A si Mohamed Chafik
C’est une année, 2966, mémorable qui commence pour la culture et la langue amazighes. Fêté avec faste, dans la joie et la communion nationale, le jour de l’an amazigh de cette année est en passe de constituer une page historique dans le devenir de cette composante essentielle de la civilisation marocaine. Les fêtes de cette année ont suscité un intérêt particulier touchant et impliquant de larges franges de la population.
La forme et le contenu de ces festivités sont tout aussi éloquents. A Tiznit comme à Agadir, idh ynnayer a été fêté dans une dimension interculturelle qui dit la richesse et l’authenticité des formes et des expressions de l’art marocains. Des chanteurs hassanis notamment ont brillé par des chants bilingues voire parfois trilingues, disant leur fierté de participer à cette fête de la nation marocaine unie dans sa diversité et diverse dans son unité.
Et comme pour donner à ces festivités une dimension studieuse, la primature a publié un communiqué invitant les acteurs de la société civile à envoyer leur contribution au débat national qui sera lancé pour préparer les textes de la mise en application du caractère officiel de la langue amazighe. Préparer en somme le pays et ses différentes institutions à être conforme au texte fondamental du pays. Une mesure longtemps attendue, depuis l’adoption de la Constitution de 2011 et qui a fini par arriver au bon moment comme un cadeau du nouvel an. Maintenant, il s’agit de se mettre au travail. Et le mouvement culturel amazigh saura être au rendez-vous de cet appel historique. Il le sera d’autant plus qu’il est suffisamment outillé, sur le plan théorique et pratique, pour apporter des contributions pertinentes et opportunes. L’enjeu est important ; il relève de l’acte fondateur. Il faut réussir ce tournant. C’est l’émergence d’un nouveau Maroc, enfin réconcilié avec lui-même, avec sa géographie et son histoire.
La synthèse des propositions ouvrira le pays sur de nouvelles perspectives bénéfiques pour le parachèvement de l’édifice démocratique.
Un débat public devrait accompagner ce processus. Pour, par exemple mettre en avant certaines revendications et participer à leur explication et à les partager avec l’ensemble de l’opinion publique.
L’une de ses mesures urgentes qui sont en passe de gagner un large consensus est celle de l’inscription du jour l’an amazigh comme fête officielle pour tout le pays ; rejoignant ainsi le 1er Moharrem et le 1er janvier. Une mesure à forte charge symbolique qui rétablira un réajustement dans les relations sociales qui répond à l’histoire. Une mesure d’autant plus salutaire que son adoption incitera l’administration à ouvrir enfin un débat serein sur la composition du calendrier des fêtes officielles.
L’ouverture sur l’amazighité sera l’occasion de mettre un peu de rationalité dans la détermination des jours fériés en répondant à deux paramètres essentiels : la sauvegarde des acquis sociaux des salariés et des employés tout en rationalisant le rapport au temps : il y a certaines commémorations qui ne demandent pas un jour férié mais au contraire de se retrouver dans son lieu d’activités pour des actions de sensibilisation et de mobilisation.
L’autre débat essentiel est celui de la visibilité de l’amazighe dans l’espace public. Une initiative devrait citée –et saluée d’emblée- celle de l’autoroute du Maroc avec les panneaux de signalisation sur le tronçon reliant Berrechid à Khouribga où les indications alternent les trois langues du pays, l’amazighe, l’arabe et le français.
On attend maintenant la présence sur tous les documents officiels émis par l’administration à commencer par la carte d’identité nationale, le permis de conduire, les billets de banque, le papier à entête…bref déclencher un écosystème susceptible de favoriser un climat de sécurité symbolique qui trancherait avec le paradigme de domination qui pesait sur le commerce des langues dans notre pays.
Pour les frileux qui se soucient de l’unité du pays nous rappelons que la langue unique n’a jamais été un facteur d’unité politique : la Somalie n’existe plus en tant que nation malgré l’unité linguistique ; la Suisse compte quatre langues officielles et l’Inde en compte douze. En fait, le blocage est de nature idéologique, les partisans d’une langue unique restent enfermés dans un référentiel mythologique. Le pluralisme n’est pas un facteur de division ; il est un signe de richesse et exprime le degré de démocratisation et d’ouverture d’un système.
Mohammed Bakrim