Tasuta N-Imal, la voix amazighe des Anti-Atlas
Propos recueillis par Mohamed Nait Youssef
Un air de famille! C’est dans la cité de Boumalne Dadès entre Tinghir et Ouarzazate que le groupe Tasuta N-Imal «génération future» a vu le jour. En effet, depuis sa création en 2008, ces gardiens de la musique des Anti-Atlas Highlanders se sont engagés pour la préservation et la promotion de l’héritage musical, poétique et culturel de la région aux jeunes et aux amoureux de la musique et des rythmes. Par ailleurs,le répertoire de cette jeune formation musicale est puisé essentiellement dans les mélodies et les musiques de l’Ahidous, Ahwach, Izlan n Tyerza… notamment de la région du Sud-Est de l’Anti Atlas. Et pour mieux faire écouter leur musique, Tasuta N-Imal s’est ouvert sur d’autres styles du monde, entre autres le Rock&roll, le blues, la pop, le rock du désert. «Nous sommes ouverts à toutes les musiques du monde, mais l’air de notre chanson vient de nos racines amazighes », nous confie Ismail Tasuta. Et d’ajouter : «Tasuta N-Imal inculque dans sa musique les valeurs de solidarité, d’amour et de paix qui caractérisent la région dont les membres sont originaires ». Les propos.
AL Bayane : Parlez-nous un peu de votre groupe. Que signifier Tasuta N-Imal ?
Ismail Tasuta: Le groupe Tasuta N-Imal, qui signifie «génération future» en langue amazighe, a pour ambition de transposer en musique l’histoire, les valeurs et les traditions des montagnards nomades et des groupes sédentaires du Sud-Est de l’Anti-Atlas au Maroc. Originaire de la ville de Boumalne Dadès entre Tinghir et Ouarzazate, le groupe s’est donné la mission de préserver le riche héritage de cette région et de le transmettre aux générations futures et au monde à travers la musique d’où le nom «Génération future». Maintenant, Tasuta N’imal porte le flambeau de cette musique. Or, une génération viendra et le portera à son tour afin que la mission de la préservation du patrimoine et de la culture se poursuive.
Constitué de six membres, le groupe Tasuta N-Imal inculque dans sa musique les valeurs de solidarité, d’amour et de paix qui caractérisent la région dont les membres sont originaires. Ils forment une véritable famille musicale et sont ancrés autour d’un objectif commun. Le répertoire musical du groupe s’inspire principalement de l’héritage musical diversifié (Ahidous, Ahwach, Izlan n Tyerza, Tizrarin, Timnadin, Tagnawit…) de la région du Sud-Est de l’Anti Atlas en invitant plusieurs styles du monde comme le Rock&roll, le blues, la pop ou encore le Rock du désert, liant traditions et modernité et ciblant ainsi une audience diversifiée.
Les paroles des chansons sont chantées dans un style rendant hommage à la tradition musicale de la région et offrent un regard profond sur l’histoire des nomades, des montagnards et groupes sédentaires de la région ; leurs défis actuels et leurs valeurs intemporelles.
La formation du groupe remonte à l’année 2008. Comment a-t-il été créé ?
C’est vrai, le groupe a été fondé en 2008, avec seulement deux membres, avant le regroupement de tous les membres actuels au début de 2014 où la carrière artistique professionnelle du groupe a commencé.
L’Anti-Atlas et la montagne sont présents dans vos clips et votre style. Est-il un simple choix symbolique ?
L’Anti-Atlas, comme endroit d’où sont originaires les membres du groupe (Boumaln Dades précisément), est marqué par des kasbahs (petits châteaux) pittoresques, des montagnes et des champs. A vrai dire, la montagne est un symbole de résistance et de paix pour le groupe. C’est un endroit où les montagnards; nos ancêtres ont combattu les ennemis, et ont défendu leur terre et leur culture. C’est pourquoi le groupe lui donne une telle importance et en fait la principale source d’inspiration pour leur musique appelée Anti-Atlas Highlanders Music.
Quid du look du groupe ?
La tenue vestimentaire du groupe (Akidur Night Atta), qui s’inspire de la région elle-même, a été modernisée pour lui donner une touche contemporaine, tout comme la musique du groupe, qui se présente sous une forme contemporaine saturée de détails du patrimoine musical de la région.
Dans votre démarche musicale vous mêlez les rythmes du rock avec les sonorités touaregs. Comment définissez-vous alors votre musique ?
Ceci a été le cas dans le premier EP intitulé « Tamlalte » ou Gazelle. Le nouveau projet Anti-atlas highlanders Music est tout à fait différent. Nous pouvons dire que notre style c’est de ne pas avoir un style.
C’est-à-dire ?
