Par : Al Mustapha Sguenfle-MAP
Connu parmi les auteurs grecs sous le nom de « Maurusia », et de « Mauretania » chez les Romains, le Maroc antique recèle une histoire qui renseigne sur les racines profondes du pays nord-africain, mais qui demeure pour l’essentiel méconnue.
Cet état de fait s’explique par différents facteurs, dont le plus important est probablement le fait que l’histoire du Maroc antique a été rapportée par des témoignages extérieurs et rédigée en marge de récits provenant d’autres peuples et civilisations du pourtour méditerranéen (Athènes, Rome, Carthage,…).
Une terre d’Hommes
Dans le premier quart du Vème siècle avant J.C., l’explorateur carthaginois Hannon aurait entrepris un périple le long des côtes atlantiques du Maroc antique. Ce voyage est relaté dans un compte-rendu dont la traduction grecque a subsisté.
Dans ce récit, il est notamment dit : « A une journée de navigation, au-delà de ce lac, nous fondâmes, sur la côte, cinq nouvelles cités : Karikon-Teichos, Gytte, Akra, Melitta et Arambys. Continuant notre chemin, nous arrivâmes à la large rivière Lixus, qui vient de Libye et au-delà de laquelle des nomades appelés Lixites font paître leurs troupeaux. Nous restâmes un certain temps avec eux et ils devinrent nos amis ».
Durant l’antiquité, la Libye faisait référence à l’ensemble de l’Afrique du nord. Karikon-Teichos, Gytte, Akra, Melitta et Arambys sont des lieux supposément échelonnés entre les actuelles villes d’Agadir et d’Essaouira. La rivière Lixus semble renvoyer à l’actuel fleuve Draa, tandis que les Lixites étaient probablement des autochtones de la région.
Et Hannon de continuer : « Prenant des interprètes parmi les Lixites, nous naviguâmes pendant deux jours en direction du sud, le long d’un rivage désertique, puis une autre journée en direction de l’est. Nous trouvâmes une petite île de cinq stades de pourtour, à l’extrémité d’un golfe. Nous créâmes un établissement et l’appelâmes Cerné ».
L’île Cerné évoquée par Hannon semble renvoyer à l’Ile de Mogador, dite aujourd’hui « Grande Dzira », faisant partie des îles Purpuraires qui font face à l’actuelle ville d’Essaouira (à une centaine de mètres). Les Phéniciens y auraient fondé, entre les VIIIème et VIIème siècles av. J.C., un comptoir où était exploité et acheté aux populations autochtones des mollusques gastéropodes (murex) dont on extrayait un élément culturel majeur de l’antiquité méditerranéenne : la pourpre.
Ce récit de Hannon le Navigateur témoigne de la présence de peuples et tribus autochtones au Maroc antique. Toutefois, le Maroc d’alors n’était pas qu’une terre d’Hommes dépourvus de toute forme d’organisation politique, puisque d’autres récits historiques témoignent de l’existence d’entités politiques au pays. Ces récits datent notamment de la période s’étalant du IIIème au Ier siècle av. J.C., laquelle période a été marquée par le développement d’une civilisation maurétanienne.
Il était une fois, le royaume de Maurétanie…
L’histoire du royaume du Maroc antique, dit de Maurétanie, n’a été que peu documentée. « Nous avons un trou d’un siècle dans notre histoire. Il s’étend de la fin du IIIème à la fin du IIème siècle avant J.C. », regrette Halima Ghazi-Ben Maissa, ancienne professeur d’histoire antique du Maroc à la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines de Rabat.
Dans son article intitulé « Le royaume du Maroc antique : image et réalité », elle note que « les premières indications concernant le premier roi de Maurétanie cité par les sources écrites (…) sont celles rapportées par le biographe et moraliste Plutarque, le poète grec Pindare dans la IVème Isthmique et la IX Pythique, l’auteur de la bibliothèque historique attribuée, probablement à tort, à Apollodore, Strabon dans sa Géographie, le poète latin Lucain dans son histoire naturelle, Ovide dans ses Métamorphose, Solin dans Polyhistor, et enfin Silius Italicus dans ses Punica ».
En guise d’illustration, l’académicienne cite l’historien latin Tite Live, qui raconte qu’après la rencontre du roi numide Massinissa avec le général romain Cornelius Schipion à la fin du IIIème siècle avant J.C., le premier passa de l’Espagne en Maurétanie. Massinissa adressa alors « les prières les plus humbles » au Roi de la Maurétanie, Baga.
« Il obtint de lui pour l’escorter sur sa route –faute d’en obtenir pour combattre- quatre mille maures. Sous leur protection, Massinissa arriva aux frontières du royaume de ses pères où cinq cents numides, nous dit l’auteur latin, vinrent à lui. Le Massyle renvoya « alors les Maures comme convenu à leur roi » », relève Halima Ghazi-Ben Maissa.
Selon elle, il ressort de ce texte, entre autres, que le roi du Maroc antique Baga « était néanmoins un souverain important. Il était en mesure, pour une simple escorte d’un prince étranger, de mobiliser, si le chiffre avancé par Tite Live est exact, quatre mille hommes ».
