Quelques pistes pour accélérer la transition du Maroc vers le statut d’émergence?

Les pays communément appelés «émergents» constituent un groupe de pays qui, en 2014, cumulait 52% du PIB mondial et 40% des exportations mondiales, détenait la majorité des ressources naturelles de la planète, concentrait près de 80 % des réserves de change du monde et contribuait  à une grande part de l’investissement mondial.

A moins d’un atterrissage brutal, cette tendance a de fortes chances de se renforcer. Les estimations du PIB mondial à l’horizon 2030 tablent sur une part de 70% pour les pays émergents, à un moment où la croissance économique s’inscrit durablement en baisse en Europe, où la révolution technologique numérique y détruit les emplois répétitifs et où le «burn out» menace les ressources humaines (E.Cohen).

Cette métamorphose de l’économie mondiale, qui repositionne les pays et exacerbe la concurrence inter étatique, ouvre, néanmoins, des opportunités face aux pays en développement recherchant l’émergence.

  1. Qualifier un pays d’émergent est complexe et nécessite de prendre en considération un large éventail de critères quantitatifs et qualitatifs.

A l’instar des critères le définissant, les processus qui mènent à l’émergence sont également divers et variés. Ce qui donne lieu à des classements de pays qui divergent selon les organismes classificateurs, comme les institutions multilatérales (Nations Unies, Banque Mondiale et FMI), ou les fournisseurs d’indices (Morgan Stanley Capital International, Standard and Poor, Financial Times and the London Stock Exchange et Russell…), ou encore les autres organismes qui produisent des analyses relatives à des pays ou des critères particuliers.

Concept jugé idéologiquement chargé, et né dans une logique strictement financière (Priveteau, A et Rougier,E.) , « l’émergence » est rejeté par un ensemble de penseurs et de décideurs. Il n’en constitue pas moins, un qualificatif utile, un challenge pour les pays aspirant à un niveau de vie meilleur et à un rattrapage historique. A condition de considérer la marche vers le développement convergent et intégral comme l’objectif visé et que le processus à entreprendre soit mené à une vitesse et suivant une discipline d’organisation données, moyennant une stratégie de développement adéquate, déclinée en une feuille de route claire.

Les indicateurs de l’émergence, nombreux et diversifiés, concernent les domaines institutionnel, économique, social, humain et environnemental. Certes certains souffrent de faiblesses et sont sujets à critiques. Mais, en général, les « indices » ne devraient pas être ignorés. Car, dans leur globalité, et quelle que soit leur constitution, ils présentent l’avantage de permettre d’observer l’évolution dans le temps par rapport au reste des pays analysés. De plus, les classements ont une importance pratique en ce qu’ils influencent l’admissibilité aux prêts concessionnels des banques multilatérales, la politique d’aide des bailleurs de fonds et l’accès aux marchés. Aussi, le classement peut-t-il avoir un impact sur le montant des investissements étrangers susceptible d’être attirés.

En tout état de cause, un ensemble de critères d’émergence sont universellement privilégiés. Il s’agit, notamment, de trois critères essentiels que sont le niveau de revenus par habitant, le taux de croissance dans le temps et les transformations institutionnelles dans l’ouverture sur l’extérieur. Concrètement, un pays émergent doit avoir un revenu en parité de pouvoir d’achat (PPA) entre 10 et 75% de la moyenne de l’Union européenne. Il doit réaliser un taux de croissance économique suffisant et durable supérieur à la moyenne mondiale permettant donc un rattrapage. Il doit aussi connaitre des transformations institutionnelles et une ouverture économique suffisante. D’autres critères qualitatifs sont nécessaires.  C’est le cas de l’Etat de droit, la sophistication des marchés, en particulier un marché boursier animé, la disponibilité d’infrastructures énergétiques et de transport suffisantes, une classe moyenne en croissance, de la stabilité sociale et de la tolérance, ainsi qu’une coopération croissante avec les institutions multilatérales.

C’est dire que la forte croissance est insuffisante à elle seule pour induire l’émergence et faire espérer une convergence. En outre, l’accès au stade de l’émergence dépend de la capacité des pays en développement à gérer efficacement des facteurs multiples et de nature diverse et implique une aptitude à piloter efficacement les transitions et les mutations nécessaires. Le pays doit chercher à atteindre un niveau de compétitivité et d’attractivité le plus élevé possible, en mettant en place un environnement de standing international, à travers notamment une stabilité politique et macroéconomique ; un dynamisme économique et une ouverture ; un cadre réglementaire de qualité assuré par la rationalisation des procédures administratives et judiciaires ; et  des bases à long terme du développement adaptées à travers  la capacité à absorber et à adapter le savoir et les technologies, y compris les NTIC.

