Al Bayane : Les changements climatiques ont toujours été un sujet d’actualité. Qu’en est-il de la conscience environnementale au Maroc ?
Driss El Yazami : Sur ce plan, les entreprises, les parties politiques et la société civile semblent s’y être pris un peu tardivement. Mais ceci est une première impression au vue des réalisations des pays qui nous ont devancés dans ce domaine. Cependant, la conscience environnementale était bien là, s’est bien développée depuis le Sommet de Rio et a pris un tournant décisif avec l’adoption de la Constitution qui a consacré le principe de développement durable, la protection de ressources, le renforcement des droits dans leur globalité (environnement saint, droit à l’eau, etc.).
Notre contact permanent avec les acteurs de la société civile nous a permis par contre de découvrir et de connaitre leur prise de conscience précoce des défis des changements climatiques et de leurs innovations en matière de préservation de l’environnement.
La prédisposition des acteurs que vous avez cités, leur adhésion à la phase transitionnelle dans laquelle se trouve le Maroc en matière de préservation de l’environnement et l’implication de la population ont été à l’origine du succès de l’opération zero mika. C’est pour vous dire que le processus est en marche et la responsabilité est partagée.
L’engagement de la société civile acquis, que faudrait-il faire pour promouvoir son rôle dans l’avancement du programme des changements climatiques?
Tout le monde s’accorde sur le rôle incontournable de la société civile tant sur le plan de la mobilisation et de la sensibilisation que sur celui du plaidoyer. D’ailleurs, l’action des associations a été déterminante lors du processus de l’élaboration de l’accord de Paris et dans son adoption par les pays.Un autre fait joue en faveur des acteurs de la société civile ; c’est leur expertise acquise durant des décennies de labeurs et leurs confrontations avec la réalité du terrain que ce soit au Maroc, dans le reste de l’Afrique, en Asie, en Amérique, ou en Europe. Leurs diagnostics et actions sont porteurs d’idées innovantes et pleines d’espoir en matière d’atténuation et d’adaptation.
C’est pour cela qu’il a été nécessaire, dans une première étape, d’accompagner les ONG et associations marocaines pour obtenir l’accréditation auprès de la Convention-Cadre des Nations Unies sur les Changements climatiques (CCNUCC) afin qu’elles assurent leur rôle en tant qu’acteurs non-étatiques fiables contre le changement climatique et influents lors des prises des décisions. Pour vous illustrer l’importance de ce travail, deux associations seulement ont été accréditées à Paris ; à Marrakech, elles seront 12. N’oublions pas que la COP22 est une conférence de l’action, c’est pour cela que nous avions mobilisé plusieurs organisations marocaines au sein de la zone verte. Nous sommes convaincus qu’elles peuvent faire pression et réussir avec les autres acteurs à orienter les actions à entreprendre vers des initiatives innovantes contre les changements climatiques, et en faveur des populations concernées par lesdits changements.
Selon vous, quel est le rôle du citoyen marocain dans ce processus de conscientisation des acteurs intervenant dans le domaine des changements climatiques ?
Comme je l’ai dit précédemment la réussite d’une telle entreprise est une affaire de tous les acteurs. Les enjeux environnementaux ne relèvent pas seulement du cercle restreint des spécialistes et des décisions des pouvoirs publics mais concernent directement la population fortement touchée par les implications directes et indirectes des changements climatiques.
Inutile de vous rappeler que les citoyens marocains, que ce soit en ville ou à la campagne, sont dépendants de l’agriculture, elle-même dépendante des aléas du climat. La pénurie en eau se posera avec acuité dans les décennies à venir, le développement urbain prend une ampleur alarmante aux dépens de terres arables, etc. La politique environnementale, en phase de consolidation, est prometteuse de changements importants. A ceci s’ajoutent l’implication du pays dans la plupart des organisations onusiennes ayant trait à l’environnement et les actions entreprises par les organismes internationaux dans des projets de développement. Mais l’implication des populations durant tout le processus, depuis la prise de décision jusqu’à la concrétisation, est une condition sine qua non pour la réussite de tout projet de développement. En témoigne, encore une fois, l’exemple de l’opération zeromika.
Dans l’une de vos déclarations vous avez mis l’accent sur l’importance que revêt la question du genre et du climat pour le CNDH. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Une rencontre avait eu lieu dans le pavillon marocain à la Conférence des Nations unies sur le climat à Paris sur la nécessité d’intégrer l’approche genre dans le processus de négociations de l’accord de Paris. C’était une initiative entreprise dans le cadre de la journée du genre à la COP21. Les intervenants ont tous relevé que les femmes sont les premières victimes des changements climatiques et paient lourdement dans leurs vies quotidiennes les répercussions de ces changements. Le cas se présente avec acuité dans les pays en développement et dans les pays pauvres. Une description sociologique de la réalité sociale marocaine et une analyse anthropologique du rôle de la femme dans la société montrent qu’elle est au centre du processus climatique (utilisation des ressources, action sur l’environnement immédiat, transmission des connaissances, sensibilisation, etc.) et, paradoxalement, elle est à l’écart de toutes les décisions et initiatives dans ce domaine. La réalisation de la justice climatique passe par le renforcement des capacités des femmes et leur implication.
Khalid Darfaf