Baz) qu’en 1949 et n’obtiendra la carte de Wolskwagen, à travers laquelle elle s’est faite connaître, qu’en 1951.Pour ce qui est d’Auto Nejma (Mercedes), bien que la structure telle qu’elle existe aujourd’hui n’ait vu le jour qu’en 1963, elle est au départ le fruit d’un partenariat entre la famille Hakam et la famille allemande Kramer. Cette dernière détenait initialement la carte Mercedes sur le territoire, mais elle passera définitivement la main aux Hakam en 1972… Bien-sûr, il existait avant l’indépendance d’autres concessionnaires automobile, à l’instar de Francomtoise automobile, France Auto, Somar, l’Omnium Nord Africain,… Simplement, aucune n’a survécu. Du moins, il n’y en a plus trace ni dans l’ouvrage de Renault, «Renault, 80 ans de présence au Maroc» de Philippe Cornet, et qui retrace aussi l’histoire du paysage automobile marocain  , ni selon les concessionnaires automobiles consultés.

«La Somaca m’a tuer»

«En 1957, une taxe sur les véhicules importés est mise en place, avec pour effet de freiner les importations de voitures. En décembre 1961, une nouvelle taxe destinée à protéger
la toute nouvelle usine de montage, la Société Marocaine de Construction Automobile, stoppera presque les importations de véhicules», écrit Philippe Cornet dans «Renault, 80 ans de présence au Maroc». D’ailleurs, dans son rapport annuel datant du 27 mars 1963, l’association des importateurs automobile regrettera cette restriction «susceptible de mettre en péril les importateurs». En effet, la création de la Somaca motivée par la volonté de l’Etat de créer une industrie conjuguée à la hausse des droits de douanes a eu pour effet, une baisse vertigineuse des importations. Du coup, seules les voitures dites de luxe, qui pouvaient supporter une taxation très élevée vue qu’elles étaient destinées à une clientèle triée sur le volet, continuaient à être importées. Durant les années suivantes, les Marocains n’achetaient que ce que produisait la SOMACA. En effet, dès 1962des Fiat, mais aussi des Simca/
Talbot, sortirent des chaînes de montages marocaines. Ce sont exactement 2.247 véhicules qui ont été produits cette année-là. Les Renault (en 1966) et la Saviem(en 1967)se sont également ajoutés à la liste des voitures montées à la Somaca, suivies d’Austin en 1969, Dodge en 1971, puis Peugeot en 1980 et Citroën en 1986. Mais cela n’a pas empêché de nouveaux concessionnaires de lancer leur activité. Bien entendu, ces derniers étant soumis à une licence d ’importation. Ainsi, outre Auto Nejma (Mercedes) et CAC (Volkswagen), la Smeia a été lancée en 1962 par Karim Lamrani pour introduire la Land Rover et en 1973 AbdelhakLaraki crée Univers Motors pour la marque Honda et commercialise aussi BMW, sans oublier Max Cohen Olivar qui a installé Toyota au Maroc. «A vrai dire, à partir des années 60, nous recevions encore des Américaines, mais les droits de douanes étaient devenus si élevés que c’est devenu difficilement viable. Cela a duré jusqu’à la libéralisation au début des années 90», se souvient BouchaibNajiouallah. D’ailleurs, dès 1962, Auto Hall devient agent Somaca jusqu’en 1993, notamment pour la marque Fiat. En effet, entre 1961 et 1966, les temps sont durs pour les importateurs: les ventes oscillent entre 780 et 850 véhicules. L’année 1966, étant la plus mauvaise depuis la fin de la guerre. Alors que sur la même période, les ventes de la Somaca sont allées crescendo de 2.247 voitures en 1962 à 5.146 en 1966. En 1978, CAC par exemple, va jusqu’à suspendre tout bonnement l’importation de véhicules pour particuliers de marque Volkswagen et Audi. Cette configuration du marché va prédominer donc jusqu’en 1990 à peu près, avec l’avènement de ce qu’on appelle la «libéralisation». En effet, en 1990, le gouvernement baisse les droits de douanes sur les voitures, ce qui a pour effet de favoriser un afflux de voitures d’occasions à bas prix et de mauvaise qualité. Le nombre de voitures d’occasions double en un an: 70.000 voitures de plus de cinq ans entrent sur le territoire marocain en 1992, contre 35.000 en 1991, vu que le dégrèvement du barème «véhicules d’occasion» était plus intéressant.