L’émergence implique donc une approche politique et holistique. Un pays n’est émergent que dans la mesure où la logique mise en œuvre par le pouvoir s’assigne l’objectif de construire et de renforcer une économie autocentrée, fût-elle largement ouverte sur l’extérieur, et d’affirmer par là même son indépendance et sa souveraineté économique nationale.

  1. Le Maroc, pays à revenu intermédiaire, fluctue au cours des dernières années entre des conditions qui le situent soit dans les marchés émergents soit dans les « marchés-frontières ».

Sur le plan des revenus en PPA, avec 7.379 dollars/habitant, le Maroc se situe au-dessus des 10% de la moyenne du revenu PPA européen (70.200 dollars pour la Norvège, 43.220 dollars pour l’Allemagne, 38.430 dollars pour la France, 25.690 dollars pour le Portugal, 14.400 dollars pour la Bulgarie, 14.100 dollars pour la Roumanie, selon The Economist, The World in 2014).

Pour le taux de croissance, la moyenne de 4,4%, réalisée au cours de la décennie 2004-2014 dépasse les 3% réalisés durant la décennie précédente. C’est le cas aussi de la grande ouverture commerciale sur plus de 50 pays avec la signature d’accords de libre-échange avec l’Union Européenne, les Etats-Unis, la Turquie, les Emirats arabes unis, les pays de l’Accord d’Agadir (Egypte, Tunisie, Jordanie) et plusieurs accords avec les Etats arabes et africains. C’est le cas aussi du programme de rattrapage infrastructurel et de modernisation de nombre de secteurs économiques érigés en priorités.

Indicateur important, le PIB par habitant était de 7 379 dollars en 2014 au Maroc. Dans les autres pays émergents considérés, le PIB par habitant, à la même date, était en moyenne de 16 400 dollars PPA, soit plus que le double de celui du Maroc. Il n’y a, dans cette catégorie de pays, que l’Inde qui affiche un PIB par habitant inférieur à celui du Maroc (5 833 dollars PPA), sachant que la croissance annuelle moyenne du PIB par habitant en Inde, sur la période 1990-2014, est plus élevée (4,9%) que celle du Maroc (2,5%).

Bien que le taux de croissance du PIB par habitant au Maroc, sur la période 1990-2014, soit plus élevé (2,5% par an en moyenne) que l’ensemble des pays émergents considérés (1,1%), il reste que cette même croissance est handicapée par son niveau de volatilité, 1,2 fois supérieure à celle observée chez les BRICS.

Pour appuyer ce constat, l’indice de Gini qui mesure le degré d’inégalités de revenus et de niveaux de vie, est au Maroc, en moyenne de 40,9 sur la période 2003-2012, contre une moyenne de 45 pour l’ensemble des pays émergents considérés, sur la même période.

C’est dire que si le Maroc réalise des performances – qui faisaient qu’en Juin 2015, Standard and Poors et Russell continuaient à classer le Maroc comme émergent, malgré le retournement d’un certain nombre d’indicateurs- ses faiblesses majeures pour accéder au statut de pays émergent sont d’ordre institutionnel et socio-humain comme l’attestent les classements du Maroc dans les indices afférents à ces volets.

L’analyse benchmarking ( qui a concerné les pays suivants : Brésil, Chili, Chine, Ghana, Mexique, Nigéria, Pologne, Roumanie, Russie, Afrique du Sud et Turquie), fait ressortir de bonnes pratiques qui pourraient inspirer des politiques publiques au Maroc. C’est le cas des succès que la Turquie réalise en ce qui concerne la qualité de ses infrastructures et de son marché financier, ainsi que le défi qu’elle s’impose de l’adhésion à l’Europe. C’est le cas aussi de la Roumanie en matière de sa gestion des équilibres macroéconomiques ; de la Pologne en matière d’éducation et de politique fiscale et de l’Afrique du sud qui réussit en matière de montée technologique de son économie et de modernité de son cadre institutionnel et de son système juridique de protection des investisseurs.

Le cas, incontournable, de la Chine, est instructif particulièrement en matière de pouvoir central fort, allié à une gestion des spécificités locales ancestrales ; la grande efficacité d’exécution ; la sophistication croissante de l’économie et la montée en puissance en innovation. La Chine pourrait inspirer, également, en matière de gestion des relations avec sa forte diaspora et son succès à freiner la fuite des cerveaux à l’étranger.

Le Chili dispose d’une politique commerciale extérieure « customer-oriented » performante, grâce à la conclusion de nombreux accords de libre-échange et au partenariat fécond entre université et entreprise. Sa gestion budgétaire, son excellent environnement des affaires et sa politique souple des changes peuvent également inspirer.

Le Brésil, devenue la 6ème économie mondiale, réussit dans le domaine de l’éducation rurale, la résorption de la pauvreté, l’attraction des IDE et la promotion de l’innovation. Son talon d’Achille reste néanmoins la corruption.