Nous sommes ouverts à toutes les musiques du monde, mais l’âme de notre chanson vient de nos racines amazighes. Le répertoire du groupe est puisé dans l’héritage musical diversifié des hauts plateaux du Sud-est de l’Anti-Atlas (Asrkd, Ahidus, Ahwash, Timnadin, Tagnawit…), mélangé avec une musique moderne avec un maximum possible de styles (Rock & Roll, Desert Blues, Rock, Pop,etc.). Nous appelons ce genre de musique : la musique des Anti-Atlas Highlanders ou la musique des montagnards (nomades ou pas) avec une poésie qui fait référence à un regard profond sur les souffrances des nomades et des Highlanders (montagnards) : leur histoire significative et leurs valeurs de tolérance, d’amour, de paix et de résistance.
Pourquoi un tel choix ?
Le groupe a choisi ce genre de musique pour montrer ce côté de la culture au monde. Nous avons opté pour ce genre de musique pour avoir un contact et une connexion avec le monde. Tasuta N-Imal, à cet égard, n’est pas seulement un groupe, mais c’est l’expression de beaucoup de sentiments et d’expériences. Comme étant des habitants de la région du Sud-Est de l’Anti-Atlas, nous utilisons ce style de musique local pour créer une mosaïque pleine de couleurs différentes afin que le public puisse comprendre le sens de la vie dans notre coin du monde.
Votre groupe est lauréat de la deuxième édition du programme de soutien #HIBA_Rec » World Music « . Que représente cette expérience musicale pour vous ?
Elle représente une chance qui n’est pas donnée à tout le monde. Le fait d’avoir accès à un studio professionnel « l’un des meilleurs studios en Afrique », avec une équipe de qualité et expérimentée qui est à l’écoute durant tout notre séjour. Le fait aussi d’avoir accès à un monitoring de qualité auprès des plus grands artistes au niveau tels qu’Aziz Sehmaoui est une opportunité extraordinaire, c’est comme un rêve. On est très heureux d’avoir participé à cette compétition, et nous voudrions remercier vivement toute l’équipe de Hiba Rec, l’équipe de studio Hiba mais aussi le grand artiste Aziz Sehmaoui qui nous a beaucoup aidés pour la réussite de notre œuvre musicale. On était comme une famille ! On a même invité l’équipe à participer dans notre musique.
D’où tirez-vous votre inspiration ?
Notre inspiration vient de notre région Assamer (Sud-est de Maroc) qui est un endroit très diversifié et riche en sonorités : chants des femmes dans les champs, poèmes et chants des montagnards et des nomades, chants des mariages comme Ahidous, Ahwach, Asrk, Tizrarin etc. Nous nous inspirons quand on échange avec les ainées de notre village, quand on s’assoit avec nos mamans au moment du tissage des tapis à la maison, quand on fait la moisson dans les chants ou encore quand on part à des mariages en jouant avec nos amis. En outre, nous voulons prendre toute cette mosaïque de ressentis et d’expériences de ces gens ayant marqué notre enfance afin de leur rendre hommage dans notre style de musique et les transmettre au monde à notre façon. Tout cela bien entendu pour dire aussi qu’on est ouvert à toute sorte de style possible ! Nous sommes toujours à l’écoute, c’est pour ça que notre musique est difficile à situer. Vous pouvez y trouver des sonorités dont Rock & roll, Rock, Blues, Pop, Reggea, folk, etc.
La chanson amazighe a été depuis toujours proie de ce regard folklorique. Aujourd’hui, les choses ont changé avec des jeunes artistes amazigh (e)s porteurs de nouveaux projets artistiques, tous styles confondus, dépassant la localité. Qu’en pensez-vous ?
Toute nation n’est jamais passée à côté de folklore, c’est la base de l’art qui se transmet d’une génération à une autre. C’est une façon pour transmettre et protéger le génie d’un peuple, notamment dans les productions langagières populaires de tradition orale, telles les épopées, les contes et les légendes. Néanmoins, il faut faire attention à l’idée qui stipule que la musique amazighe est folklorique. Ce n’est pas du tout du folklore ! Ce regard folklorique, plutôt est un constat créé que réel ! La chanson, les chants ont été rénovés au fil des temps ! Que peut-on dire de Mouha Oulhossain Achiban qui a innové dans l’art d’Ahidous? La façon avec laquelle il fait son show est totalement inédite et loin d’être une imitation ou un héritage à 100%. Que peut-on dire aussi du groupe mythique Izenzaren qui a introduit tout un style nouveau et inédit qui fait la base de lghiwan et les autres styles.
