Tanger, Aid Al Adha
Karim Ben Amar
Le Maroc se prépare à célébrer l’Aid Al Adha. Dans tous les recoins du pays, citoyennes et citoyens se rendent dans les marchés afin de faire les incontournables emplettes nécessaires à cette fête. Les autorités compétentes exhortent à cet effet les Marocains à faire preuve d’exemplarité: respect de la distanciation sociale, port du masque de protection, etc. Les autorités ne cessent de le rappeler, le danger de la Covid-19 n’est pas encore écarté. D’ailleurs, au Maroc, certaines provinces sont encore soumises à de fortes restrictions de circulation. C’est censé être le cas de Tanger, ville battant de tristes records depuis quelques temps déjà. Mais qu’en est-il vraiment ? Par un concours de circonstance, nous nous sommes retrouvés dans «la perle du Détroit». L’équipe d’Al Bayane est donc allée faire une tournée dans des marchés de la ville, ainsi que dans certains quartiers. Comment s’y déroule la conciliation entre fête religieuse et cette pandémie ? Les habitants de la ville se plient-ils aux mesures de sécurité sanitaires ? Les horaires d’ouverture des locaux commerciaux sont-elles respectés ? Immersion.
La fête préférée des Marocains arrive à grand pas. Comme tous les ans, de Tanger à Lagouira, l’achat du mouton et des courses qui vont avec, sont sur toutes les lèvres. Dans la capitale du Nord, les marchés sont abondamment achalandés. Tangéroises et Tangérois s’engagent dans une véritable course contre la montre, afin d’être parés le jour J.
Les autorités compétentes déployées à Tanger sont sur le pied de guerre. Contrairement à d’autres villes du Maroc, la police veille à ce que tous les citoyens respectent les règles d’or en vigueur. En se dirigeant vers le mythique «Souk Dakhel», décrit dans ces moindres recoins par le défunt Mohamed Choukri, et peint par d’immortels orientalistes dont le célèbre Henri Matisse, les forces de l’ordre procèdent à de véritables remontrances à l’égard de toutes les personnes peu respectueuses des mesures de sécurité.
Il est près de 22H ce lundi 27 juillet lorsque nous commençons notre tournée. Dès notre arrivée, un détail nous surprend : les étroites ruelles du Souk Dakhel sont noires de monde. Grands et petits, hommes et femmes, se bousculent pour réaliser les achats nécessaires pour l’Aid Al Adha. Il est aussi à noter que le port qui est censé être une obligation, n’est devenu qu’une option.
Dans l’une des ruelles de ce quartier de l’ancienne médina, nous nous sommes dirigés vers un jeune vendeur à la sauvette qui propose à la vente les incontournables de l’Aid: Charbons, ustensiles de cuisine, etc. Cet habitant du quartier qui se prénomme Oussama affirme que «cette année à cause de la pandémie liée au nouveau coronavirus, les habitants de la ville n’appartenant pas à la classe aisée auront beaucoup de mal à pouvoir acheter le mouton».
Invoquant le confinement obligatoire qui a duré près de trois longs mois, ce jeune âgé d’une vingtaine d’années a souligné que «si l’on ne se débrouille pas par nos propres moyens, personne ne nous achètera le mouton de l’Aid. C’est pour cela que tous les habitants du quartier font ce qu’ils peuvent pour pouvoir réaliser un bénéficie de cette activité saisonnière. Si nous proposons à la vente cette modeste marchandise, c’est uniquement pour pouvoir acheter le mouton et assurer les dépenses liées à la cérémonie.
Un peu plus bas dans le quartier «Saqaya», un ramoneur proposant aussi à la vente des couteaux de cuisine, est véritablement conscient du danger qui le guette. «Il est vrai que depuis la levée du confinement obligatoire, les habitants de la ville du Détroit ont tendance à reprendre leurs anciennes habitudes, à savoir rester dans la rue jusqu’à pas d’heure, à faire des promenades nocturnes, seuls, en famille ou entre amis». Et d’ajouter «comme vous pouvez le constater par vous-même, il est près de 23H et pourtant les ruelles sont encore bondées. C’est l’ambiance de l’Aid, mais tout le monde s’accordera à dire qu’en temps de pandémie, on pouvait espérer meilleure discipline d’autant plus que toute la presse nationale blâme les tangérois pour leur manque de rigueur, sans évoquer le ministre de la Santé qui a tout simplement réduit notre cité à une ville qui se situe dans le Nord», tonne-t-il.
Après avoir fait une tournée dans le «Souk Dakhel», nous nous sommes dirigés vers un autre quartier mythique tangérois, il s’agit de «M’sallah». Dans ce quartier résidentiel considéré comme populaire, les vendeurs de rue pour la grande majorité, habitant le quartier, s’active aussi en vue de l’Aid Al Adha qui arrive à grands pas. Il est près d’une heure du matin, mais vu l’ambiance de fête qui règne au quartier, l’on dirait qu’il est à peine 20H. Un habitant du quartier et père de famille qui pour l’occasion s’hasarde dans la vente d’ognons ainsi que dans la nourriture de bétail (foin, orge, légumineuse etc), déclare que «finalement il aurait peut-être mieux valu annuler l’Aid cette année. A cause de la pression sociale, nous sommes tous forcés de dégager la somme de 2000 ou 3000Dhs pour pouvoir passer l’Aid dans les meilleures conditions».
«De plus, l’Aid al Adha rime avec célébration. Le fait que les rues soient pleines de monde par ces temps de pandémies : elles devraient en être autrement. Tout le Maroc pointe les Tangérois du doigt, surtout après cette recrudescence des cas positifs à la Covid-19. Pour éviter tout cela il aurait été mieux de faire comme en 1995, et annuler l’Aid cette année», souligne-t-il l’air déçu.
A notre retour au «Bolebar», principale artère de la ville de Tanger, il était plus d’une heure du matin. Cafés, sandwicheries, laiteries, tous étaient encore ouvert, défiant ainsi, toutes les mesures de sécurité sanitaire. Il faut bien se le dire puisque cela saute aux yeux. À Tanger, l’on croirait qu’état d’urgence sanitaire est de l’histoire ancienne. Pourtant le risque d’une seconde vague nous guette encore et toujours.
Ce mardi 28 juillet, un sursaut de vigilance s’est fait ressentir. Les autorités compétentes ont veillé à ce que tous les commerces soient fermés à 20H afin de pouvoir juguler dans de meilleures conditions cette pandémie et tenter de stopper cette recrudescence des cas positifs.
Dans la perle du Détroit, ce n’est pas l’ignorance qui est la cause de se laisser aller mais plutôt l’inconscience . Lors de nos pérégrinations du lundi, nous nous sommes retrouvés nez à nez avec un arracheur de dents ouvert à une heure du matin passée. Pour faire les plaisantins, nous avons demandé à nous faire arracher une dent. De quoi s’arracher les cheveux!