La Malaisie constitue un véritable modèle d’émergence en Asie, malgré ses handicaps géographiques. Ses résultats impressionnent en matière de synthèse politico-culturelle favorable au développement et surtout d’efficacité en matière de mise en œuvre des politiques publiques et de facilitation des affaires. Sa combinaison d’approche structurelle (réforme de l’Etat), sectorielle et territoriale, avec la fixation de 5 zones de développement autour de secteurs prioritaires pour favoriser le développement régional et attirer les IDE, est originale. Ses succès en matière de lutte contre la corruption, d’amélioration de l’éducation, d’éradication de la pauvreté, d’amélioration des infrastructures rurales de base et des infrastructures urbaines de transport, en font un véritable modèle d’émergence.

  1. Quelques pistes pour accélérer l’émergence du Maroc

Pays à revenu intermédiaire, le Maroc dispose d’un capital immatériel, important susceptible d’être mobilisé, qui représente les trois quarts de sa richesse globale, ce qui peut lui permettre d’accélérer son émergence. Par habitant, le Maroc dispose dans ce domaine d’un positionnement mondial intéressant (76 en 2005 selon l’IRES), bien meilleur que celui qu’occupe le pays en termes de PIB par habitant PPA (118 en 2005 et 112 en 2013). Ce constat incite à changer de paradigme de développement comme préalable à l’accélération du processus d’émergence, étant donné que la problématique semble être bien plus institutionnelle et humaine, que de disponibilité de ressources.

3.1. Adopter un nouveau paradigme de développement, qui devrait constituer autant une rupture avec le passé qu’une continuité avec les bases historiques qui cimentent la nation marocaine et qui se baserait sur trois fondements :

  • une sociologie du pouvoir modernisée moyennant un pouvoir marocain ferme, ouvert et entretenant l’espoir et l’ascension sociale sur la base d’un consensus politique national sur l’essentiel. Le pouvoir devrait améliorer son efficience et accélérer les cadences des réalisations. Le temps politique (Nombre de partis politiques ; Elites rajeunies et renouvelées), devrait être synchronisé avec le temps économique (Administration/ Congés excessifs/ Productivité) et le temps social (Excès de religiosité « superficielle » ; Esprit de civisme et de responsabilité ; Qualité ; Solidarités ; Respect des droits humains, des libertés individuelles et des identités ; Régions solidaires et mobilisées). Il s’agit d’entreprendre le faisceau de réformes structurelles nécessaires, dans le sillage de la régionalisation avancée, en décrétant un choc de simplification et en adoptant des approches mobilisatrices pour un impact rapide et pour accélérer le rythme et l’efficience d’exécution. La communication nationale devrait être forte pour faire adhérer les populations et les mobiliser et pour soutenir «la marque Maroc » à l’étranger.
  • un milieu d’affaires marocain régénérédynamique, inclusif et basé sur de nouveaux moteurs et acteurs. Il est nécessaire de réussir le virage économique de l’économie des rentes vers l’économie du mérite et de la transparence, d’assurer la complémentarité synergique entre le secteur public et privé et d’ériger le partage comme norme de fonctionnement pour créer une base sociale solide, tolérante, cimentée par une classe moyenne large et ouverte.
  • Un positionnement rééquilibré vis-à-vis de la mondialisation et dans la région eurafricaine.

Les politiques publiques rénovées, devraient concerner les six volets de l’émergence que sont l’institutionnel et la gouvernance, le socio-humain, la croissance, la durabilité, le développement territorial et le positionnement géostratégique. Nous les passerons en revue, en nous basant notamment sur des données recueillies dans des publications de l’IRES.

3.2. Axe institutionnel et de gouvernance : assurer une meilleure visibilité démocratique et l’efficience des politiques publiques 

Les cinq composantes de la gouvernance à gérer de manière démocratique et intégrée pour accélérer le processus d’émergence sont :

– la gouvernance économique qui comprend l’ensemble des mesures visant une croissance économique durable, avec un impact réel sur la réduction de la pauvreté par un bon cadre macro-économique ; la mise en place d’un bon système d’information ; l’amélioration de la mobilisation et programmation des ressources publiques ; et une bonne mise en œuvre des politiques sectorielles.

– la gouvernance sociale a comme rôle principal l’élaboration et la mise en œuvre d’un cadre favorable de dialogue entre le gouvernement, la société civile, le secteur privé, les syndicats, les médias…, et la définition du rôle de chacun dans le processus de décision.

–  la gouvernance institutionnelle a pour objectif une meilleure qualité des services publics par la réorganisation des administrations centrales et décentralisées ; l’amélioration des capacités de l’Administration Publique ; l’évaluation des politiques publiques et leur amélioration et modernisation ; l’amélioration et modernisation de la gestion des ressources humaines ; et la promotion de « l’approche client » en conformité avec les besoins des usagers et leurs préoccupations.

