Thème d’un webinaire organisé, mercredi soir, par le PPS
Mohamed Nait Youssef
«La politique culturelle : les réalisations, les entraves et les conditions de relance» tel est le thème d’un webinaire organisé, mercredi soir, par le Parti du progrès et du socialisme (PPS) dans le cadre des préparatifs de son programme électoral.
En effet, cette conférence a pour but d’approfondir la réflexion autour du sujet de la chose culturelle dans les politiques publiques, explique le journaliste, acteur culturel et modérateur de la conférence, Lahoucine Echaabi. Un sujet important mais qui à la fois complexe et vaste nécessitant l’intervention de tous les acteurs et instituions concernés, a-t-il dit. A l’issue, le modérateur a ouvert le bal du débat par un tas de questions d’actualité concernant notamment les réalisations, les entraves et les enjeux auxquels fait face le secteur et sa gestion. Il s’est interrogé en outre à travers son mot d’ouverture sur des problématiques relatives au secteur, à savoir la politique publique ayant une dimension stratégique pour la chose culturelle, la production culturelle et les problématiques de la commercialisation et de la diffusion, l’absence d’entrepreneures marocains dans le domaine, le volet juridique et la spécificité des métiers artistiques, le volet social et la problématique des droits d’auteur et droits voisins, le volet social sachant que le secteur a été profondément fragilisé par la pandémie ainsi que l’encouragement des industries culturelles et créatives.
Mohamed Lotfi Mrini : « Malgré la Constitution avancée, les comportements des responsables n’ont pas changé ! »
Dans son intervention, Mohamed Lotfi Mrini, professeur universitaire et ancien secrétaire général du ministère de la Culture, a braqué les lumières sur les réalisations qui ont été accumulées dans cinq axes principaux, à savoir la Constitution de 2011 qui a connu des avancements remarquables sur les plans des libertés, la diversité culturelle et linguistique, l’officialisation de l’amazighe, la création du Conseil national des langues et de la culture marocaine. Sans oublier la place importante accordée aux langues étrangères. Selon lui, la Constitution a garanti une diversité des expressions artistiques, la liberté de création qui a été séparée de la liberté d’expression. Mais, les comportements, dit-il, des responsables n’ont pas changé envers la culture et la création malgré ce texte avancé. D’après lui toujours, l’Etat est obligé de soutenir le produit artistique.
Pour l’intervenant, la culture a cet aspect horizontal parce que ce domaine connait l’intervention d’autres intervenants dont ministère du Tourisme, de l’Artisanat, le ministère des Habous, la bibliothèque nationale, les Archives du Maroc, le Bureau Marocain des Droits d’Auteur. ‘’Ce nombre énorme d’institutions est important, mais il doit y avoir une coordination’’, a-t-il affirmé. Ainsi, le troisième axe, ajoute Lotfi Mrini, repose sur les industries culturelles et créatives qui sont connues par leur spécificité.
Pour lui, ces industries doivent être développées à travers une politique de soutien qui a donné ses fruits bénéfiques dans le domaine du cinéma et de l’audiovisuel en passant d’un seul film aux 30 films par an. En outre, le financement par le biais de la taxe sur la copie privée mais aussi en assurant une ligne de crédit consacrée aux artistes peuvent aider les producteurs et les porteurs de projets culturels et artistiques à investir dans le secteur, a-t-il fait savoir.
A cela s’ajoute bien entendu les régimes relatifs aux travailleurs à savoir le statut de l’artiste, la loi de l’auto-entrepreneur et les droits d’auteur. «Les industries culturelles ont besoin de soutien, de protection et d’accompagnement, et ce tout en créant les postes d’emploi et de la valeur », a-t-il rappelé. Le patrimoine n’est pas en reste des points essentiels abordés par l’intervenant. Selon ce dernier, le Maroc, l’instar des grands pays, est une puissance en matière du patrimoine. «Durant les cinq ou six années précédentes, le patrimoine national a connu une véritable évolution en matière de réhabilitation, de préservation, de rénovation et de consolidation du patrimoine matériel.», a-t-il souligné. Et d’ajouter : «80% des touristes viennent au Maroc non seulement pour son patrimoine, mais aussi son soleil.»
Lahoucine Bouyaakoubi : « la culture doit être au cœur du nouveau modèle de développement »
De son côté, Lahoucine Bouyaakoubi, Professeur universitaire et acteur amazigh, a souligné que l’amazighe est une composante fondamentale de l’identité nationale. Or, depuis 2011 jusqu’à aujourd’hui, poursuit-il, la question amazighe a connu un véritable retard.
«9 ans d’attente de la mise œuvre de la loi organique n°26.16 définissant le processus de mise en œuvre du caractère officiel de l’amazigh», a-t-il déploré. Et d’ajouter : « il faut que l’amazighe ait sa place dans tous les cours et toutes les matières enseignés.»
