Pour un modèle de développement qui profite à tous les Marocains

Par Amine Sennouni

Malgré la forte croissance économique que connaît le pays, ce modèle est renversé à l’indépendance au profit des théories du développement autocentré fondées sur l’intervention massive de l’Etat, le contrôle strict du commerce extérieur et des changes et la planification étatique de l’économie.

Les entreprises d’Etat, qu’elles soient issues des nationalisations, comme l’ONE ou l’ONCF, ou nouvellement créées comme la SAMIR et la SOMACA, fleurissent à l’abri de protections douanières et de monopoles publics. Les licences d’importation puis la «marocanisation» des entreprises étrangères font la fortune d’une partie du secteur privé dont la frange la plus entreprenante est gênée par l’inefficacité du secteur bancaire étatique et de l’office chargé du monopole des exportations et par l’accès difficile aux devises nécessaires aux importations.

Ce modèle quasi soviétique de développement, adopté à l’imitation idéologique des théoriciens tiers-mondistes, explose en vol à la fin des années 1970 et conduit au fameux Plan d’ajustement structurel du milieu des années 1980. Le libéralisme économique, qu’on confond trop souvent avec la simple privatisation de l’économie, symbolisée par le passage du monopole d’Etat du raffinage au monopole de la SAMIR privatisée, est adopté comme modèle officiel de développement.

L’Etat se désengage progressivement des activités industrielles, financières et agricoles, à travers la Loi de privatisation de 1987. Ce mouvement de désengagement de l’Etat, accompagné de réformes importantes de la fiscalité, du Droit des Entreprises et du Code du Travail, entamé au Maroc bien avant beaucoup de pays comparables, permet la constitution d’une économie diversifiée, d’un secteur financier de haut niveau et d’une nouvelle classe d’entrepreneurs, dont la combinaison fait aujourd’hui le succès marocain sur son continent.

Au tournant du siècle, quatre nouveaux axes s’ajoutent à la politique de libéralisation économique : la politique des grands travaux d’infrastructure, les accords de libre-échange, l’émergence des métiers mondiaux du Maroc et l’intérêt pour l’Afrique.

L’urbanisation du pays, la stabilisation démographique de la population et le recours au secteur privé pour l’habitat social, favorisent l’émergence de nouvelles classes moyennes et la croissance de la consommation. On peut donc considérer que le pays est pleinement entré dans l’ère de la mondialisation et en tire les bénéfices attendus.

Mais la mondialisation, qui s’accompagne en outre, maintenant, des menaces climatiques, charrie avec elle ses propres contradictions. Des secteurs entiers de l’économie disparaissent : les salaires marocains sont au-dessus du niveau en dessous duquel la mondialisation crée des emplois, même pour les emplois non qualifiés.

La déprotection des entreprises nationales, sans mesures d’accompagnement et sans harmonisation des environnements fiscaux, administratifs et sociaux conduit à la destruction d’activités entières, comme le montre la fin de notre marine marchande. Certains accords de libre-échange, naïvement négociés, ne sont d’aucun apport pour l’économie nationale.

L’attractivité du pays souffre des défaillances de l’enseignement qui impactent directement la qualité du facteur humain appelé à se battre dans un champ international, mais aussi des dysfonctionnements profonds de la gouvernance urbaine.

De ces contradictions se nourrit la marginalisation des couches sociales ignorées par la croissance induite par la mondialisation, en particulier dans le monde rural mais aussi dans les espaces fragiles enclavés et dénués de facteurs de compétitivité.

C’est le plus grand danger de l’insertion dans la mondialisation : une croissance de la richesse nationale mais sans entraînement de l’ensemble de la population et une différentiation aggravée entre les territoires atlantiques poussés vers la prospérité grâce à leur intégration économique internationale et les territoires de montagne et espaces frontaliers que la désertification, le sous-emploi et la faible attractivité menacent.

Dans ce cadre, le grand défi conceptuel que constitue l’appel royal à l’élaboration d’un nouveau modèle de développement appelle des compétences pointues en économie du développement et des connaissances approfondies des réalités nationales, et il serait présomptueux de prétendre y répondre solitairement, avec amateurisme et désinvolture. Les seules intuitions qu’on pourrait modestement faire valoir sont liées aux défaillances qu’on vient de citer.

Trois axes se détachent : l’approche territoriale, le soutien à l’entreprise et la promotion de l’individu. L’approche territoriale se décompose elle-même en deux : en premier lieu, la remise à niveau structurelle de la gouvernance urbaine, c’est-à-dire abandonner la lecture actuelle de la Charte des Collectivités Locales qui confond le rôle d’instance délibérative qui doit être celui des conseils élus et le rôle d’exécutif qu’ils se sont arrogés, une administration unique urbaine doit être mise en place qui doit reconcentrer la gouvernance éclatée d’aujourd’hui sous l’autorité du maire et le suivi attentif des Conseils.

La réforme de la gouvernance urbaine, fortement attendue par les nouvelles classes moyennes urbaines, est un facteur clé de l’attractivité d’ensemble de notre pays.

En deuxième lieu, l’approfondissement de la régionalisation comme réponse aux effets centrifuges de la mondialisation : il faut exacerber les capacités des territoires intégrés à la mondialisation, soutenir les territoires fragiles sans essayer de les faire ressembler aux premiers et s’adapter aux mouvements de littoralisation et d’urbanisation qui sont la réponse naturelle des populations aux effets conjugués de la mondialisation et des changements climatiques.

L’erreur qui semble se propager est d’attendre, à coups d’investissements importants mais sans lendemain, que les régions se ressemblent entre elles et s’intègrent simultanément à la mondialisation et à la croissance économique.

Le soutien à l’entreprise devrait se manifester par un ensemble de mesures destinées à mettre l’entreprise marocaine dans les mêmes conditions que ses concurrentes internationales. Pour cela, il faudra revisiter certains accords de libre-échange et adopter, comme semblent déjà vouloir le faire certains grands pays comme la Grande-Bretagne et les Etats-Unis, une démarche plus volontaire et moins naïve vis-à-vis du commerce extérieur.

Les environnements fiscaux, administratifs et sociaux de l’entreprise devront être revus aussi dans le sens d’une promotion de l’acte d’entreprendre, quoique la prise de conscience de ces réformes soit déjà présente mais encore pas assez décisive.

Pour reprendre l’exemple de la marine marchande, la question de sa renaissance n’est pas liée à l’argent qu’on y investira, mais au cadre fiscal et réglementaire qu’on lui appliquera. Enfin, la transition numérique, comme horizon permanent de la nouvelle pensée économique, et l’accentuation de la formation professionnelle sont aussi des clés incontournables dans le monde du XXIe siècle.

La promotion de l’individu, comme acteur clé de la création de valeur, est un chapitre nécessaire au nouveau modèle de développement. Les concepts de Soft Power, de Capital Immatériel et de remise à niveau complète de notre système d’enseignement sont déjà d’actualité dans notre pays, mais il faut y ajouter l’élargissement des libertés individuelles sociétales.

Ceci peut paraître paradoxal dans un pays traversé par un fort courant de conservatisme social rétrograde, mais l’attractivité du Maroc, y compris vis-à-vis de ses propres enfants, passe par le respect sans concession des valeurs universelles de libre arbitre individuel, inscrites par ailleurs dans la Constitution mais pas encore assez dans l’esprit collectif de la société.

Top