–  la gouvernance politique et locale vise à encourager la démocratie plurielle, reflétée par un Parlement avec les capacités des structures institutionnelles renforcées et à fournir le support nécessaire au processus de décentralisation, par le renforcement des capacités organisationnelles et institutionnelles des administrations locales et l’amélioration de leurs capacités de gestion.

–  la gouvernance juridique et judiciaire comprend l’élaboration et la mise en œuvre d’un cadre légal en conformité avec les objectifs du développement économique et social, les traités signés par le gouvernement avec les différents partenaires ; et l’amélioration du fonctionnement des institutions du système judiciaire, afin de promouvoir l’Etat de droit, la justice de proximité efficace et impartiale, et d’améliorer l’environnement des affaires.

Le volet « institutionnel » consiste en l’existence d’un Etat efficace et respectant les principes de bonne gouvernance, de justice et de transparence (« la bonne gouvernance est la clé de réussite de toute réforme » selon le Discours Royal du 20 août 2014). La visibilité du Maroc à l’international en matière de développement démocratique et de respect des droits humains, souffre toujours, notamment de l’efficience de l’Administration ainsi que de l’application des politiques publiques.

  • Renforcer la sécurité extérieure et intérieure et démocratiser davantage ce domaine :

La Constitution de 2011 a apporté beaucoup d’améliorations, qui doivent être rapidement et correctement mis en œuvre. Parmi ces actions, on retiendra l’activation du Conseil national de sécurité et la capitalisation sur l’expérience du Bureau Central des Investigations Judiciaires qui a été créé pour consolider la sécurité globale et la lutte contre le terrorisme, auquel le Maroc est exposé en raison des choix de société, axés sur l’ouverture et la promotion d’un Islam modéré et tolérant.

Le sentiment d’insécurité intérieure devrait être consolidé par l’augmentation du nombre de policiers mieux formés et par l’amélioration des conditions de la population carcérale nombreuse.

La sécurité routière est à maîtriser davantage, car elle constitue, notamment, un facteur d’appel au tourisme international.

Il convient aussi, de faire des dépenses militaires, justifiées du reste, étant donné l’impératif de l’intégrité territoriale nationale, un nouveau moteur de croissance et un intégrateur du tissu industriel en attirant de partenaires industriels internationaux.

L’application des Directives Royales véhiculées par la Lettre adressée aux ambassadeurs le 30 août 2013 peut assurer un saut qualitatif, qui est lié en grande partie à la qualité des hommes chargés de déployer cette diplomatie.  Il est nécessaire de mobiliser nos atouts de manière optimale, en assurant un équilibre d’alignement tant avec les grandes puissances, qu’avec les puissances régionales ; en se repositionnant sur l’échiquier africain par une refonte des relations avec les principales puissances du continent : Afrique du Sud, Nigéria, Egypte et Ethiopie, notamment. Le «soft power» marocain, la diplomatie économique et l’intelligence économique sont à déployer efficacement.

Traiter sérieusement les griefs communautaires internes et vis-à-vis des immigrés, la fuite des cerveaux et les inégalités de développement économique, constituent également des impératifs de l’émergence.

  • Faire faire un saut qualitatif au système de gouvernance :

L’application avec célérité des stipulations de la Constitution de 2011, pourrait consolider le capital institutionnel du Pays et rendre plus perceptible le développement démocratique du Maroc, dont le classement mondial a reculé et stagné (116ème rang mondial en 2014).

Améliorer le positionnement international du Maroc au titre de l’indice de l’Etat de droit qui est en recul et en dégradation, ne peut intervenir tant que la réforme de la justice n’est pas consolidée et le renforcement de la confiance institutionnelle réalisé.

L’efficacité du gouvernement doit être améliorée par la qualité et l’efficience du service public, elle-même liée à l’harmonie des gouvernements, qui devraient être plus ramassés, et de la cohésion des programmes mis en application (Plans sectoriels).

Le pays devrait disposer d’un système de planification, qui traduit et complète le plan politique gouvernemental exposé devant le parlement, apte à assurer l’harmonie et le suivi judicieux des programmes de développement. Elle s’impose d’autant en contexte nouveau de régionalisation avancée. Aussi, tous les pays émergents disposent-ils d’une planification, c’est-à-dire une vision stratégique sur le long terme, avec des objectifs à court et moyen termes et des évaluations périodiques des étapes parcourues et des performances réalisées.

La planification peut aider à contrer le recul observé en matière de qualité de la réglementation, malgré les réformes en faveur du développement du secteur privé.

Le positionnement mondial modeste en matière d’expression et de liberté de la presse et d’association leste beaucoup le pays. En plus des réformes à accélérer, la mauvaise communication au sujet de certaines décisions contre des journalistes ou journaux ou associations et les relations avec des associations internationales, ainsi que l’agressivité orientée des ennemis du Maroc, sont à gérer de près.

