Avant de répondre à la question du chef d’œuvre cinématographique, cette fois dans le cadre de la filmographie marocaine, nous avons proposé d’aborder ce cinéma à travers d’autres catégories, en classant les films selon une taxonomie qui prend en compte des critères inhérents, soit à la profession (box office par exemple) ou à la tradition cinéphilique (film culte).
Il s’avère que la jeune filmographie marocaine a produit des films qui s’inscrivent aisément et surtout légitimement dans l’une (exemple : A la recherche du mari de ma femme champion du box office) ou l’autre (exemple : Mirage, film culte). Voir la chronique précédente (sur le site d’Al Bayane ou sur mon blog Assaiss-tifaouine).
Nous proposons pour enrichir le débat une autre catégorie, récente dans le champ de la théorie. C’est celle du film événement. Certes, l’expression n’est pas inédite ; elle est même très présente dans les démarches de marketing et galvaudée par le discours publicitaire autour des films qui sortent pratiquement chaque semaine. On la trouve même mise en exergue de l’affiche d’un film moyen que l’on cherche à vendre. Ce n’est pas notre approche.
C’est un autre positionnement que l’on propose pour l’expression film événement, inspiré des travaux de Diana Gonzalez-Duclert. Il faut dans ce sens évacuer les définitions liées aux stratégies commerciales. Le film événement comme concept peut être récupéré par les sciences sociales dans une démarche de déconstruction-construction, inscrivant le film dans une logique des phénomènes sociaux.
Bien sûr, à la base, il y a pour déterminer «l’événementialité» du film événement, le succès commercial, l’affluence publique attirée ; il y a aussi l’impact médiatique. Deux conditions nécessaires mais pas suffisantes : les films de Ferkouss, de Saïd Naciri connaissent des succès de guichet, les médias en parlent mais ils ne peuvent postuler à notre catégorie. «Le film événement se détache de son contexte cinématographique, s’enveloppant de la vérité de son esthétique pour entrer dans l’univers des mythes», dixit Diana Gonzales-Duclert. Pour un film, l’événement est public, médiatique, politique, social et esthétique. Il est dans une temporalité immédiate, celle de son exploitation commerciale…mais il est perçu dans la longue durée.
Par sa démarche globale, il dialogue avec l’imaginaire collectif d’une société car il a su par les vertus de l’écriture dramatique révéler des dimensions du non-dit social. Il rencontre à la fois l’horizon d’attente du public tout en le bousculant sur certains aspects politiques, culturels ou sociaux. Il devient un déclencheur de débat et de polémiques. Il partage l’opinion publique.
En somme, il crée l’événement et le perpétue au-delà de la sphère cinématographique. Je pose comme hypothèse qu’un film marocain peut accéder au statut du film événement, lors de la décennie précédente : Casanegra de Nour Eddine Lakhmari. Certes d’autres films ont provoqué la polémique et ont eu du succès mais n’ont pas été servis par leur démarche esthétique. C’étaient des téléfilms déguisés (Marock ; Voiles d’amour…).
Mais, un film événement est-il automatiquement un chef-d’œuvre ? A suivre.