Le tchadien Moussa Faki Mahamat a été élu, lundi, président de la commission de l’Union africaine (UA), en remplacement de la sud-africaine, Nkosazana Dlamini-Zuma. Le candidat tchadien a battu au dernier tour la candidate du Kenya, Amina Mohamed.
Trois autres candidats représentant le Botswana, la Guinée Equatoriale et le Sénégal étaient aussi en lice pour le poste de chef de cet important organe de l’UA. L’élection devait avoir lieu lors du sommet de juillet 2016 à Kigali (Rwanda), mais cette échéance a été reportée au sommet d’Addis Abeba. Le président de la commission est élu par la conférence pour un mandat de quatre ans renouvelable une fois. L’élection est un scrutin secret et à la majorité des deux tiers des Etats membres.
La commission est le secrétariat de l’UA et a été créée en vertu de l’article 5 de l’acte constitutif de l’Union en remplacement du secrétariat général de l’OUA (Organisation de l’Unité Africaine). Elle est composée du président, du vice-président et de huit commissaires. Depuis sa création en 2002, la commission a été présidée par l’Ivoirien Amara Essy (2002-2003), le Malien Alpha Oumar Konaré (2003-2008), le Gabonais Jean Ping (2008-2012) et, enfin, la Sud-africaine Nkosazana Dlamini Zuma (2012-2017). Cette dernière n’a pas souhaité briguer un second mandat.
Amnesty liste les priorités du nouveau président
dans le domaine des droits humains
L’élection du nouveau président de la Commission de l’Union africaine (CUA) aura lieu pendant le 28e sommet de l’Union africaine (UA), qui se tiendra du 22 au 31 janvier 2017 à Addis-Abeba (Éthiopie). Amnesty International expose ici, dans les grandes lignes, six questions relatives aux droits humains que, de son point de vue, la personne amenée à prendre la direction de la CUA devra considérer comme prioritaires.
Les deux dernières années ont, de bien des manières, ouvert la voie au renforcement de la protection et de la promotion des droits humains au sein de l’UA, sous l’égide du futur président de la CUA. En effet, 2015 et 2016 ont été déclarées respectivement Année de l’autonomisation des femmes et du développement pour la concrétisation de l’Agenda 2063 et Année des droits de l’homme, avec un accent particulier sur les droits des femmes.Au cours de ces deux années, l’UA a élaboré d’importants instruments relatifs aux droits humains, notamment les projets de protocoles sur les droits des personnes âgées et sur les droits des personnes handicapées en Afrique.
Dans le même temps, le système africain de défense des droits humains a connu un certain nombre de problèmes, notamment des atteintes à l’indépendance et l’autonomie des institutions régionales chargées de promouvoir et protéger les droits humains. La situation en matière de sécurité est demeurée fragile car de nombreux pays étaient en proie à un conflit ou une crise politique. De graves atteintes aux droits humains ont été commises dans ce contexte.Il est donc impératif que la consolidation des acquis et la défense ardente des droits humains figurent en tête des priorités du nouveau président de la CUA.
Le président de la CUA a un rôle important à jouer dans la prévention, la gestion et la résolution des conflits sur le continent. En effet, aux termes de l’article 7 du Protocole relatif à la création du Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine, le Conseil de paix et de sécurité (CPS) exerce ses pouvoirs conjointement avec le président de la CUA. En outre, l’article 10 définit le rôle du président de la CUA dans le domaine de la paix et la sécurité. Celui-ci dispose d’un mandat général en vertu duquel il «déploie tous les efforts et prend toutes les initiatives jugées appropriées en vue de la prévention, de la gestion et du règlement des conflits».
Les conflits africains récents ou en cours ont donné lieu à de graves violations des droits humains, tout en découlant eux-mêmes d’un déni persistant des droits humains sur une certaine période. Malgré des évolutions normatives et institutionnelles, la réaction de l’UA face aux causes structurelles de ces violations ou aux graves atteintes commises pendant les conflits a été la plupart du temps lente, inconstante et ponctuelle, faute de s’inscrire dans une stratégie globale et cohérente.