Le niveau de couverture du territoire national par les services publics d’éducation, de santé, d’accès à l’eau potable, à l’énergie et aux transports, même légèrement supérieur à la moyenne des BRIC, devrait être amélioré en milieu rural et dans les zones à accès difficile.

Concernant la Corruption, et malgré l’amélioration relative entre 1998 et 2014 du positionnement international du Maroc au titre de l’indice de perception de la corruption, le Maroc reste entaché par ce phénomène[1] qui affecte la confiance des citoyens et le climat des affaires. Le ciblage de la seule « petite » corruption devrait être revu. La récente avancée avec la mise en œuvre de la stratégie nationale va certainement améliorer le traitement de ce problème endémique.

  • Gérer au près les mutations et défis de l’immigration et de l’émigration :

Malgré le taux réduit de migrants internationaux en pourcentage de la population de 0.15% en 2014, le passage d’une situation de pays de transit à celle de pays de résidence, contribue à l’augmentation du nombre de migrants internationaux au Maroc et à la diffusion de bienfaits certains (attraits d’étudiants et de talents), mais aussi de défis liés à l’immigration économique qui domine et aux risques sécuritaires concomitants. Le Maroc, se doit, dans le sillage de la politique récemment entreprise, de traiter de manière profonde cette question.

La politique vis-à-vis de la communauté marocaine à l’étranger, se doit de connaitre un saut qualitatif dans le sillage des mutations que connait l’Europe. Il y va de la sauvegarde des transferts (7.5% du PIB en moyenne 2005-2014) comme source importante de financement de l’économie marocaine et de l’activation de la diaspora politique, de recherche et d’hommes d’affaires insuffisamment mobilisées.

3.3. Axe socio-humain : réussir un système éducatif performant et une meilleure inclusion sociale 

Si la mise en place d’institutions de régulation et de contrôle, répondant aux normes universelles est nécessaire, elle parait relativement plus facile à entreprendre, étant donné que la Constitution constitue une avancée certaine, la difficulté concerne le modèle social à appliquer. Car, il est admis qu’il ne sert à rien d’améliorer le rythme de la croissance économique, si celle-ci ne s’accompagne pas d’une baisse des inégalités. A ce propos, et en se référant  au résultat de simulations réalisées par le HCP, que lorsqu’on baisse de 1% le taux des inégalités, la pauvreté se réduit deux fois plus que si la croissance augmentait de 1%. Plus clairement, la réduction des inégalités a plus d’impact positif sur la pauvreté que la croissance, toutes choses étant égales par ailleurs.

La grande inégalité contre laquelle il faut lutter, c’est l’inégalité des chances. Par conséquent, au lieu de distribuer des subsides, il importe de doter le pays des institutions et des équipements nécessaires pour que les citoyens, hommes et femmes, urbains et ruraux, puissent accéder de manière égale au savoir, à l’avoir et au pouvoir (Lahlimi, A). C’est cette égalité des chances qui est la base de la cohésion sociale. L’INDH (Initiative nationale pour le développement humain) est l’exemple d’action à même d’aider les populations éligibles à se prendre en charge par elles-mêmes, par des activités génératrices de revenus, et ainsi améliorer leur vécu. Il faudrait en améliorer la gestion, l’évaluation, et le contenu des projets afin de relever davantage le niveau de l’initiative.

  • Rehausser le niveau de développement humain

L’indice de développement humain, constitue le talon d’Achille du Maroc. Avec 0,617 en 2013 et malgré une amélioration durant la dernière décennie, le score du Maroc reste principalement affecté par les mauvaises performances en matière d’éducation, de politiques publiques en faveur des jeunes et des personnes âgées, et de la persistance de discriminations de genre.

  • Opérer une profonde réhabilitation du secteur éducatif général et professionnel :

Les dépenses publiques en éducation (avec 5.15%du PIB en 2013) sont élevées, mais sont assorties d’un rendement insuffisant au regard du taux élevé de déperdition scolaire et de la dégradation de la qualité du système éducatif. Mais par habitant, ces dépenses sont modérées et en recul : 20,4% du PIB en 2013 contre 25,7 en 1998.

Ceci étant, la qualité du système éducatif national laisse à désirer comme en témoignent la majorité des indicateurs. On a certes réussi une quasi-généralisation de l’enseignement primaire (99.2% en 2013), mais la forte déperdition persiste (seulement 58.1% au collège et 32.1% au lycée). La faible scolarisation professionnelle secondaire avec seulement 6.1% de la population concernée en 2012 continue. Le taux d’abandon scolaire ressort en baisse dans le temps à 10.7% en 2013 pour le primaire et 14.1% pour le collégial, reste néanmoins fort. C’est le cas aussi du taux d’alphabétisation des adultes qui s’est sensiblement améliorée où le poids du rural et des femmes reste encore élevé.

