Il y a du pessimisme dans l’air…
Triste bilan pour un anniversaire. Il s’agit bien sûr du cinquième anniversaire de ce que l’on a qualifié un peu hâtivement et à la suite des médias occidentaux, «le printemps arabe». Bilan qui trouve son illustration macabre dans l’enlisement de la crise en Syrie, au Yémen, en Libye. Enlisement, hélas !, est un euphémisme. Il s’agit bel et bien d’une tragédie humaine doublée d’un désastre politique sans précédent. Dans d’autres pays qui ont connu des mouvements de protestation populaire, le bilan est plus mitigé.
En Tunisie et en Egypte, la dialectique révolution/restauration semble plutôt pencher du côté de la restauration. Les turbulences sans issue réellement révolutionnaire – celle-ci est un projet – ont provoqué la lassitude des classes moyennes, qui ont davantage un souci de stabilité et de sécurité) et le désarroi de la jeunesse et des couches populaires, qui attendaient de ces soulèvements des mesures de nature sociale pour changer une situation où le mot d’ordre de liberté se traduisait par dignité, laquelle équivalait à revendiquer du pain et du travail. Un retour à la case départ ? La posture shakespearienne est en effet tentante : «beaucoup de bruit pour rien».
Certains pays cependant semblent tirer leur épingle du jeu et ont négocié positivement le tournant 2011. Il s’agit en particulier de la Jordanie et du Maroc.
Notre pays passe dans ce sens pour un modèle grâce à des acquis historiques et à des données spécifiques. Une monarchie assurant au pouvoir une double légitimité, sacrée et profane (ascendance chérifienne du Monarque et sa fonction d’arbitre entre les différents acteurs du système), une classe politique réelle et ancrée dans son environnement socioculturel, un mouvement social et civil organisé et relativement autonome, une presse indépendante… autant de facteurs qui ont fonctionné comme des amortisseurs qu’il s’agit maintenant de préserver, de rendre perfectible… Car en la matière rien n’est irréversible.
L’image globale qui s’offre à l’observateur, au-delà du cas particulier du monde arabe, face à la carte politique mondiale, n’est pas réjouissante. Une image qui laisse clairement s’afficher une forme d’impasse pour les idées qui ont animé les soulèvements populaires qui ont fait l’histoire contemporaine, à partir du XIXème siècle. Ce que l’on pourrait résumer par les idées de progrès. Partout en effet, c’est le retour des idées rétrogrades portées par des forces conservatrices.
En fait, il n’y a pas de quoi être surpris. La victoire et le triomphe du camp conservateur étaient déjà inscrits dans la logique qui préside à la configuration intellectuelle et culturelle dominante. Quelque chose s’est déréglée au bénéfice d’une vision du monde et de la vie rétrograde et conservatrice. Le monde est entré depuis des décennies dans une crise de nature radicale touchant à l’ordre des valeurs qui ont marqué l’histoire récente. Au cœur de cette métamorphose culturelle, l’idée du progrès est la plus «touchée», presque au sens militaire. Toute une variante de la modernité était fondée et organisée autour de la «religion du progrès». L’idée de religion est une métaphore par ailleurs très opératoire : le progrès a été perçu comme une religion de substitution, «religion séculière» dira Raymond Aron. Dans les récits mythiques des temps primitifs, la réappropriation du passé était l’objectif ; dans les récits modernes, c’est la culture de l’avenir; le futur comme horizon d’espoir, de progrès justement. Le 20e siècle a signé la mort de cette idéologie. Il n’y a plus d’avenir comme idéologie. Il y a pire, le retour de la barbarie avec une incapacité théorique à expliquer ou à comprendre. Il y a en effet et indéniablement une crise de la pensée confrontée à un monde globalisé.
Mohammed Bakrim