Lorsque l’UA s’est montrée préoccupée par des atteintes aux droits humains, elle n’a malheureusement pas fait preuve de la détermination ni de la volonté politique nécessaires pour traiter ce problème.
Conformément à son mandat en matière de paix et de sécurité et compte tenu de l’aspiration affichée de l’UA à faire cesser tous les conflits sur le continent d’ici à 2020, le nouveau président de la CUA devra, avec détermination et constance, accorder la priorité à la lutte contre les violations des droits humains qui ont mené aux conflits et/ou sont commises dans ce contexte. Il devra veiller à ce que les interventions de l’UA en situation de conflit s’inscrivent dans une stratégie institutionnelle globale. Il devra aussi établir les modalités d’une coordination et d’une synergie entre tous les organes de l’UA qui participent, directement ou indirectement, à la protection et la promotion des droits humains et à la prévention et la résolution des conflits violents. Par ailleurs, il devra faire en sorte de renforcer les relations et la collaboration entre l’UA et les communautés économiques régionales sur les questions relatives à la paix et la sécurité.
L’un des principes directeurs essentiels de l’UA est la condamnation et le rejet de l’impunité. Pourtant, l’impunité demeure le dénominateur commun de tous les grands conflits africains, les auteurs présumés de crimes de droit international et de violations manifestes des droits humains étant rarement amenés à rendre des comptes.
Le nouveau président de la CUA devra réaffirmer publiquement et en des termes concrets que l’UA rejette fermement l’impunité et s’est engagée à faire en sorte que les auteurs présumés de crimes de droit international soient poursuivis. On attend de lui qu’il prenne de toute urgence des mesures spécifiques en faveur de la redevabilité et de la justice au Soudan du Sud, au Burundi et en Érythrée. Conformément à l’accord de paix signé le 17 août 2015, il devra créer un tribunal mixte pour le Soudan du Sud dans les meilleurs délais. Il devra aussi tenir dûment compte de la recommandation de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples concernant la création d’un tribunal spécial pour le Burundi et de la recommandation de la Commission d’enquête des Nations unies sur l’Érythrée concernant la mise en place d’un mécanisme de redevabilité qui permettrait d’enquêter sur les allégations de crimes contre l’humanité dans ce pays.
Par ailleurs, le nouveau président de la CUA devra décourager et condamner publiquement toute disposition accordant une immunité ou une amnistie pour des crimes de droit international lors de la création de mécanismes de redevabilité régionaux ou nationaux.
Soutenir les institutions régionales de défense des droits humains
La force du système africain de défense des droits humains réside uniquement dans les institutions qui le composent. C’est pourquoi le nouveau président de la CUA devra défendre et préserver l’indépendance et l’autonomie de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, de la Cour africaine de justice des droits de l’homme et des peuples et du Comité africain d’experts sur les droits et le bien-être de l’enfant.
Il devra s’opposer à toute ingérence politique dans les activités des institutions régionales de défense des droits humains et tenir tête au Comité des représentants permanents et/ou au Conseil exécutif s’ils prennent des mesures qui sapent l’indépendance de ces institutions, ou font part d’une telle intention. Il devra aussi veiller à ce que les institutions régionales de défense des droits humains disposent de ressources suffisantes.
Afin que la cour régionale chargée des droits humains soit plus forte, le président de la CUA devra appeler activement les États membres de l’UA ne l’ayant pas encore fait à ratifier sans attendre le Protocole relatif à la Charte Africaine portant sur la création d’une Cour africaine des droits de l’homme et des peuples. En outre, il devra encourager constamment les États membres à effectuer la déclaration permettant aux particuliers et aux organisations non gouvernementales (ONG) de saisir directement la Cour.