En confrontant les sources, estime-t-elle, « on peut arriver à la conclusion que le royaume de Baga s’étendait de l’Atlantique à l’ouest à l’actuelle Moulouya à l’Est », mais dont la frange méditerranéenne « échappait à son pouvoir et plus tard à celui de ses successeurs et ce jusqu’à l’avènement de Bogud qui eut lieu pendant les années quarante avant J.C. ».
L’ancien royaume de Maurétanie (Non Mauritanie, actuel pays d’Afrique du Nord-Ouest) avait pour capitale Volubilis. Il était situé entre les côtes atlantiques du nord du Maroc actuel jusqu’à l’Oued-el-Kebir (est de l’Algérie actuelle). Ses rois les plus connus furent Bocchus, Bogud, Bocchus II, et, surtout, Juba II et Ptolémée.
Halima Ghazi-Ben Maissa indique que Juba II et Ptolémée se trouvèrent à la tête d’un royaume du Maroc dans ses plus grandes dimensions pendant l’antiquité. « De l’océan atlantique à l’ouest à la ville actuelle de Constantine à l’est, et de la mer méditerranée au nord aux montagnes atlassiques marocaines et algériennes au sud, s’étendait alors le royaume du Maroc antique commandé du nord au sud et de l’est à l’ouest par un seul chef, le Roi ».
Juba II était un roi connu pour son érudition, et dont l’épouse n’était nulle autre que Cléopâtre Séléné II, propre fille de Cléopâtre VII, célèbre reine déchue d’Egypte. Le couple eut un fils unique baptisé Ptolémée, dont le règne a connu une fin tragique puisqu’il allait être arrêté et mis à mort par l’empereur romain Caligula. Après quoi, la Maurétanie a été annexée en tant que province romaine.
Cette annexion n’a pas été de tout repos pour les Romains, puisqu’Aedemon, esclave amazigh affranchi loyal envers Ptolémée allait mener un soulèvement dans les environs de Tanger contre Rome pour venger le dernier monarque maure. Cette révolte allait prendre fin quatre ans plus tard. Le royaume de Maurétanie a été divisé ensuite en deux provinces séparées par la vallée Moulouya : la Maurétanie tingitane et la Maurétanie césarienne.
Rome instaura en Maurétanie tingitane (correspondant au nord du Maroc actuel) une zone défensive (limes) et développa des villes comme Volubilis et Tingi (Tanger), capitale.
Bien que sous l’influence romaine, les populations du Maroc antique ont pu conserver une certaine originalité culturelle attestée, entre autres, par l’onomastique indigène, les langues libyque amazighes et les cultes locaux (divinités maures, donatisme, astrolâtrie, etc…).
S’agissant du système économique qui primait au Maroc antique, il semblerait qu’il reposait essentiellement sur l’agriculture. Halima Ghazi-Ben Maissa fait valoir que « Strabon, Mela, Pline et Tite Live ou bien relataient la richesse du sol du pays en agriculture ou bien font allusion à celle-ci. La place que devrait revêtir la culture du blé et de la vigne dans l’activité agricole du royaume, et par conséquent dans son économie, était telle que des rois avaient gravé l’épi de blé et la grappe de raisin sur leurs monnaie ».
Il existe des preuves matérielles témoignant de cet état de fait, à l’image de pièces en bronze, argent ou parfois or, où sont gravés abeille, poisson, vache et cheval. Ces monnaies « circulaient dans le royaume du Maroc antique depuis la fin du IIème siècle avant J.C., à une date où de nombreuses nations étaient encore enfoncée dans l’économie du troc », explique Mme. Ghazi-Ben Maissa.
Un musée dédié
Des éléments matériels et artefacts témoignant de cette histoire aussi étendue que mystérieuse sont exposés au Musée de l’Histoire et des Civilisations (MHC) de Rabat. Les pièces des collections provenant des fouilles de Mogador, Volubilis, Banasa, Thamusida et Sala sont regroupées au MHC, et rendent compte des principaux aspects des civilisations antiques au Maroc.
Dans une déclaration à MAP-Amazigh, le conservateur du Musée de l’Histoire et des Civilisations, Anass Sedrati, relève que le musée offre « une collection archéologique d’une richesse exceptionnelle, rassemblant les témoignages matériels des diverses civilisations installées au Maroc depuis la Préhistoire jusqu’à l’époque islamique ».
La période antique regorge de manifestations matérielles de cultures différentes et riches, qu’elles soient phénicienne, punique, maurétanienne ou romaine, ajoute-t-il. Les traces de ces civilisations sont montrées par le biais d’une collection de pièces en bronze, en céramique ou en marbre.
Parmi ces objets emblématiques datant de l’antiquité marocaine, figure la pièce de bronze du général Caton, la statue de Sphinge, la statue de l’éphèbe couronné, le vieux pêcheur, ou encore le chien de Volubilis.
Pour M. Sedrati, les œuvres phares exposées au musée « seraient probablement les sculptures des rois maurétaniens : le buste en bronze de Juba II, dont l’effigie est adoptée pour le logo de notre musée, et la splendide sculpture en marbre de son fils, le roi Ptolémée ».
Ces objets, souligne-t-il, « nous révèlent l’étendue de l’histoire de notre pays, ce qui nous permet de savourer chacune des cultures qui ont constitué notre identité plurielle depuis des millénaires ».