Qu’est-ce que le beau ?

fameuse Cité interdite, sort de ses chambres et découvre une cour resplendissante de couleurs. La caméra fait un panoramique menant de l’objet regardé au sujet regardant ; celui-ci l’enfant empereur, ébloui s’exclame: «c’est beau !».

Cette réaction est quasiment synchrone avec celle du spectateur. Le geste de l’enfant anticipe celui du spectateur, enfant en quelque sorte ébloui dans et par le dispositif cinématographique. L’expression « c’est beau » est ainsi concomitante à une situation, à un échange de sensations. Mais est-ce pour autant une définition du « beau ». Si dans le plan de Bertolucci certaines normes, établies notamment par l’esthétiques classique, cohérence et cohésion, harmonie et  régularité…, permettent une forme de consensus qui transcende les frontières pour réunir autour de la beauté des regards d’horizons différents, il y a cependant d’autres situations où l’on aboutit à une appréciation du beau pour quelque chose de pénible, ou d’horrible : un tableau, un morceau de musique ou un poème. Les étudiants de lettes ont tous le souvenir du poème de Charles Baudelaire, Une charogne qui fait marier dans la même strophe des images opposées et qui ne daignent pas décrire les images de l’horreur : « rappelez-vous l’objet que nous vîmes mon âme. Ce beau matin d’été si doux : Au détour d’un sentier une charogne infâme. Sur un lit semé de cailloux». Ici, aussi, on a envie de retrouver l’exclamation de l’enfant de Bertolucci : «c’est beau» ! On peut alors signifier une première approche de la définition : le beau ce n’est pas la représentation d’une belle chose mais une belle représentation d’une chose. Kant apporte une précision de taille, c’est celle de l’intérêt en jeu ; le beau, l’appréciation  de la beauté sont en principe au-dessus des intérêts immédiats : «le goût est la faculté de juger d’un objet ou d’un mode de représentation par une satisfaction dégagée de tout intérêt. L’objet d’une semblable satisfaction s’appelle beau».
C’est la satisfaction que nous ressentons devant un plan de cinéma, un paysage… nonobstant son ancrage identitaire (le pays, la culture…).
Si donc on peut parler d’un côté de l’universalité du beau, il s’agit aussi de poser sa relativité. C’est ce qui fut le combat de Voltaire dans le cadre de son projet de défendre la tolérance. Il opta pour la fable et l’humour pour signifier la relativité des jugements : «demandez à un crapaud ce qu’est la Beauté, le beau… il vous répondra que c’est sa femelle avec deux gros yeux ronds sortant de sa petite tête, une gueule large et plate, un ventre, un dos brun… Interrogez le diable, il vous dira que le beau est une paire de cornes, quatre griffes et une queue». Une leçon de relativité que Voltaire développe  à partir de l’empirique ; à travers des exemples «triviaux» il nous amène à la notion fondamentale du point de vue. 
Il me semble que c’est une leçon qui continue d’être d’actualité.
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