«Créer le cadre général stimulant»

ministère de tutelle en la matière. Mais, tient-il à insister, le ministère ne saurait se substituer aux autres acteurs du secteur. «Les autres composantes du secteur du livre sont également appelées à moderniser leurs procédés de travail, à faire preuve de beaucoup d’audace et d’esprit d’aventure créative.» Les propos.

Al Bayane : Plusieurs études réalisées par le ministère de la Culture ont montré que le secteur de l’édition au Maroc pâtit de nombreuses difficultés. Qu’en dites-vous ?
Amine Sbihi : Le secteur de l’édition est, sans aucun doute, un secteur clé du champ culturel. Au Maroc, ce domaine, malgré sa dynamique culturelle propre, est resté longtemps conditionné  par le poids de l’histoire et par l’évolution du pays.
Il faut dire que la première imprimerie lithographique  marocaine  n’a vu le jour que vers la seconde moitié du 19e siècle, alors que l’apparition des unités de distribution modernes n’ont été mises en place que plusieurs décennies plus tard, avec notamment la création de librairies et d’unités de distribution liées principalement à l’importation du livre français et arabe. Il faudrait également ajouter que le retard pris par le pays dans la politique de scolarisation et de lutte contre l’analphabétisme a notablement affecté ce secteur dans son développement.
Par rapport aux autres branches de l’économie, le secteur «édition et impression», malgré des réalisations notables, reste en deçà des performances enregistrées par les autres branches industrielles et des potentialités du pays, car le chiffre d’affaires généré n’est jamais allé au-delà de 2% du secteur industriel. Parmi les problèmes qui entravent le développement du secteur, celui de la distribution du livre et du réseau des librairies constitue un enjeu majeur, auquel il faudrait ajouter le facteur humain du fait de l’absence quasi totale d’institutions de formation dans le domaine des techniques et métiers de l’édition susceptibles de contribuer à la professionnalisation du secteur. Les questions de soutien aux maisons d’édition et de sensibilisation à la lecture constituent également des objectifs prioritaires.

Y a-t-il une politique du livre au Maroc ? Si oui, quelles sont les stratégies adoptées par le ministère de la Culture pour promouvoir le livre ?

L’action du ministère de la Culture pour le soutien à l’édition, au livre et à la lecture se situe à deux niveaux. Le premier concerne l’élargissement et la modernisation du réseau des bibliothèques qui constituent, à notre sens, une grande priorité. Dans cette perspective, le ministère met en œuvre, à partir de l’an prochain, le programme national de soutien à la lecture avec l’ensemble des partenaires concernés : collectivités territoriales, associations culturelles, éditeurs, secteurs gouvernementaux et secteur privé, etc.
Le second niveau concerne le fonds de soutien à l’édition et au livre que le ministère de la Culture met en place avec un budget de 10 millions de dirhams pour 2014. Un appel à projets concernant l’édition et le livre sera lancé dès le mois prochain et concernera six types de projets : les projets des maisons d’édition, les revues culturelles, la création et la modernisation des librairies, la résidence d’auteurs, la participation des éditeurs et des auteurs aux salons internationaux et nationaux, la promotion de la lecture.

Ne croyez-vous pas qu’une rentrée  littéraire au Maroc, à l’image de la Tunisie et de l’Algérie serait un moyen de promouvoir le secteur de l’édition ?

De prime abord, je ne crois pas que la référence aux deux modèles évoqués soit appropriée. Je crois plutôt que la tradition de la rentrée littéraire, comme cela a lieu en France où sont publiés plus de 700 romans durant le mois d’octobre, n’a pas d’équivalent, même au Liban qui a connu très tôt l’introduction de l’imprimerie, et qui dispose d’une industrie du livre florissante.
Le rythme de l’édition au Maroc serait plutôt réglé sur le rendez-vous annuel du Salon international de l’édition et du livre (SIEL) de Casablanca, vu le nombre important de publications qui paraissent à cette occasion.
Ceci dit, il ne faut pas nier, cependant, qu’il existe à présent quelques indices, limités soient-ils, de l’apparition de cette tradition qu’est la rentrée culturelle dans notre pays. Signalons que le ministère de la Culture a lancé pendant le mois d’octobre un ensemble de manifestations culturelles et artistiques telles que des salons régionaux du livre, l’ouverture de la saison théâtrale, le lancement des festivals régionaux des jeunes plasticiens, en plus bien entendu des manifestations initiées par un ensemble  d’institutions culturelles nationales.
Le ministère de la Culture ne saurait être un acteur culturel qui se substituerait aux acteurs principaux, aussi bien dans le domaine de l’édition que celui de l’animation culturelle. Notre tâche primordiale est de créer le cadre général stimulant. Je crois que le projet de soutien au livre et à la lecture, dont j’ai parlé auparavant, peut donner un nouveau souffle à la dynamique de l’édition au Maroc, sachant que les composantes du secteur du livre sont également appelées à moderniser leurs procédés de travail, à faire preuve de beaucoup d’audace et d’esprit d’aventure créative, deux qualités que requiert la nature de ce secteur caractérisé par une forte compétitivité, notamment par un ensemble de maisons d’édition arabes et étrangères. La dynamique du paysage culturel au Maroc ne mérite-t-elle pas d’être accompagnée d’une véritable industrie du livre ?

Après 20 éditions, quel impact le salon du livre a-t-il concrètement apporté à la promotion du livre au Maroc ?
Tout salon du livre se base d’abord sur l’idée d’une rencontre directe entre les écrivains et le grand public, en un seul endroit, et dans une ambiance festive où sont incarnées ces relations très particulières, existentielles entre le lecteur et le livre. Ainsi, l’impact de tout salon sur ses visiteurs ne peut que se refléter sur le secteur du livre, puisque les conditions actuelles et à venir de ce domaine restent étroitement liées au facteur de l’offre et de la demande. Dès lors, plus l’offre est intéressante et avantageuse, plus la demande est élevée, et plus la demande augmente, plus la qualité de l’offre s’améliore, se répercutant, de ce fait, sur tout le secteur avec ses différentes chaines.  
Nul doute que l’expérience accumulée par le Salon du Livre, à travers ses 19 éditions, a joué, d’année en année, un rôle certain dans le renforcement des maisons d’édition et la découverte des nouvelles publications. Les livres exposés sont ainsi passés de quelques milliers, les toutes premières années du SIEL, à environ 4 millions exemplaires enregistrés lors de la 19ème édition organisée en 2013. Il en est de même pour la participation des éditeurs marocains, dont le nombre est passé de quelques rares maisons d’édition, à plus de 133 exposants, dont 80 directs, sur un total de 520 exposants directs en provenance du monde entier. Ce sont là des indicateurs puissants du profit que tire le secteur de l’édition du Salon du Livre, sans parler de l’intérêt intellectuel que représente pour les visiteurs la programmation culturelle qui accompagne le Salon et qui leur permet de découvrir les créateurs et les professionnels du livre.  
Aussi, pouvons-nous confirmer que le Salon international de l’édition et du livre, n’est autre qu’une forme de soutien, accordé par le Ministère de la Culture au secteur de l’édition, avec comme seul objectif de le voir évoluer et jouer pleinement son rôle dans l’émergence du Maroc culturel.

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