Le dividende démographique

Par : Abdeslam Seddiki

J’ai repris volontairement le titre du dernier chapitre de l’ouvrage publié tout récemment par le HCP intitulé «Population et développent économique». Le titre, intuitif et suggestif,  de cette nouvelle publication tranche en filigrane sur la relation population-développement.

Ne souscrivant guère à une conception malthusienne, qui n’a jamais connu des moments de gloire dans les milieux universitaires, le rapport s’inscrit dans le droit fil de la thèse de Jean Bodin et,  de celle d’Ibn Khaldoun, deux siècles auparavant faisant de la force de travail la source de création de richesses. C’est cette thèse, marquée du sceau de logique et de réalisme, qui  été reprise par les auteurs classiques qu’ils soient d’obédience libérale ou d’obédience marxiste. Les néo-classiques et les néo-libéraux de tout poil, n’ont pas trouvé mieux que le recours à l’usage de  la notion de «facteurs de production» à savoir, le travail, le capital et la terre.  D’autres «découvertes» comme le capital humain, le capital institutionnel et le capital social sont venues enrichir le débat. Ces trois formes s’intègrent dans le capital immatériel.

Cependant, pour être source de richesse, il faut que les personnes en âge d’activité soient effectivement au travail. A bien des égards, ce n’est malheureusement pas le cas. Ce qui fait que le Maroc ne tire pasprofit comme il se doit de l’aubaine démographique (ou du dividende démographique), produit de la transition démographique, qui a commencé timidement durant les deux décennies du siècle dernier pour s’affirmer d’une façon solide et irréversible à partir du début de ce siècle.

C’est un changement majeur qui bouleverse non seulement les structures démographiques mais également les structures socio-économiques dans leur ensemble. Ainsi, si la population marocaine a pratiquement doublé entre 1960 et 1982, passant respectivement de 11,5 M de personnes à 20,4M enregistrant un taux d’accroissement annuel dépassant 2,5%, elle n’a augmenté que de 65% pendant la  période 1982-2014. Le taux de croissance démographique n’est que de l’ordre de 1,25% actuellement.

L’aubaine démographique apparait nettement dans la pyramide des âges  et plus précisément dans le profil démographique par âge de la population marocaine. Celui-ci  a, en effet, enregistré des changements structurels majeurs. Ils consistent en un accroissement de la part de la population en âge d’activité dans la population totale passant de 49,9% en 1981 à 62,4% en 2014 et une baisse de la tranche d’âges des moins de 15 ans, laquelle est passée de 45,6% de la population totale en 1981 à seulement 28,2% en 2014.

La proportion des personnes âgées a connu une relative stabilité ces cinq dernières décennies, passant de 7,2% en 1960 à 9,4% en 2014.  Il s’agit, si on veut l’exprimer par une formule imagée d’une pyramide  dont la base se rétrécit, le « ventre » se gonfle et la tête qui demeure inchangée!

Plus concrètement cette aubaine démographique se caractérise  par une baisse du rapport de dépendance qui s’exprime par le rapport population active/population inactive. Ainsi, à partir de la période 2005-2010, l’évolution du rapport de dépendance affiche une stabilité autour de 60%. Autrement dit, une personne active prend en charge moins d’une personne inactive.

Ce décalage positif diminuera à travers le temps pour déclencher une remontée de ce rapport à partir de la période 2035-2040, jusqu’à atteindre 70 personnes inactives (dont 30 personnes auraient un âge supérieur à 60ans)  à la charge de 100 personnes actives à l’horizon de 2050.

Une telle situation offre une période favorable pour le Maroc pour profiter de sa population active et de cette aubaine démographique. Pour ce faire, il doit procéder à anticiper les défis futurs et mettre en place des politiques sociales fortes centrées sur l’Homme, se rapportant à l’éducation, la formation et l’emploi, et accompagnées d’investissements dans les activités économiques créatrices d’emploi pour les jeunes avant que le vieillissement ne prenne de l’ampleur.

Malheureusement, tel n’est pas le cas eu égard à la persistance du chômage notamment dans le milieu des jeunes diplômés et le faible taux d’activité des femmes. Le défi majeur qu’affronte le Maroc  est bel et bien celui de l’emploi sachant qu’il n’est de richesse que d’hommes et de femmes. C’est justement pour mettre à profit cette aubaine démographique qu’une stratégie nationale pour l’emploi  a été préparée avec la participation effective des partenaires sociaux et de l’implication de l’ensemble des départements ministériels concernés.

Force est de noter, avec regret, que l’actuel gouvernement, comme son prédécesseur du reste, n’ont pas accordé suffisamment d’intérêt à cette stratégie, considérée par l’OIT, faut-il le rappeler, comme l’un des documents sérieux produits dans la région sur la question de l’emploi.

Toutes les études effectuées récemment sur le Maroc débouchent sur la même conclusion, à savoir l’investissement dans le «capital humain» pour faciliter l’employabilité et l’insertion sociale de la jeunesse. Qui plus est, la période que nous traversons est favorable à la réalisation des réformes de structure dont le pays a besoin.

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