«Raconter un drame, c’est en oublier un autre»
(Paul Ricœur)
La célébration du 75e anniversaire du sinistre événement de la rafle du Vél d’Hiv (déportation des juifs français en 1942) a révélé une autre facette du président français. Emmanuel Macron s’est révélé en effet un mauvais élève, sinon un piètre disciple du maître auquel il se réfère et qui l’a initié, dit-il, à la politique, à savoir l’éminent philosophe Paul Ricœur.
Intervenant à l’occasion de cette page sombre de l’Histoire française et emporté sans doute par l’empathie à l’égard de son nouvel ami, le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, qu’il appelle affectueusement «Bibi», le nouveau locataire de l’Elysée s’est livré à un périlleux exercice de réécriture de l’Histoire, affirmant que «nous ne céderons rien à l’antisionisme car il est LA FORME (sic) réinventée de l’antisémitisme».
En balayant d’un geste politicien, dans ce qui est considéré comme un cadeau gratuit à son ami, tout un héritage historique de la pensée politique contemporaine, il oublie que son maître à penser, Paul Ricœur, dans son ouvrage majeur, «La Mémoire, l’Histoire, l’Oubli» (1999), réfléchissant sur le travail de mémoire, distinguait entre la mémoire travaillée par l’historien et la mémoire occultée et manipulée par le politique. «Je reste, écrit-il, troublé par l’inquiétant spectacle que donnent le trop de mémoire ici, le trop d’oubli ailleurs, pour ne rien dire de l’influence des commémorations et des abus de mémoire et d’oubli ». Et en l’espèce, nous sommes en face d’un abus de mémoire et devant un flagrant délit d’oubli : le peuple palestinien et sa cause nationale.
En rappelant la responsabilité de la France dans la rafle du Vél d’Hiv, déjà initiée par l’ancien président Chirac, Macron aurait pu prolonger ce retour de conscience en rappelant la responsabilité de son pays dans la tragédie du Moyen orient avec, notamment, les différents accords qui ont démantelé le monde arabe, mis sur la route de l’exil des millions de palestiniens et semé les graines d’une guerre sans fin dans une région cruciale du monde.
Il a préféré par contre verser dans l’amalgame en procédant à un parallèle historique qui n’a pas lieu d’être. Pourquoi faire payer aux Palestiniens une position qui n’est pas la leur, les impliquer dans un drame (l’antisémitisme) propre à la France et à l’Europe ?
Dénigrer la lutte du peuple palestinien et de l’ensemble des partisans de la paix et d’une solution juste au Moyen orient, redorer le blason d’un Premier ministre israélien reconnu comme le politicien le plus belliciste de l’Histoire d’Israël, c’est verser non seulement dans la démagogie mais commettre «une erreur politique», comme l’écrit l’historien français Dominique Vidal.
Cette nouvelle sortie «macronienne» n’a rien d’un dérapage sémantique ; elle s’inscrit dans une série de déclarations et d’attitudes politiques et diplomatiques qui indiquent que nous sommes dans une phase délicate de la lutte du peuple palestinien. Elle nécessite vigilance et mobilisation de la part des partisans des droits légitimes du peuple palestinien et de la paix dans le monde.