«Pour une stratégie nationale tenant compte des spécificité locales»

Militant associatif averti, Kamal Lahbib, coordonateur de la Coalition marocaine de la justice climatique (CMJC) nous livre, dans cet entretien, son regard sur la problématique de l’environnement et les véritables enjeux de la COP22.  Pour lui, il  existe aujourd’hui une forte conscience de l’enjeu de l’environnement. Une conscience qui s’exprime à travers les manifestations quotidiennes, la mobilisation sur les réseaux sociaux et l’action effectuée par les associations de développement local. Ceci dit, l’Etat doit interagir avec la nouvelle donne ; la société civile  a un rôle crucial et doit être considéré comme un acteur incontournable dans l’élaboration des politiques de l’environnement, martèle-t-il.

Al Bayane : le Maroc accueille cette année un événement mondial, la COP 22. Quels sont, selon vous les réels enjeux de cette manifestation planétaire ?

Kamal Lahbib : Evidemment, les pays de la terre et en particulier les pays industrialisés sont appelés à déployer plus d’efforts et inscrire leurs actions dans le processus déclenché avec la COP21. Nous sommes donc à la 22e rencontre internationale sur la question du climat, or la question qui se pose est : quelles sont nos attentes à l’égard de la COP 22 ? En termes plus clairs, à Paris, il y a eu un accord, le Maroc ambitionne que la rencontre de Marrakech soit une étape de concrétisation voire d’action.  Aussi, notre pays est appelé à s’inscrire dans cette dynamique en procédant à l’élaboration au niveau national d’un certain nombre de programmes qui vont dans ce sens. Cela étant dit, nous sommes invités à présenter un certain nombre de propositions en nous engageant à l’échelle internationale à les appliquer à l’échelle locale.

Pouvez-vous nous citer des exemples ?

Il faut dire que le Maroc a de sérieux problèmes en matière de pression hydrique. Donc la question de l’eau est fondamentale. Aussi, faut-il s’attarder sérieusement sur la problématique de «la souveraineté alimentaire», c’est-à-dire le droit des populations à une alimentation saine basée sur des techniques durables.  D’une manière générale, les politiques publiques agricoles devraient intégrer les attentes et choix des populations. Cela s’applique aussi pour l’Afrique.  La COP22 se veut aussi principalement un focus sur l’Afrique.  Notre objectif est de mettre en avant la situation africaine pour que les Etats développés  et les grands décideurs à l’échelle internationale (Policy Maker) prennent en considération les préoccupations des pays africains et les intègrent dans leurs décisions. Assurément, cela débouche sur la question de financement qui figurera pleinement au cœur des débats. L’enjeu consiste ainsi à établir une équité voire une certaine justice dans la répartition de l’aide publique estimée à 100 milliards de dollars promis aux pays en voie de développement pour que ces derniers puissent s’adapter et se positionner en tant qu’acteur.  Toutefois, il y a plusieurs problèmes qui se posent avec insistance, à savoir le manque de compétences, la question de transfert de technologie et du savoir pour que  les pays en voie de développement puissent s’adapter et rattraper leur retard. D’où la nécessité de la mise en place d’une politique d’investissement en bonne et due forme permettant aux pays en développement de relever les défis de l’environnement et du changement climatique.

Qu’en-t-il du Maroc ?

Il faut préparer les régions dans le cadre d’une régionalisation avancée et ce,  pour que les régions intègrent dans leurs programmes, leurs budgets, les décisions déjà prises à l’échelle planétaire en matière de changement climatique.  Cela suppose de trouver une harmonie globale entre les différentes spécificités régionales afin de mettre en œuvre une stratégie nationale qui respecte les engagements du Royaume.

Je dois aussi mettre l’accent sur le fait qu’il faut intégrer la dimension de justice dans la question du climat. Ce sont les pays pauvres qui souffrent davantage des effets pervers des  catastrophes naturelles, de la sécheresse…  Il faut tirer l’alarme sur le fait que nous allons assister, dans les années à venir, à l’émergence d’une vague de migration liée aux changements climatiques tels que la pénurie d’eau, la montée des eaux maritimes, la désertification.  Ces changements vont pousser les gens à quitter leurs terres natales et aller vers les villes ou d’autres pays.  Il faut qu’il y ait des politiques d’anticipation pour faire face à tous ces problèmes.

Selon vous, le Maroc dispose-t-il d’une véritable politique publique en matière d’environnement et quelles sont ses faiblesses ?

Il y a plusieurs éléments.  D’abord, il y a les fondements constitutionnels et les textes juridiques contenant le droit à un environnement sain pour la population. Il s’agit d’un engagement fort de la part de l’Etat, qui nous met, en tant que citoyens, dans une posture qui nous permet de réclamer de l’Etat la mise en place de mesures adéquates pour que notre environnement soit sain. Qui plus est, notre pays dispose d’une charte de l’environnement et d’une stratégie nationale de la protection de l’environnement au niveau national. Mais,  on constate que la cohérence des politiques nationales laisse à désirer.

Est-ce que cela signifie qu’on a n’a pas une stratégie cohérente ?

