La religion dans l’espace public

Après un mois sacré où les manifestations du sacré connaissent une recrudescence particulière, nous vous proposons, pour rester dans l’ambiance de l’ijtihad inhérent au ramadan, une séquence de réflexion pour interroger justement les caractéristiques de cette présence et comment l’inscrire dans une réflexion globale autour de présence de la religion dans l’espace public. Les signes ostentatoires de l’appartenance religieuse sont-ils l’expression d’un retour du religieux ou traduisent-ils autres choses sur l’identité des sujets et le désir d’affirmation de soi.

Notre journal, plaçant la question du débat d’idées au cœur de son choix éditorial, a voulu ouvrir un débat et lancer une réflexion autour de cette problématique en portant ces questions à deux éminents universitaires, Najib Mouhtadi spécialiste des sciences sociales et de la communication politique et Lahoucine Bouyaakoubi historien et anthropologue. Que pensent-ils du fait empirique que  « la religiosité n’occupe plus qu’une place limitée dans la vie quotidienne des Marocains et ne se déploie plus que dans un espace et un temps bien délimités ». Également sur les derniers développements politiques du monde arabo-musulman qui ont été l’occasion pour certains chercheurs pour avancer l’idée que cette région est touchée par « le désenchantement du monde » et la sortie du religieux. Le triomphe politique des islamistes après 2011 est également le signe de la fin de l’islamisme politique  je renvoie à ce propos au dernier congrès d’Ennahda en Tunisie qui a officialisé la séparation de la prédication (adda3oua) et l’action politique civile.

On a posé également la question de La laïcité; notamment la laïcité à la française qui est très marquée idéologiquement et du coup cela rend le concept inopérant en dehors du contexte français. La sécularisation serait-il  alors le concept le plus pertinent dans la sphère musulmane pour gérer le rapport du politique et du religieux ?

Bref…un riche moment d’intelligence, de tolérance et d’espoir.

Normalisation, sécularisation…

o-AID-EL-FITR-MAROC-facebookC’est à Malraux que l’on attribue la célèbre citation «le XXIe siècle sera religieux ou ne sera pas»…même si certains spécialistes de l’œuvre du mythique ministre gaulliste de la culture aiment préciser que l’auteur de L’espoir a parlé plutôt d’un «siècle de spiritualité». Cela ne change pas grand-chose au constat qui se présente devant nous et qui, d’une manière ou d’une autre fut prophétisé par des écrivains visionnaires, notamment l’omniprésence du «fait religieux» dans les débats publics et dans l’agenda quotidien de ce début du siècle.

Chaque jour apporte son lot d’actualité autour de ce qui passe désormais pour une problématique politique et philosophique de notre temps. Un dernier exemple qui peut relever de l’anecdote : à l’occasion de l’examen du baccalauréat en France, un début de polémique est lancé autour du fait du report des épreuves de rattrapage ayant coïncidé avec la fête musulmane d’Aïd El fitr célébrant la fin du jeûne du mois de ramadan. De quoi faire remuer dans leurs tombes les auteurs de la loi de 1905 officialisant en France la séparation du religieux et du politique.

Dans notre pays, le débat de la place de la religion dans l’espace public n’est plus un tabou. Il est désormais récurrent. Il a été initié timidement certes, au moment de l’élaboration de la nouvelle constitution de 2011 autour de la question de la liberté de conscience, mais le sujet revient souvent à l’occasion d’un fait sociétal défrayant la chronique comme la rupture publique du jeûne au mois de ramadan ou sur des comportements sexuels identitaires spécifiques. Les langues sont déliées et la discussion est souvent respectueuse des avis contradictoires même si, ici et là des violences scandaleuses viennent entacher ce débat serein. Sur le plan politique, et dans le sillage de ce qui a été appelé «le printemps arabe», la place de l’islam politique ne relève plus d’un scénario de fiction mais est inscrite désormais dans notre vie publique avec un gouvernement dirigé par un parti qui se réclame du référent religieux. Là encore, la vie a apporté sa touche et a marqué les comportements des uns et des autres. Le Maroc en la matière est en passe de devenir un modèle régional. Le dernier congrès national du parti tunisien Ennahda a décidé de séparer son action de prosélytisme et de prédication de ses activités politiques. D’une manière plus concrète, la question de la séparation du religieux et du politique est à l’ordre du jour. La question de la laïcité est abordée d’une manière originale. Celle-ci a longtemps pâti de sa dimension idéologique, anti-cléricale, dans la tradition française voire la Turquie des kémalistes première version. Aujourd’hui, la laïcité s’étend et se pluralise. Elle se contextualise et «se culturalise» en quelque sorte. Son extension sémantique ne signifie pas d’ailleurs l’exportation d’un modèle.  Les puristes qui s’attachent au vocable risquent de se tromper d’objectif, de perdre la proie pour l’ombre. Nous préconisons une approche apaisée et sereine loin des dogmatismes idéologiques. Le contenu de la pratique nous importe plus que l’expression linguistique qui la couvre. En la matière, comme en d’autres, notre expérience historique nous a appris qu’il n’y a pas de modèle unique. Le modèle français de laïcité qui inspire un certain nombre de nos élites n’est ni à diaboliser ni à idéaliser. Il traverse d’ailleurs une période historique délicate qui montre ses limites une fois confronté à l’irruption d’une autre religion, en l’occurrence l’islam, dans la pratique sociale. Le concept de «laïcité» nous paraît d’ailleurs essoufflé et inopérant, bien souvent instrumentalisé pour d’autres fins ; servant davantage de paravent aux islamophobes. Chaque société est amenée à forger sa propre expérience en la matière selon une évolution historique et culturelle qui lui est spécifique. Le concept de «sécularisation» semble plus adéquat pour décrire ce processus d’émancipation de l’espace public sur la voie d’une modernité éclairée dans le sens que décrit Habermas quand il dit : une chose est de parler les uns avec les autres ; une autre de seulement parler les uns sur les autres : « Du côté de la religion, on doit reconnaître l’autorité de la raison « naturelle », donc les résultats faillibles des sciences institutionnalisées et, dans les domaines du droit et de la morale, les principes d’un égalitarisme universaliste. De son côté, la raison séculière ne peut s’ériger en juge des vérités de la foi, quand bien même, au résultat, elle n’acceptera comme raisonnable que ce qu’elle peut traduire dans ses propres discours, par principe accessibles à tous».

Dossier coordonnée

par Mohammed Bakrim

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