Il y a dix-huit ans, s’éteignît un grand nom du mouvement national marocain et une figure de proue du PPS
Saoudi El Amalki
Natif de Safi en novembre 1917, Abdeslam Bourquia a ouvert les yeux sur la conjoncture du joug colonial, dès son bas âge où le protectorat s’est installé dans nos murs, deux années plus tôt, avant sa naissance. Il a promptement choisi d’adhérer au camp du mouvement national marocain pour le combat précoce contre l’oppression des colons, sans pour autant, omettre de lier organiquement cette lutte farouche au triomphe de la situation des couches déshéritées, en particulier les ouvriers et les petits paysans. C’est à ce prix qu’il s’est forgé le sentiment d’appartenance aux pauvres et aux démunis, dans le cadre du processus inévitable de la lutte des classes. Il a fallu se ranger en toute conscience, au sein des souches défavorisées, en contribuant à la constitution d’une organisation politique adoptive de cette volonté de défendre les droits et intérêts légitimes du prolétariat.
Cette formation n’était autre que le Parti communiste marocain (PCM), en 1943 dont il fut l’un des pionniers à part entière, aux côtés de ses compagnons de lutte qu’étaient Ali Yata, Abdallah Layachi et bien d’autres camarades, empreints de patriotisme qui les incite à réclamer fermement l’indépendance du Maroc, dès l’année 1946. Abdeslam Bourquia s’est particulièrement illustré par son immense connaissance de ce qui s’opérait dans le monde et de sa profonde culture libératrice qui ouvrait de larges horizons sur la constitution de la réalité marocaine. Il prônait toujours une démarche analytique qui favorisait la lutte pour l’émancipation de la société dans la spécificité de son vécu et de son évolution.
Il se chargeait de l’édition de l’une des belles œuvres propagandistes des idées illuminés de la pensée progressiste et socialiste dans la revue Al Mabadie (principes) dont les éditions permettaient aux camarades mais également aux adeptes de la démocratie et de la liberté de s’abreuver dans les trésors des valeurs fondatrices de l’humanité. Ce qui a donné au parti, cette identité particulière de la gauche responsable et féconde, résolument attaché à la patrie, mais ouvert aux grandes idéaux, au pont de devenir incontournable dans le paysage politique national. Tout le parcours du défunt était aussi jalonné de la défense pour la justice sociale, la dignité et la prospérité des marocaines et des marocains.
Bien tôt, il s’est occupé corps et âme du soutien des paysans agricoles dans la région de Tadla, en compagnie de Ahmed El Madi, Mâati Yousfi, Marcel L’Amoureux, Sahraoui Belkacem, Mohamed Belkbir, Ould Smida, Dr Salah Hakim, Mohamed Rabîi et bien d’autres, symboles de la paysannerie pauvre dans la région de Tadla qui fut l’une des plus instigatrices de la flamme communiste au Maroc.
Le PPS s’est distingué, à travers ses premiers leaders communistes dont Abdeslam Bourquia, d’avoir très tôt, avant tous, introduit cette idéologie marxiste qui luttait contre l’exploitation capitaliste. A maintes reprises, il a été arrêté voire exposé au danger de la peine capitale pour les positions du parti prônant le refus contre la logique de la guerre, notamment en 1963, relative au conflit avec l’Algérie, puis en 1965 et au début des 70, mais, à chaque fois, il en sortait encore plus convaincu de la véracité et la solidité de la ligne politique du parti. A la différence de son compagnon de lutte, le défunt Ali Yata qui n’avait pas pu savourer les premiers jalons de la nouvelle ère de réconciliation et d’éclosion avec l’avènement de l’alternance, Abdeslam Bourquia, vécut quelques années plus tard de la disparition du grand leader, cette «éclaircie» qui, en fait, a marqué l’itinéraire sinueux et ardu de la démocratie, la modernité et du progrès. Profondément façonné par cette école des valeurs suprêmes, Abdeslam Bourquia incarnait constamment cet acharnement d’appartenir à la nation, de se fondre pour elle et de s’y consacrer rien qu’à elle, sans rien demander en échange.