Effectivement oui. La cohérence ne se limite pas à  établir des programmes au niveau local sans qu’il y ait  une véritable interaction entre eux. Il y aura forcément une perte d’argent et des efforts. La cohérence suppose une stratégie globale, intégrée voire  SMART et des mesures qui ne sont pas probablement contradictoires les uns par rapport aux autres.

La raison nous recommande , de surcroit,  de trouver les moyens pour que la stratégie nationale prenne en considération les préoccupations et les spécificités locales. La situation sur Safi ou sur Casablanca diffère de celle d’Oujda ou Agadir.

Cela étant dit, il faut œuvrer pour mettre en place  une commission ou un comité assurant la coordination et qui puisse permettre de faire émerger une stratégie de  l’ensemble des intervenants à la fois au niveau local et national tout en veillant à traduire les engagements de l’Etat à l’échelle internationale. Il s’agit donc de fixer les priorités et de se doter d’une vision globale.

En d’autres termes, je voudrais dire que le problème de Casablanca qui est celui de la gestion des déchets n’est pas celui de Safi qui souffre d’un sérieux problème de pollution des eaux maritimes, de l’environnement et de l’air.  Une stratégie intelligente est synonyme d’une action collective qui devrait converger à la fois sur l’aspect programmatique, financier mais aussi législatif pour qu’on puisse  effectivement aller dans le sens d’une responsabilité sociétale de l’entreprise et mettre fin à l’impunité de la pollution.

Estimez-vous qu’une approche juridique à elle seule est suffisante ?

Loin s’en faut ! Il faut accompagner tout cela par la recherche scientifique. Il faut qu’il y ait une implication forte  des chercheurs, universitaires et experts pour apporter des solutions concrètes.  En plus, il faut qu’il y ait une véritable contribution de l’entreprise pour trouver, par conséquent, un équilibre entre la quête du gain et la protection des droits des générations actuelles et à venir. Il ne faut pas omettre que l’humanité est de plus en plus consciente du danger du changement climatique et ce, depuis les années 70 où la société civile a joué un rôle fondamental dans les orientations des Etats à l’échelle planétaire.  Je dois dans ce sens souligner que l’Etat marocain doit prendre  conscience de la nécessité de l’implication des associations, des syndicats …dans l’élaboration des politiques publiques consacrées à la question du climat. En termes plus clairs, l’Etat doit interagir avec la nouvelle donne et les considérer comme un partenaire dans la fabrication des politiques publiques et être à l’écoute de leurs  attentes pour avoir plus de visibilité. La société civile a un rôle crucial et doit être considéré comme un acteur incontournable. Il faut œuvrer ensemble pour atteindre nos objectifs (Etat, partis politiques, associations…). Je cite à titre d’exemple la campagne «Zéro Mika». Il y a certes une loi, mais l’application pose de sérieux problèmes. Cela requiert un travail a priori et la préparation du terrain à l’avance.

Partagez-vous l’avis de certains analystes qui considèrent qu’il y a un manque de prise de conscience de l’environnement chez les citoyens ?

Je trouve qu’il s’agit d’un constat erroné. La question du changement climatique et de l’environnement a envahi l’espace public. Il y a une forte conscience qui s’exprime tous les jours à travers les manifestations sur les réseaux sociaux, sans oublier le travail remarquable effectué par les associations de développement local.  Malheureusement, on assiste à une destruction de cette conscience. Je fais allusion, à titre indicatif, à la manière traditionnelle mais aussi magnifique de la gestion de l’eau, qui est celle de «Khattarates», qui sont complètement détruites. Cette méthode traditionnelle traduit la manière rationnelle avec laquelle les populations du monde rural géraient l’eau et témoigne de leur conscience de l’importance de l’eau en tant qu’une richesse rare qu’il faut préserver. A cela s’ajoutent, en outre,  les manifestations, qui ont lieu chaque jour sur le pillage des sables, la destruction du littoral… Les gens ont conscience  qu’il y a quelque chose de fondamental qui est en train d’être détruite. Au lieu de les écouter on les réprime.  Le hic, c’est que malheureusement au niveau du Maroc  il n’y a pas assez de conscience  sur l’implication de la société civile. En sus de cela, en tant que société civile,  nous n’avons pas les moyens pour assurer notre participation à la COP22 et faire entendre notre voix.

Quel est  exactement votre apport en tant que Coalition Marocaine pour la justice climatique (CMJC) ?

Nous essayons de jouer le rôle d’éclaireur et tirer la sonnette d’alarme sur tous les problèmes relavant de l’environnement. Le problème du climat n’est pas un problème qui relève d’une gestion purement techniciste,  c’est aussi un problème économique et politique.  Tout le monde est d’accord sur la faillite du modèle  économique actuel qui n’a fait que contribuer à la dégradation de l’environnement. Nous étions à l’origine de l’initiative d’une réflexion basée sur une approche territoriale du climat et nous allons avec détermination continuer notre travail après la COP22 pour la compléter et élaborer notre programme sur les 12 régions.

Khalid Darfaf

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