Un modèle à bout de souffle ?!

Réplique: L’aide publique au cinéma

La commission d’aide à la production cinématographique nationale, dite «avance sur recettes», a rendu son verdict, au titre de la troisième  session de l’année 2018, le weekend dernier. Par la même occasion, la commission présidée par M. Driss Alaoui Mdaghri, ancien ministre, poète et acteur associatif, a bouclé son mandat statutaire de deux ans ; sauf décision exceptionnelle relevant des prérogatives du ministre de tutelle de prolonger ce mandat d’un an, 2019 verra donc l’installation d’une nouvelle commission. En attendant, la commission qui s’en va a distribué pour sa dernière réunion près de 25 millions de dirhams dont ont bénéficié une quinzaine de sociétés de production, tous genres et catégories confondus : fiction, documentaire, long et court y compris pour l’enveloppe dédiée à la culture et l’espace hassanis.

Sauf que hélas ces sommes risquent de rester des chiffres abstraits accolés au communiqué de la MAP…sans plus. La commission d’aide au cinéma, distribue en effet de l’argent dont elle n’a aucune maîtrise ; ses décisions apparaissent de plus en plus comme des promesses sans suite. Un immense retard dans les paiements des différentes tranches rend pratiquement absurdes les travaux de l’aide publique dont les sommes décidées restent en suspens entre les différents services administratifs, notamment depuis l’arrivée du nouveau ministre de la communication. Le bilan de la situation actuelle est accablant ; selon des statistiques établies par des professionnels, il y a près de 40 tournages de longs métrages qui sont à l’arrêt. Les conséquences économiques, sociales et humaines sont dramatiques. Plus de 2500 techniciens sont aculés au chômage technique et n’ont pas touché leurs salaires ; plus de 500 comédiens n’ont pas également reçu leurs cachets faute de liquidité chez les producteurs qui sont généralement à la tête de petites structures, notamment celles qui n’ont pas accès aux marchés juteux de la télévision et de la production internationale. Des marchés relevant quasiment du «domaine réservé» et de l’économie de la rente  accaparés par les classes dominantes.

Il y a indéniablement un malaise, structurel bien au-delà des questions de comptabilité, qui risque de remettre en question les acquis réalisés grâce à l’instauration d’une aide publique au cinéma (c’est simple, le cinéma marocain n’existe que grâce à cette aide publique). Tout laisse croire que la formule donne de plus en plus des signes d’essoufflement : en amont puisque l’argent accordé n’arrive que parcimonieusement aux intéressés empêchant une activité professionnelle régulière et en aval le système n’est pas parvenu à créer les conditions favorisant l’émergence d’un marché intérieur.

Au moment où les plus hautes autorités du pays ont incité les différentes acteurs socio-économiques à engager une réflexion sur les impasses du modèle économique global, la profession du cinéma serait bien inspirée à suivre cette piste pour une révision radicale du modèle en vigueur qui a atteint ses limites (au niveau des finalités, au niveau de la composition de la commission et de son mode de fonctionement…). Plusieurs indicateurs plaident en faveur d’une nouvelle approche, non pas de la manière de gérer le cinéma mais carrément de la manière de faire et de concevoir le cinéma. Nous appelons à instaurer une rupture épistémologique désormais dans notre rapport au cinéma. Adopter ce que les anthropologues appellent un « regard éloigné » pour saisir l’ampleur du message qui ne cesse  d’être envoyé par la réalité. Des indices qui autorisent à penser que les conditions sont suffisamment mûres pour ouvrir une nouvelle page du cinéma comme pratique sociale. Et cela passe foncièrement par une rupture avec le mode de production en vigueur jusqu’à présent. A commencer par une révision du mode de production de nos films, de leur circuit et supports de distribution et leur rapport à l’imaginaire collectif de la société (leur scénario). Nous sommes pour un autre cinéma adapté à la réalité économique du pays, adapté aux enjeux culturels qui le traversent et en adéquation avec les possibilités qu’offre la révolution technologique. Si le public ne vient plus au cinéma, c’est au cinéma d’aller vers lui ; cela passe par un changement radical de son mode de production, de son support de diffusion et de son modèle dramaturgique.

Mohammed Bakrim

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