L’artiste peintre Karim Tabi
Par : M’barek Housni*
On ne peut s’empêcher de déceler au sein du travail de cet artiste, une forte prédisposition à peindre dans et avec la clarté qui frôle la spontanéité réfléchie.Ou le contraire : dans la réflexion spontanée.
Dans les deux sens, se lit et s’apprécie son œuvre qui enregistre son entreprise artistique en un lieu peu commun, celui d’offrir à l’acte de création une visibilité artistique recherchée et attendue, et une ouverture sur l’interprétation comme une plus-value. Autrement dit, «l’activité de l’intelligence qui génère des idées» en liaison avec «l’ensemble d’images de la conscience».
Ce qui inscrit l’œuvre dans une partie essentielle de ce qu’avait préconisé Kandinsky comme étant les caractéristiques de l’entreprise d’un artiste: ce qu’il doit à lui-même en premier lieu et ce qu’il doit à l’art. Il n’est nulle question d’abstrait comme on pourrait le supposer en lisant ce qui précède, mais du fini d’un travail étalé sur un tableau avec ce qu’il permet de faire jaillir de sensations et d’effets sur l’œil et l’esprit.C’est-à-dire les références antérieures (mémoire, souvenirs, vie passée..) et les récurrences (éléments picturaux constitutifs, couleurs et dessins).
Ce qu’il doit à lui-même
Là, le choix est d’emblée évident, donné à voir sans détour ni recherche savante. Le féminin et le ludique dans un ensemble où ils dialoguent, conversent, se lient et se délient, créant un univers de gaîté ailée et de joie naturelle. Mais cela n’empêche guère une certaine limpidité symbolique et chargée de s’installer librement comme allant de soi. À l’instar d’un Miro qui déclarait : «...toiles [qui] sont l’aboutissement de tout ce que j’avais essayé de faire : arriver à la plus grande simplicité possible et aussi à la plus grande liberté..».
Commençons par voir de près la présence récurrente de la femme, ou plutôt une certaine vision de la femme.Figure ayant des cheveux crépus et ébouriffes volant dans le vent, un cou long interminable, des yeux grands de félins ébahis par la surprise, toujours habillée d’une robe décolletée dont les bretelles montrent des bras et le haut de la poitrine nus. Des femmes en tenue de soirée comme sortant d’un salon bourgeois dans un grand roman du dix-neuvième siècle. En différentes poses. D’ailleurs, plusieurs tableaux les montrent assises sur des canapés, des divans..Or, cette femme-là se trouve à maintes reprises, dédoublée, multipliée :reproduite dans une suite et à l’identique. On est là face à une tendance picturale qui trouve dans la reproduction accrue de formes du « même » une insistance de la présence. Sauf qu’ici, la forme est bien figurative, elle est en rapport direct avec le réel transmuté par une rêverie précise et fidèle à son propre contenu.On n’est pas loin du rêve en maille avec une certaine conception de la réalité revue à l’aune de songes juvéniles. «Le rêve, c’est la roue libre de l’esprit» disait poète Pierre Reverdy.
Justement ce dernier trait est accentué par la deuxième récurrence qu’est le fait ludique. Mais, un ludique doté d’une sériosité curieuse sans perdre son côté attrayant et léger. Il est représenté presque entièrement par des ballons, par ce qui ressemble à des cerfs-volants, des roues, parfois des chevaux (réels ou de bois ? on ne peut le déterminer mais peu importe du moment qu’ils participent à un univers uni). L’ensemble dessiné par une main qui emprunte sa gestuelle de l’innocence inventive de l’enfance en proie à son monde intérieur, inventé par lui, où il se retrouve.
Ce qu’il doit à l’art
Cela devient d’une évidence claire par le choix fait de la gamme de couleurs employées, des tons visés, de la distribution opérée des éléments cités ci-haut dans chaque tableau. Il y a toujours un fond clair et assez lumineux en général, dont la couleur est travaillée soigneusement pour recevoir l’univers approché et mis à la disposition regard. Un fond où on peut trouver à chaque fois une couleur donnée, sauf le rouge rarement employé, réservé lui aux robes, aux «jouets» pour pallier au jaune dans nombreux tableaux en vue d’une harmonie voulue. En fait, l’artiste est très économe dans l’emploi des couleurs, avec une moyenne de trois types. Ce qui laisse une grande surface libre, ce fond qui alors fonctionne presque indépendamment si l’on prend la peine de s’arrêter devant et capter le sens de son étalement.
Mais juste un bref instant.Car il y a un vrai dialogue dans les œuvres de Karim Tabit, celui de «nous parler» du bonheur d’être en accord avec un monde fait de sourires et de douceurs, du destin de ne pas céder à la grisaille malgré les handicaps de toutes sortes, mentaux et physiques.
L’artiste investit un certain nombre restreint de couleurs à fond pour créer une peinture fraîche et pleine de sensibilité qu’il a nourri pour les fonctionnaliser comme œuvre égale à sa conception de la création, de l’expression artistique comme parallèle à la vie.
*Écrivain et chroniqueur d’art