Protéger la société civile et les libertés
Le mandat du nouveau président se déroulera dans un contexte où les citoyens d’Afrique réclament de plus en plus de changement, d’inclusion et de liberté, en particulier les jeunes, confrontés à un triple fardeau : chômage, pauvreté et inégalités. La population descend dans la rue en masse, ignorant les menaces et les interdictions de manifester, refusant de céder face à une répression brutale. Au contraire, elle exprime ses opinions et entend faire valoir ses droits grâce à des actions de solidarité, des boycotts et une utilisation large et créative des réseaux sociaux. Cette tendance à la résistance et l’étiolement de la politique de la terreur offrent une lueur d’espoir.
S’il existe de nombreux exemples de courage et de résilience, il n’en demeure pas moins que la répression de la dissidence et des manifestations pacifiques par les autorités s’est intensifiée de manière inquiétante ces dernières années. Dans de nombreux pays, la répression violente des manifestations est une pratique bien établie, qui prend diverses formes : interdictions de manifester, arrestations arbitraires, placements en détention, passages à tabac et même homicides.
Dans plusieurs États membres de l’UA, les autorités ont ainsi restreint les activités des organisations de la société civile et des défenseurs des droits humains. Elles ont notamment arrêté, poursuivi et incarcéré, entre autres, des défenseurs des droits humains et des journalistes pour diverses charges comme la diffusion de fausses informations ; des défenseurs des droits humains se sont aussi vu imposer un gel de leurs avoirs et une interdiction de quitter le territoire. La CUA elle-même a pris des décisions régressives qui écartent les groupes de la société civile de ses sommets. De ce fait, l’espace civique se réduit aux niveaux national et régional.
Le nouveau président de la CUA devra prendre, de toute urgence, des mesures visant à inverser la tendance, notamment en permettant à la société civile d’être représentée lors de ses sommets et, de façon générale, de participer plus activement à ses travaux. Il devra aussi exhorter les États membres à faire en sorte que les organisations de la société civile et les défenseurs des droits humains évoluent dans un environnement sûr, qui favorise l’expression pacifique de la dissidence.
Défendre les droits des femmes
L’UA a fait des efforts considérables afin de concrétiser les droits des femmes sur le continent, notamment grâce à l’adoption du Protocole à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples relatif aux droits des femmes (dit Protocole de Maputo), entré en vigueur en 2005. Le nouveau président de la CUA devra profiter de cet élan pour faire progresser encore l’égalité des genres et les droits des femmes. Il devra appeler activement les États membres ne l’ayant pas encore fait à ratifier le Protocole de Maputo et ceux l’ayant déjà fait à le mettre en œuvre efficacement au sein de leurs cadres juridiques nationaux, ainsi qu’à se conformer à leurs obligations en matière de communication d’informations.
Aux termes du Protocole, les États parties sont tenus de « protéger les droits reproductifs des femmes, particulièrement en autorisant l’avortement médicalisé, en cas d’agression sexuelle, de viol, d’inceste et lorsque la grossesse met en danger la santé mentale et physique de la mère ou la vie de la mère ou du fœtus ». Le nouveau président de la CUA devra non seulement réaffirmer publiquement cet engagement et œuvrer à sa concrétisation, mais aussi apporter son soutien à la campagne de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples en faveur de la dépénalisation de l’avortement en Afrique.
Soutenir l’abolition de la peine de mort
Ces dernières années, les pays africains ont fait des progrès sur la question de la peine de mort au niveau national. En 2016, par exemple, le Togo a accédé au deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, la Guinée a aboli la peine capitale pour les crimes de droit commun et, au Bénin, une décision de la Cour constitutionnelle a véritablement aboli la peine de mort pour tous les crimes.
À l’échelon de l’UA, en revanche, les avancées sont lentes. Plus particulièrement, on n’a noté aucune évolution positive depuis que le Comité technique spécialisé sur la justice et les affaires juridiques a refusé, en novembre 2015, d’examiner le projet de protocole sur l’abolition de la peine de mort en Afrique, élaboré par la Commission africaine. Le nouveau président de la CUA devra s’efforcer en priorité de tirer l’UA de cette impasse et user de son influence pour faire en sorte que le projet de protocole soit adopté et que l’UA soutienne toutes les initiatives en faveur de l’abolition de la peine de mort en Afrique
(MAP)