Pour ce qui est des médias, l’amazighe a été proie du ‘’ghetto’’ en le résumant dans la chaîne tamazight. En revanche, il a appelé à réserver 30% de la production à l’amazighe dans les autres chaînes nationales tout en respectant le cahier des charges.
Par contre, l’intervenant a mis l’accent sur les dynamiques culturelles notamment celles qui concernent l’écriture et le livre (600 livres écrits en langue amazighe) mais tout en registrant une régression au niveau de la production cinématographique notamment avec la fermeture des sociétés de production et les problèmes de la distribution du film amazigh dans les salles obscures marocaines. «Depuis 2011, il n’y a aucun film amazigh dans les salles de cinéma. », a-t-il indiqué. Par ailleurs, Bouyaakoubi a appelé à enseigner la musique amazighe dans les instituts et écoles de musique marocains. Pour mieux développer l’amazighe, affirme-t-il, il faut que le prochain gouvernement respecte la Constitution et les lois organiques afin de faire avancer les choses.
En outre, le sujet de la culture dans son sens anthropologique, poursuit-il, a toujours été un débat secondaire sachant que la culture a été le produit le plus consommé pendant la pandémie. Ainsi, a-t-il rappelé, la culture doit être au cœur du nouveau modèle de développement. D’après lui, le budget accordé à la culture est très maigre (moins de 1%). Et afin que la culture joue pleinement son rôle, l’Etat devrait augmenter son enveloppe budgétaire, a il précisé. Et l’enseignement dans tout cela ? L’intervenant a mis l’accent sur l’importance du développement des métiers de la culture et des arts en assurant la formation et l’encadrement aux jeunes au sein des universités.
Messaoud Bouhcine : « l’acteur politique doit mettre la structuration du secteur culturel parmi ses priorités »
Messaoud Bouhcine, artiste et professeur chercheur, a souligné que l’histoire moderne de la culture au Maroc s’est construite sur des initiatives personnelles, mais après le gouvernement de l’alternance l’Etat s’est intéressé aux problèmes structurels du secteur. «Au Maroc, parler d’une politique culture est un non sens.», a-t-il dit. Car, selon ses dires, la culture marocaine n’est pas structurée sur le plan économique et juridique. Or, il faut structurer le secteur culturel au niveau juridique, organisationnel et économique tout en organisant la relation entre l’entreprise et les travailleurs dans le domaine, a-t-il indiqué. «Il doit y avoir des institutions spécialisées dans le domaine parce que la culture ne supporte pas la gestion bureaucratique. Et l’acteur politique doit mettre la structuration du secteur culturel parmi ses priorités.», a-t-il souligné. En outre, la culture, a-t-il fait savoir, est très importante et connue par ses figures emblématiques et sa production assez riche que diversifiée.
Pour une véritable politique culturelle claire, efficace et efficience…
Pour Mohamed Lotfi Mrini, il y a une politique publique organisée par le gouvernement ayant un budget et des objectifs, mais ce qui n’existe pas, c’est une politique nationale de la culture. «Les acteurs politiques sont très généreux avec la culture dans leurs discours, mais ils ne font rien devant les entraves de ce secteur. », a-t-il rappelé. Et d’ajouter : « l’enveloppe budgétaire réservée à la culture est 1%, chose qui n’a pas de sens. », a-t-il souligné. Et pour mieux booster ce secteur générateur de richesse et de revenus, Lotfi Mrini a appelé à la préservation du patrimoine, la démocratisation de la culture, la mise en place d’une politique nationale de la culture, la protection du produit artistique national porteur de l’identité nationale, le renforcement de l’enseignement de la culture et des arts dans l’école, la digitalisation de la culture sans oublier la participation effective des collectivités territoriales.
«Nous espérons atteindre 1,5% du budget réservé à la culture qui nécessite une véritable volonté politique des partis politiques représentés au gouvernement. », conclut-il.
Lahoucine Bouyaakoubi n’y va pas par quarte chemins. Il a appelé quant à lui à une politique nationale qui ne devrait pas changer à chaque arrivée d’un nouveau ministre. Il a également insisté sur le rôle de la régionalisation avancée en matière du renforcement de la culture et son rayonnement, l’encouragement de la consommation du produit culturel national, l’élargissement de la formation dans les universités ainsi que les domaines de la culture, l’acception de la diversité et de la différence ainsi que la bonne gestion de la chose linguistique dans notre pays.
Toutefois, Messaoud Bouhcine a pointé du doigt la nécessité de mettre en place des mécanismes institutionnels et juridiques afin de structurer le secteur. A cela s’ajoute, l’ouverture du champ culturel sur le débat public en abordant les volets économique, social afin de le développer, prendre considération le principe de la transversalité de la culture qui nécessite l’intervention de tous les acteurs et institutions concernés ainsi que l’ouverture sur les nouvelles technologies et les plateformes digitales.