La chanson amazighe a connu des innovations depuis longtemps! A titre d’exemple, Lhaj Belaid qui, déjà en 1920, a commencé à enregistrer ses premières chansons dans des studios en Egypte, mais on n’a jamais parlé d’une telle expérience. Que peut-on dire aussi des chyukh kabyles qui constituent le pilier de la chanson kabyle ayant donné par la suite des stars mondiales comme Idir. On a souvent montré dans nos télés des troupes d’Ahidous classiques/Ahouach…mais on n’est jamais allé chercher des artistes ayant introduit des musiques modernes: Abranis, Hindi Zahra, Izenzaren, Moha mallal, Slimane Azem, Tinariwen, Khalid Izri, Juba n Touja. Avec l’absence d’une volonté pour encourager les innovations mais surtout les faire promouvoir, on peut toujours dire que cet art est folklorique. Or il en est autrement.
Que voulez vous dire exactement ?
Le folklore ce n’est quelque chose de négatif, il est l’un des champs où nous puisons nos inspirations. Il nous rappelle la production brute d’un génie du peuple. Le problème ne réside pas dans le folklore, mais surtout dans le fait d’introduire l’art amazigh dans le folklore. Ceci est un crime contre cette belle culture! C’est à nous de changer ce regard limitatif et s’ouvrir sur nous mêmes pour découvrir nos innovations et nos créativités.
Aujourd’hui, un bon nombre de musiciens et d’artistes recourent aux plateformes digitales pour mieux faire connaitre leurs univers musicaux. Pourquoi, à votre avis?
C’est normal ! Il faut s’adapter aux changements de notre société. Avec le développement de l’internet et des entreprises technologiques (google, Youtube, etc.) dans les années 2000, plusieurs innovation sont apparues comme les plateformes de streaming et d’achat en ligne. En plus, avec le développement de la téléphonie mobile qui a atteint des taux de pénétrations très élevés, la majorité des personnes ont immigré vers le monde virtuel. Tout cela a fait émerger un nouveau marché où tout le monde se connecte, échange, achète et découvre. En outre, il est très difficile de trouver un distributeur ou un producteur dans le monde physique ou trouver une radio/télé pour promouvoir le produit artistique. Tout cela a fait que les artistes n’ont plus le choix que de recouvrir au monde digital pour proposer leurs produits et rencontrer leurs fans sans aucun problème. C’est une forme de résilience mais aussi d’opportunité à saisir.
Est-il facile aujourd’hui de produire de la musique au Maroc notamment dans un secteur artistique fragile marqué par l’absence d’une véritable industrie de la musique, où l’informel règne encore ?
Ce n’est pas du tout évident, surtout pour des artistes comme nous, localisés dans le Sud-est du Maroc. L’écosystème artistique est largement concentré dans une ou deux régions du Maroc ce qui rend les opportunités difficiles à saisir.
Au Maroc, il y a une absence concernant la formation culturelle, que ce soit chez les artistes ou chez les amoureux de la culture. A cela s’ajoute, une insuffisance des infrastructures culturelles qui peuvent attirer l’attention du public.
Par ailleurs, notre positionnement en tant que groupe de la musique amazighe qui fait que du LIVE MUSIC et qui porte un message engagé, est très difficile à faire promouvoir dans un marché qui ne cherche que du commercial. La chanson amazighe n’a pas encore eu sa place en ce qui concerne le côté promotionnel. La preuve ? On n’a pas encore une volonté de soutenir cette musique. Par exemple, on voit que toutes les langues du monde passent dans nos radios sauf la langue amazighe. Nous demandons encore, pourquoi ?
Tout cela rend la production difficile au Maroc. Dans ce sens, nous voudrions remercier vivement les militants culturels qui aident les jeunes à se produire et à trouver des opportunités, comme le Visa For music, dirigé par Brahim El Mazned, le premier marché africain de la musique. Nos remerciements aussi à la fondation Hiba pour les efforts déployés pour soutenir les groupes talents.
Quels sont vos projets musicaux avenir ?
L’année 2020 a été marquée par de nombreux défis, car de nombreux artistes ont beaucoup souffert de la fermeture des auditoriums et des théâtres. A cet égard, nous, en tant qu’artistes, nous devrons être avec notre public et rapprocher notre musique d’eux. Nous avons travaillé durant cette période sur un album musical qui sera disponible dans un futur proche. À travers ce nouveau travail, nous voulons partager nos sentiments et nos expériences avec notre grande famille. Toutefois, nous comptons lancer un single enregistré durant la session Hiba Rec, organisée par la Fondation Hiba. Cette chanson est issue de la tradition musicale de notre région. Nous espérons, à travers ce single, rendre hommage à la femme amazighe qui est le pilier de la transmission de la culture et de la tradition d’une génération à une autre. Cet effort de transmission s’allie à notre mission, celle de s’adresser à la nouvelle génération.