La réforme du secteur éducatif, nécessite une méthodologie rénovée et une volonté politique claire, qui évacue les fausses querelles politiciennes qui bloquent. Se débarrasser du problème en le rejetant aux régions ne pourrait qu’aggraver la situation et hypothéquer davantage l’avenir du pays. La problématique des ressources humaines du secteur de l’enseignement devrait être traitée en profondeur et en priorité.

  • Vaincre le système générateur des inégalités et de la pauvreté :

Le régime de croissance de l’économie marocaine génère des inégalités et est faiblement créateur d’emplois. Malgré les politiques sociales menées en matière de développement humain, l’indice de GINI est demeuré défavorable et stable au cours des deux dernières décennies. Le taux de pauvreté relative, malgré sa baisse (6.2% en 2011 contre 19% en 1999) témoigne de la ténacité des inégalités en matière d’emplois et d’accès aux services publics essentiels, notamment en milieu rural.

  • Traiter en profondeur le stress hydrique et les risques climatiques et faire de l’économie verte un moteur de croissance inclusive :

Le  classement favorable du Maroc au titre de l’indice de performance en matière de lutte contre le changement climatique, et son engagement dans le solaire et l’organisation en 2016 de la COP 22, constituent un avantage concurrentiel que le Maroc devrait exploiter pour faire du secteur de l’économie verte un moteur de croissance économique et de résorption des inégalités sociales et régionales.

Mais le Maroc doit traiter sérieusement le stress hydrique et les risques climatiques et les catastrophes naturelles. Le pays est considéré parmi les pays les plus menacés par le stress hydrique (33ème place sur 176 pays en 2013), en raison d’une demande en eau croissante, couplée à une baisse des apports hydriques.

Une grande mobilisation nationale autour d’un programme d’infrastructures de transferts des eaux de la région Nord vers les régions du Sud et de l’Est devrait être étudiée. De même qu’urge une politique draconienne d’utilisation rationnelle des eaux notamment, dans l’agriculture, de rétention des eaux pluviales et de construction de plus de grands et petits barrages.

 

  • Préserver durablement les ressources naturelles et stratégiques :
  • Le Plan vert devrait faire de l’autonomie alimentaireun axe stratégique pour contrecarrer l’accentuation de la dépendance en céréales, huiles végétales sucre et autres denrées de base, que l’ouverture des frontières risque d’accentuer davantage.
  • La dépendance énergétique(96%), est un risque à traiter en rehaussant l’ambition nationale en matière d’énergies renouvelables. La recherche scientifique devrait être développée dans ce domaine pour produire des technologies nationales.
  • Préserver le capital naturel: la dégradation environnementale coûte cher au Pays (4% du PIB selon la Banque Mondiale en 2000), soumet la biodiversité à de fortes tensions et réduit la disponibilité des ressources exploitables (Eaux, forêts, terres arables…).

3.3. Axe géo-économie internationale et régionale : compétitivité et attractivité pour lutter contre la faiblesse et la volatilité de la croissance

Le volet positionnement géostratégique consiste à améliorer durablement la compétitivité-attractivité du pays, pour rendre possible le rééquilibrage de la stratégie nationale eu égard à la mondialisation, conformément à la tendance en cours de dé-mondialisation et de retour des frontières nationales. Il consiste aussi, à rééquilibrer le partenariat avec les puissances étrangères, notamment l’Union Européenne, avec qui doit se discuter sur de nouvelles bases l’ALECA (Accord de libre-échange Elargi). Il consiste, enfin, en la consolidation du partenariat avec l’Afrique subsaharienne sur la base de la co-émergence qui retient l’attention des subsahariens.

Ce repositionnement est tributaire d’une vigueur sans précédent à insuffler au secteur privé marocain, d’une diplomatie politique et économique revigorée, d’une mobilisation des atouts nationaux au Maroc et à l’étranger, notamment la diaspora, et une politique efficiente de promotion du Pays et d’attrait des étudiants, des talents et des investisseurs.

  • Repositionner le Maroc dans le nouvel ordre mondial et régional :
  • Rehausser la part détenue par le Maroc sur le marché mondial, qui reste très modérée d’à peine 0,12% et en stagnation durable, et ce, malgré la forte ouverture du Pays. Cette situation est à revoir par :

. Une correction du taux d’ouverture de l’économie nationale en opérant une réévaluation des accords signés et une réorientation vers des partenariats plus globaux et non plus commerciaux uniquement. De nouveaux partenaires sont à mobiliser autour de cette nouvelle philosophie (Afrique subsaharienne, Pays du Golfe arabe, Russie, Inde, Chine, Brésil).