Les années 90, la renaissance

Le groupe de feu Omar Benjelloun, Saida Star Auto qui a démarré en 1956 avec une activité de montage de poids lourds, fait partie des premiers à avoir flairé la montée en puissance qu’allait connaître la vente de voitures importées. C’est ainsi qu’il se lance tout naturellement et, dans un premier temps, avec Volvo, son partenaire de toujours dans l’importation de véhicules. «Entre 1992 et 2003, nous assurions la commercialisation de 14 marques, c’est nous qui avons introduit 80% des marques que vous voyez émerger aujourd’hui», assure un ancien dirigeant du groupe de feu Omar Benjelloun. En tous cas, pour sûr, Saida Star Auto a introduit en 1992 la marque Hyundai, à l’époque n°1 coréen, ainsi que la gamme automobile du Japonais Suzuki. En 1993, la saga continue puisqu’elle lance les marques de General Motors, (Chevrolet, Cadillac, Pontiac et Buick), ainsi qu’Opel. Mais il y a eu aussi Mazda, Bedford. Pendant les années 90, tous les concessionnaires automobile existant ont ajouté des cordes à leur arc, à l’instar d’Auto Hall qui dès 1985 avait décroché la marque Mitsubichi. Univers Motors a créé sa filiale Bavaria Motors, dédiée, elle, à la commercialisation des véhicules Seat. La marque Daewoo a, quant à elle, intégré le portefeuille d’Auto Nejma en 1994 et CAC a recommencé à commercialiser Volswagen et Audi en 1995.

A cette époque, la Somaca a eu du mal à accuser le coup. Les chiffres en attestent: la production passe de 20.152 véhicules par an à 8.482 en 1995. «C’est alors que notre association s’est mobilisée, car la Somaca était menacée de disparition et, avec elle, tous le tissu de sous- traitants. Nous avons pensé à ne plus garder 40 modèles, mais nous concentrer sur un modèle pour faire un bon produit, grâce à une économie d’échelle qui justifierait un investissement pour un opérateur étranger», explique un ancien professionnel du secteur. C’est ainsi que le gouvernement signe une première convention, le 23 juin 1995, avec Fiat pour le montage de la première voiture économique, la Fiat Uno. Parallèlement, il augmente les droits de douanes sur les véhicules d’occasion car, en 1994, plus de 86% des voitures immatriculées sont des voitures d’occasion.

Saida Star Auto décroche la commercialisation de la Fiat Uno, et accapare 34% de part de marché. C’est la période faste de Saida Star Auto. Entre 1985 et 1995, l’entreprise a vu son chiffre d’affaires passer de 150 millions de dirhams à 840 millions de dirhams. A noter, au passage, que c’est en cette même année que le groupe décroche la prestigieuse marque Jaguar.En 1996, le gouvernement abaisse une nouvelle fois les droits de douane sur les voitures neuves de moyen et haut de gamme. Ils sont passés de 35% à 17,5%. Seulement, parallèlement aux mutations que vivait l’automobile au Maroc, la carte du marché mondiale de la distribution automobile avait fait l’objet de pro- fonds changements. «Entre rachats et autres fusions, c’est toutes la vision des constructeurs automobiles qui avaient changé. Désormais, ils raisonnaient en termes de région et non plus en termes de pays», analyse un observateur du secteur.

La redistribution des cartes

Entre l’implantation de Toyota à travers le groupe saoudien Abdullatif Jamal et Saida Star Auto qui concède tour à tour chacune de ses cartes, le marché de l’automobile connait alors une profonde reconfiguration : Hyundaï passe aux mains du saoudien Buqshan, qui est représentant de la marque au Moyen-Orient. Idem pour Suzuki, les marques de General Motors, ainsi qu’Opel et Isuzu, ont été reprises par CFAO et Suzuki par le groupe Saou- dienBamarouf historiquement premier importateur exclusif de Suzuki, tout pays confondu. Et puis il y a aussi Univers Motors qui perd BMW au profit de la Smeia. Le début des années 2000 voit donc le développement de bon nombre de marques asiatiques et leur montée en puissance, à l’instar de la coréenne Kia, bien qu’elle ait été présente depuis les années 90 à travers la CAC.

Mais c’est sans compter l’arrivée en trombe de la Logan en2005,  qui va rencontrer un succès inédit. Depuis avec sa petite sœur, la Sandoro, et la Duster, Dacia faitt le marché marocain. Pendant un temps les citadines asiatiques ont occupé également une place de choix sur le marché, malgré le coup dur de KIA dû à ses démêlés juridico-financiers du concessionnaire il y a trois ans. Désormais, c’est chose oubliée puisque Kia a été reprise en 2014 par son distributeur au Moyen-Orient, Bin Omeir Holding Group. Aussi pendant un temps,les marques chinoises ont pointé du nez.  Les Chery, Geely, BYD, BWM &co n’ont pas pu réaliser de véritables percée sur le marché, principalement en raison du manque de solidité financière des concessionnaires choisis.Enfin, l’année 2015 a connu trois temps forts dans le petit monde des concessionnaires : le retrait des marques de Fiat à Auto Hall,désormais distribuées par Fiat Marocelle même, l’arrivée de Jaguar chez Smeia et sa sortie du giron de FinanceCom, ainsi que la récupération de la carte Nissan par AutoHall vu les difficultés financières rencontrées par CFAO. « Vous savez, les constructeurs aujourd’hui ne donnent plus d’exclusivité. Ce sont des contrats établis pour une durée déterminée, renouvelables. Leur choix sont désormais fondés sur la qualité de service et la maîtrise du réseau de distribution. C’est la raison pour laquelle de plus en plus de concessionnaires optent désormais pour le développement d’un réseau en propre », conclut Bouchaïb Najiouallah.

Soumayya Douieb

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