La délicate question des réformes en Europe

Derrière le plan de relance de Bruxelles

Pour toucher les aides du fonds de relance européen, les pays de l’UE risquent de devoir engager des réformes impopulaires, un sujet âprement discuté à Bruxelles avant la remise des premiers plans nationaux.

Incarnation d’une solidarité européenne face à la pandémie, le fonds doté de 750 milliards d’euros, pourrait devenir une nouvelle pomme de discorde entre l’Europe du sud, surendettée, et les Etats du nord, dits «frugaux».

L’instrument, alimenté par un recours commun à la dette inédit, doit financer des investissements dans la transition verte et numérique. Mais, pour surmonter l’opposition initiale des «frugaux», des engagements de réformes plaçant les bénéficiaires sous surveillance y ont été adossés.

Ces dernières semaines, «la Commission a mis la pression sur les Etats membres pour qu’ils viennent avec plus de réformes», confie un diplomate européen.

L’accord historique, conclu en juillet après de difficiles négociations, prévoit qu’ils incluent dans leurs plans nationaux un échéancier détaillé de réformes réclamées de longue date par l’UE.

Sont potentiellement concernées la réforme en cours de l’assurance chômage en France ou celle des retraites, reportée à des temps meilleurs, une réforme du marché du travail en Espagne, des réductions de dépenses publiques en Italie… Des «recommandations spécifiques» formulées en 2019 et 2020 par le Conseil européen.

La plupart des pays soumettront leur plan d’ici fin avril. La Commission aura deux mois pour donner son feu vert, puis le Conseil, représentant les Etats membres, disposera d’un mois pour le valider.

L’exécutif européen doit se montrer ferme sur les réformes, «s’il ne le fait pas, certains Etats critiqueront fortement les plans de certains autres», poursuit ce diplomate.

Au 10 avril, vingt-trois pays avaient remis un projet provisoire, mais aucun la version définitive.

«Les discussions portent sur les réformes», a confirmé à l’AFP un responsable européen. Les Etats membres doivent prendre en compte «une grande partie» des recommandations spécifiques. «On sait qu’on ne pourra mettre pour chaque sujet difficile des engagements très concrets. Il faudra être flexible et trouver un équilibre, mais certains pays vont être très exigeants».

Nul ne s’attend à des blocages au printemps, alors que l’Europe est critiquée pour sa lenteur à relancer l’économie et que ce projet emblématique reste menacé tant qu’il n’aura pas été ratifié par tous les Etats membres.

Parmi les 27, dix manquent encore à l’appel, dont l’Allemagne où la légalité du dispositif est questionnée par la cour constitutionnelle.

Les discussions sur les plans nationaux, démarrées en mars, doivent se conclure rapidement pour permettre les premiers versements espérés à l’été, des préfinancements représentant 13% des subventions totales. Pour l’Espagne et l’Italie, premiers bénéficiaires, environ 9 milliards d’euros sur un total de 70 milliards chacun.

Ensuite, les paiements s’échelonneront sur plusieurs années, permettant de sanctionner plus tard des engagements non tenus.

Pour Lucas Guttenberg, directeur adjoint du Centre Jacques Delors à Berlin, la pandémie va modifier l’architecture financière de l’UE, à travers ces évaluations régulières qui détermineront le déblocage des aides.

L’avenir du processus dépendra de sa capacité, grâce aux incitations financières, «à accroître l’ardeur des réformes dans les États membres», a-t-il estimé.

Selon lui, l’objectif devrait être d’aboutir à «une procédure politique permanente de coordination des politiques économiques».

Cependant, pour Jean Pisani-Ferry, chercheur associé à l’institut Bruegel, l’UE «commettrait une grave erreur politique» si elle insistait pour conditionner les subventions à des réformes des retraites ou du marché du travail, non directement liées à l’objet des investissements.

«Cela ne veut pas dire que ces réformes ne soient pas désirables, mais si elles ont buté sur une opposition dans un pays, elles ne seront pas rendues plus acceptables par le tampon de Bruxelles», a-t-il dit à l’AFP, tout en défendant le couplage «réformes et investissements».

«On parle de montants considérables», environ 5% du produit intérieur brut pour l’Espagne ou l’Italie. «C’est énorme. Évidemment l’UE ne peut pas se permettre de gâcher de tels transferts et doit s’assurer que l’argent sera dépensé de manière convenable».

Ainsi, il serait légitime de réclamer des réformes pour améliorer les compétences en programmation en lien avec les investissements dans le numérique, ou l’arrêt des subventions aux combustibles fossiles en contrepartie du financement des investissements verts.

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