. Une action structurelle sur le déficit commercial qui pèse 11% en moyenne du PIB, par l’action en profondeur sur l’offre marocaine et sur la compétitivité des produits et services. Le développement industriel, le développement de services à haute valeur ajoutée et l’harmonisation des plans sectoriels, peuvent aider dans ce sens.

. Une poursuite de l’effort de facilitation du commerce : Dans ce cadre, il convient de débloquer la stratégie logistique nationale, dont le lancement avait induit un gain de 44 places par le Maroc dans le classement mondial de la performance logistique de la BM entre 2007 et 2014 et de redoter le pays d’une flotte commerciale maritime suffisante..

. Garantir les investissements et sécuriser leur profitabilité pour pérenniser l’attraction des investissements étrangers par le Maroc, reflétant les réformes entreprises par le pays, notamment le lancement de plusieurs stratégies sectorielles et l’amélioration du climat général des affaires : 4.1%du PIB en 2014 contre 1.3 % en 2000. Un « Small Business act » marocain est requis.

. Sécuriser les sources d’entrée des devises pour éviter le seuil d’alerte de 5 mois d’importations atteint en 2014 et l’alourdissement des besoins de financement externe et partant le déclenchement de la spirale d’endettement

La politique de change devrait être assouplie et la visibilité clarifiée au sujet de la libéralisation totale des capitaux et la convertibilité du dirham.

  • Poursuivre et approfondir la dynamique d’amélioration de la compétitivité/attractivité du Maroc : une grande attention devrait être réservée au respect des libertés économiques, à l’indice de marque dans lesquels le Maroc se classe mal ou recule.

Il doit continuer à améliorer ses autres classements qui restent au niveau intermédiaire : 72ème position WEF en 2014 ; 71ème en 2014 au titre de l’indice BM « Doing Business », contre 117è en 2004 ; amélioration notable du positionnement international du Maroc au titre de l’indice « Best countries for business » de Forbes.  C’est le cas aussi de la bonne attractivité touristique qui conforte le statut de destination touristique de choix au niveau africain et sud-méditerranéen. Et son classement exceptionnel au titre de la qualité de l’accueil réservé aux touristes étrangers, traduisant l’hospitalité de la population marocaine : 3ème en 2013 contre 90 en 2008.

  • Gestion active des équilibres macroéconomiques :

Les priorités résident dans le relèvement du niveau de la croissance et sa stabilisation, autour de nouveaux moteurs, et moyennant une logique d’écosystèmes et d’acteurs, la mise sur pied d’un programme intégré de lutte contre le chômage, la dynamisation du secteur bancaire, l’ouverture du secteur financier, le contrôle plus strict de l’endettement intérieur du Trésor et l’harmonisation de la politique budgétaire et monétaire.

. Adopter une logique d’écosystèmes et d’acteurs pour accélérer la croissance : Au cours des dix dernières années, le taux de croissance moyen annuel s’est établi à près de 4,5%, contre 3.5% pour la décennie précédente. Toutefois, le régime de croissance de l’économie marocaine demeure caractérisé par de faibles créations d’emplois et génère encore des inégalités sociales. Ce taux demeure inférieur à celui réalisé par les émergents. Un retournement de tendance est également perceptible depuis 2008. Une volatilité plus grande par rapport aux émergents est enregistrée.

La croissance plus forte et plus stable nécessite la mobilisation de nouveaux moteurs de croissance dont l’économie maritime intégrée (tourisme, logistique, BTP, industries, tourisme, pêche ; l’économie verte intégrée ; l’économie du savoir et de l’immatériel ; l’économie solidaire socialement et territorialement).

La mobilisation des acteurs, grands groupes, PME et TPE dans la logique des écosystèmes pourrait activer le rythme de l’investissement.

. Mettre en œuvre un programme urgent et d’envergure pour lutter contre le chômage : le chômage structurel et touchant surtout les jeunes urbains diplômés et de sexe féminin, appelle une vigilance accrue et des actions urgentes, qui mettent l’ensemble des composantes du capital humain au centre de l’action publique, qui visent le rehaussement de l’économie et de sa compétitivité et la captation par les entreprises nationales des opportunités offertes par les politiques sectorielles, les programmes et les projets structurants, qui mobilisent les potentialités des régions et qui intègrent l’économie de l’informel. La réussite d’une telle orientation passe par le développement d’une nouvelle politique d’activation de l’emploi, une nouvelle génération de dialogue civil et social basé sur la confiance, un élargissement du dispositif de protection sociale et une approche régionale et intégrée des politiques publiques. Il s’agit de :

– Reformer les politiques actives de l’emploi en mettant l’humain au centre de l’action ;

– Intégrer et harmoniser les politiques sectorielles et les programmes structurants ;

– Activer l’approche régionale selon la vocation des territoires et via des services de proximité ;

– Développer l’offset préconisé par le Plan d’accélération industrielle ;

– Appliquer la préférence nationale en matière de commande publique et privée en faveur de l’entreprise nationale ;

– Intégrer l’informel moyennant des incitations fiscales et sociales ;

– Encourager l’économie sociale et solidaire ;

– Une gouvernance plus efficiente de l’intermédiation du travail.