Il a vécu modeste et altruiste, il est resté tel qu’il est, malgré l’usure de l’âge et les affres de la maladie. Si Abdeslam a vécu dans la dignité, comme l’avaient fait ses compagnons d’une longue route, parsemée de torture, d’oppression et d’incarcération. Il avait un idéal et se tuait pour y parvenir, celui d’une société digne et décente, d’une nation forte et florissante, d’une institution juste et démocratique. Afin de s’investir haut et fort dans ses principes, il fallait pareillement faire montre de qualités morales et intellectuelles pour prétendre s’acquitter de cette mission qui est celle d’un authentique patriote.
Si Abdeslam en avait beaucoup, de ces vertus rares. Il était perpétuellement intransigeant dans le principe, pointilleux sur la notion du temps, exigeant sur les idéaux de l’intégrité et de la droiture. Il était toujours avant l’heure, alors que ses compagnons Ali Yata et Abdallah Ayachi étaient à l’heure pile, Chouaib Riffi, quant à lui, arrivait souvent avec un léger retard aux rendez-vous, mais ce dernier avait, en revanche, d’autres qualités qui faisaient de lui l’inévitable anneau de la chaine.
Aux années 60, Abdeslam Bourquia, en compagnie de Ali Yata, étaient au Vietnam, en visite de courtoisie à Hô Chi Minh. Ce dernier leur a remis une missive à transmettre à la diplomatie marocaine pour procéder au rapatriement des soldats déserteurs de la guerre d’Indochine, restés au pas asiatique. Ce fut une initiative des deux communistes marocains que par la suite, un fonctionnaire du département des affaires étrangères, tentait sans scrupule d’occulter de se l’approprier, mais lors des élections de 1977, Abdeslam Bourquia se présentait au nom du parti, Tadla et ce sont les déserteurs rapatriés qui arboraient cette vérité en remerciant chaleureusement le parti pour avoir soutenu leur rentrée à la mère-patrie.
Pendant des années, Abdeslam Bourquia se rendait dans les pays communistes, défendant notre cause et rencontrait les leaders, dont Mao Tse Toungles leaders, fondateur de la République populaire de Chine, Hô Chi Minh, du Vietnam, Yasser Arafat, de Palestine, Modibo Keita, du Mali, Khalid Begdach, de Syrie qu’il revit à Moscou, lors du congrès du Parti communiste soviétique en 1964. Il lui fit signe de donner son nom à son fils Khalid Bourquia, âgé de onze ans qui l’accompagnait, en guise d’hommage au patriotisme au leader Syrien. Je me souviens aussi, lors du début des années 80, on était en Bulgarie, enfant « chéri » des soviétiques, pour un séjour de formation.
Je me plaisais de me réveiller très tôt, bien avant mes camarades encore au lit, pour partager, en compagnie de Abdeslam Bourquia, le petit déjeuner du petit matin. Mais, ce qui m’attirait le plus, alors que j’étais encore bien aux débuts de mes balbutiements au sein du parti, c’était cet océan de connaissances et d’anecdotes que m’enfilait sans compter, Si Abdeslam, sous la brise matinale qui caressait nos visages. Il me racontait les scènes historiques du combat sous le colonialisme et les premiers combats de l’après-indépendance. Ses narrations marquées de sincérité et de ferveur étaient admirables au point de me sentir frémir de fierté d’avoir appartenu à cette formation politique prestigieuse et de jurer de porter haut son fanion de toutes mes forces.
Abdeslam Bourquia avait aussi ce magnétisme de forcer l’estime par son allure majestueuse, son regard clairvoyant et son analyse perspicace qui inspirent sécurité et confiance. Les grandes haltes de l’Histoire du Maroc contemporain avaient, en effet, besoin du potentiel humain qui tranchait dans les tournants décisifs, avec sagesse et réalisme. Le PPS avait toujours été, pour le Maroc, cette machine qui produisait ce genre d’idées éclairées et devenait, de ce fait, la formation politique inévitable, grâce à des pionniers illuminés dont Abdeslam Bourquia était l’un des instigateurs les plus en vue. Qu’il repose en paix !