  • Mobiliser le surplus financier du pays :

Le financement de l’économie appelle une mobilisation de l’épargne nationale et du secteur financier. IL importe de :

. Soutenir le taux d’investissement élevé (29.6% en 2014), relever son rendement insuffisant comme en témoigne la baisse tendancielle du rapport taux de croissance/taux d’investissement et inciter l’investissement privé.

. Encourager l’épargne nationale dont le niveau augmenté durant les dernières années mais reste en deçà des besoins de financement de l’économie. Le gap à combler est de l’ordre de 6% du PIB en 2014.L’offre de services pour le privé devrait être élargie.

. Sécuriser davantage le système bancaire et l’inciter à prendre plus de risque en faveur de l’économie et le préparer à l’ouverture. La gouvernance du système financier a connu des améliorations notables grâce aux multiples réformes menées depuis le début des années 1990. Elle favorise aujourd’hui l’internationalisation des banques marocaines qui doit s’approfondir moyennant les sûretés nécessaires. Agir pour attirer efficacement la finance «islamique» mondiale et pour améliorer le taux de bancarisation est recommandé.

. Sortir la bourse de sa torpeur en assurant une ouverture, une transparence et des encouragements à l’entrée et à la liquidité du marché. Le recul enregistré ces dernières années se traduit par un recul du classement mondial du Maroc et une menace pour l’ambition du Maroc de se positionner en tant que hub financier et économique régional et la consolidation de la place financière de Casablanca, 2ème centre financier africain.

  • Réussir le développement territorial du pays :

Le déploiement d’une politique rationnelle d’urbanisation, en limitant la mainmise de la spéculation, la réussite du programme des villes sans bidonvilles, l’équipement équilibré du territoire et l’amélioration de la gouvernance urbaine.

Le succès de l’implantation de la régionalisation avancée est un défi majeur autour du redéploiement des ressources, la création de pôles de compétitivité régionaux adaptés aux conditions locales, en mobilisant autour tous les acteurs et les ressources locales.

  • Insérer le Maroc dans l’économie mondiale du savoir et l’ériger en hub régional eurafricain en matière d’enseignement supérieur et de recherche :

C’est un des défis majeurs de l’émergence marocaine.  Cette insertion requiert une construction systémique autour du noyau central de l’enseignement supérieur. Comme celui-ci devrait être réorganisé autour d’une logique de hub eurafricain de recherche scientifique et d’innovation, au sujet duquel l’IRES a réalisé une étude qui a proposé les recommandations principales suivantes :

  • Réhabiliter le système de l’enseignement supérieur et en faire le noyau central du hub régional.
  • Construire le hub régional sur la base de trois plateformes d’excellence en l’occurrence la « plateforme sciences et technologies », la « plateforme sciences humaines et sociales » et la « plateforme économie et entreprise ». Chacune de ces plateformes est construite autour de pôles d’excellences. Ces plateformes devraient être intégrées dans des régions marocaines dotées des avantages compétitifs requis pour leur développement, tout en veillant à leur ancrage dans des chaines de valeurs régionales et/ou mondiales.
  • Réaliser un saut qualitatif important du système d’enseignement supérieur pour le mettre en phase avec les exigences de transition vers l’économie immatérielle. 
  • Réviser le statut du personnel de l’enseignement supérieur et mobiliser la diaspora et attirer à grande échelle les talents, chercheurs et entrepreneurs étrangers particulièrement eurafricains.
  • Promouvoir à large échelle la culture de l’innovation et de l’entrepreneuriat. 
  • Renforcer les sources de financement dédiées à la recherche scientifique et à l’innovation.
  • Faire de la recherche scientifique et de l’innovation un item central des accords de coopération du Maroc avec les partenaires étrangers. 
  • Instituer un poste de haut rang au niveau de la diplomatie marocaine en charge de la science, de la technologie et de l’innovation. 

Conclusion

ahmed azirar 220-184BONL’accélération de l’émergence du Maroc, requiert de tous les acteurs de changer de rythme d’exécution, de contenu de la stratégie du développement, d’envergure spatiale et temporelle et de méthode d’action. Il s’agit de quatre aspects à gérer finement de manière harmonieuse : le temps ; l’espace ; la manière ; et le contenu du modèle d’accélération de l’émergence, à travers cinq Dimensions : Droit ; Développement ; Dynamisme ; Durabilité et Décentralisation.

Ahmed AZIRAR

(Economiste) 28 mai 2016

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